ARS - J’ai cinquante ans et je vais bien !

Quand une association fête un demi-siècle d’existence, se pose toujours la question du passé et de l’avenir : « qu’avons-nous fait et que sommes-nous encore capable de faire ? »

« Mon inquiétude, c’est que l’ARS a cinquante ans, et à cinquante ans, on est proche de la retraite ». Ainsi, s’exprime Angélique, jeune adulte encore accueillie dans la structure et qui était invitée à s’exprimer à la tribune du colloque organisé le 7 novembre, pour fêter le cinquantième anniversaire de la création d’une association bien connue sur la place de Marseille : l’Association pour la Réadaptation Sociale. C’est vrai que lorsque le tout premier foyer a été ouvert, il ne proposait que 15 places à de jeunes mamans prostituées. Au fil des années, l’offre s’est notablement étoffée, puisqu’on compte aujourd’hui pas moins de huit établissements et services d’hébergement, de réparation pénale, d’insertion professionnelle, d’atelier de jour, sans oublier le service prévention nuit qui avait fait l’objet d’un reportage dans nos colonnes (Lien Social n°609). Mais Angélique peut être rassurée : l’ARS reste vaillante et n’envisage pas de prendre du repos, les 300 jeunes accueillis et suivis au quotidien ont encore trop besoin d’elle.

Cinquante années, c’est aussi la période qui a fait l’objet d’une étude de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire, portant sur 55 articles du quotidien Le Monde consacrés à la jeunesse. Olivier Douard, sociologue, est venu en parler, retraçant l’évolution qu’avaient connu sur ce demi-siècle les représentations sur les jeunes. Il y a d’abord ce qui n’a pas changé tout au long de ces années. La première constante, c’est qu’ils n’ont cessé d’inquiéter le monde des adultes ces « blousons noirs », ces « bandes de jeunes », ces « jeunes de banlieue », ces « jeunes au chômage » qui ont défrayé la chronique du journal en des termes étonnamment voisins. Tout ce temps, la jeunesse a été vécue (elle l’est encore), non comme une ressource et une richesse, mais comme un problème. Seconde constante : les récriminations contre des familles présentées de façon récurrente comme responsables de la dérive d’enfants et d’adolescents à qui l’on reproche un déficit dans la transmission des valeurs morales. C’est progressivement, que les causes sociétales seront mises en avant. Mais ce sera pour commencer par mettre en cause la presse spécialisée pour les jeunes, accusée de renforcer leur perdition. Ce qui va, par contre, changer dans cette période, c’est l’entrée sur le marché de cette nouvelle catégorie de consommateurs. L’argent de poche considéré alors comme un acte indécent, va se généraliser et signer progressivement l’affirmation d’une jeunesse qui passe du statut de simple objet à la place de véritable sujet. L’expérimentation des modes de vie ou de travail est devenue pour les jeunes adultes une démarche assez courante. Ils ont adopté un comportement nouveau visant à identifier, en tâtonnant, la meilleure façon de construire leur vie. Confrontée à l’évolution d’une jeunesse plus que jamais en prise avec l’accumulation d’expériences, l’expérimentation dans l’action socio-éducative ne pouvait donc, dans la charnière des deux millénaires, que trouver un terrain favorable à son épanouissement. On l’a vu émerger à la marge d’un secteur de plus en plus confronté aux défis que posaient des populations se pliant de moins en moins facilement aux propositions traditionnelles d’insertion qui leur étaient faites. Ca a été particulièrement le cas pour une association comme l’ARS qui a montré une authentique volonté d’innover. Elle s’est trouvée parfois coincée entre son désir de renouveler sa pratique et d’assumer la part d’improvisation et d’ajustement inhérente à tout travail sur l’humain et le risque de se trouver aux limites des  procédures. Mais elle a toujours réussi à aller de l’avant. Une telle démarche est-elle encore possible alors même que la rigidité administrative et législative croissante de ces dernières années tend à museler la créativité ? Les tutelles ne tuent-elles pas les initiatives ? Nombre de participants se sont inquiétés de la dérive libérale illustrée récemment par la mise en concurrence au niveau européen, pour un appel d’offre concernant une action contre l’illettrisme, avec des critères d’élection privilégiant les notions de rendement et d’efficacité. Le travail éducatif possède une inévitable part d’indicible qui ne cadre pas toujours avec de telles exigences de rationalisation. Un conseiller technique du conseil général des Bouches du Rhône répondra que les tutelles ne sont pas là que pour brider. Elles peuvent aussi stimuler certains établissements où l’ennui suinte des murs et englue adultes et enfants. Reste une tension salutaire du monde associatif face à l’administration, que l’on peut comparer à ces personnes âgées acariâtres et rebelles qui survivent bien plus longtemps dans les maisons de retraite que celles qui se montrent soumises et passives.

Adossé au 50 ans qui viennent de s’écouler, Alain Lerussi, Directeur de l’ARS se tournant vers l’avenir, interpellera le monde politique en rappelant que le temps éducatif ne se mesure ni à l’aune de la durée des mandats électifs, ni à celle de la valeur économique. Ce qui a changé, ce ne sont pas les jeunes qui ne sont pas forcément plus difficiles qu’auparavant : c’est leur difficulté qui s’est aggravée. Ils ne peuvent se reconstruire, à la demande, en trois ou six mois, pour répondre au désir de confort d’une société qui a contribué à les marginaliser. Il faudra du temps pour que les changements mûrissent. Des associations comme l’ARS, il en existe des centaines à travers toute la France qui se tiendront à leur côté pour les aider à s’en sortir.

 

Jacques Trémintin – Novembre 2003