Comptes-rendus
Journal droit des Jeunes 2003
Le travail social face au droit
Les questionnements des juristes et des travailleurs sociaux sont-ils contradictoires ou complémentaires ? C’était la question posée à l’occasion de la journée de réflexion organisée par l’Institut Saint Laurent et la Revue d’action juridique et sociale, le 14 novembre à Ecully.
Longtemps négligé, sinon méprisé les travailleurs sociaux, le droit a pris, depuis quelques années, une place nouvelle. Cette évolution ne fait que refléter les mutations d’une société en quête de valeurs. La multiplication des droits catégoriels doit, en effet, être reliée non seulement à une recherche de modes de régulation et de références susceptible de répondre à l’effondrement des religions et des idéologies, mais aussi à l’émergence de l’individu.
Le fondement éthique du droit
Paul Bouchet, conseiller d’Etat honoraire et ancien président du mouvement ATD Quart-monde, a d’emblée rappelé que dans l’immense majorité des pays du monde, ce n’est pas à une invasion des droits à laquelle on assistait, mais bien à la persistance d’une situation de sans droits. Si dans une poignée d’Etats démocratiques, de multiples catégories ont pu faire valoir leurs particularités (droit du salarié, des malades, des enfants...), ce mouvement ne doit pas pour autant occulter ce qui constitue le fondement du droit. Lorsqu’au sortir de la barbarie de la seconde guerre mondiale, les Nations unies s’attèlent à la rédaction de la « Déclaration universelle des droits de l’homme », le préambule qui va être retenu diffère de ce qui avait été écrit dans le texte datant de 1789. Parler de l’égalité des droits, comme le firent à l’époque les révolutionnaires, est un noble objectif, mais présente le seul défaut de ne jamais être atteint. C’est pourquoi, on lui préféra la notion d’ « égale dignité ». Appliquer à l’autre ce qu’on accepterait pour soi et pour sa famille constitue la base de toute société démocratique et la finalité de tout droit digne de ce nom. Dès lors, il n’y a plus de droit qui soit spécifique aux pauvres, aux élèves, aux familles, etc ... il n’y a qu’une marche vers le respect de la même dignité pour tout être humain. Jean-luc Simon, président de l’Année Européenne des Personnes handicapées, lui-même atteint de handicap physique, ne dira pas autre chose, reprochant à la société française de s’opposer à juste titre à toute communautarisme, sauf en ce qui concerne le handicap. Il insistera longuement sur son désir d’être traité comme les autres et d’être considéré comme une personne avant de l’être en tant qu’handicapé. Et d’évoquer l’incident survenu dans un supermarché, alors qu’ayant buté avec les cale-pieds de son fauteuil dans les chevilles de la personne qui le précédait à la caisse, cette dernière s’est dans un premier temps retournée furibonde. Constatant qu’elle avait à faire à un homme en fauteuil roulant, elle se confondit en excuses : « j’aurais tant aimé qu’elle m’engueule, comme n’importe qui d’autre, en de telles circonstances ». Message, reçu, à priori 5 sur 5 par la salle. A peine Jean-Luc Simon avait-il terminé son propos, que son portable se mit à sonner. Il fut -à sa grande satisfaction- copieusement sifflé par la salle qui termina dans un grand éclat de rire ...
Droits individuels et droit commun
Denis Salas, magistrat, précisera qu’au fondement du droit, on trouve la tension entre les droits individuels et la loi commune. A l’image de ces palabres africaines qui regroupent une large assemblée (avec en son sein une pluralité de points de vue) sous un arbre à la large ramure (symbolisant la volonté de vivre ensemble) dans une recherche de compromis et de gestion des conflits. Le droit se situe donc entre l’idée que chacun se fait de ses intérêts et l’intérêt de la communauté. Cette contradiction permanente peut être illustrée par l’affaire du « lancer de nain ». Ce jeu stupide initié dans le Nord de la France, qui consiste à propulser le plus loin possible un homme de petite taille roulée en boule, avait fait l’objet d’une interdiction municipale au titre du trouble à l’ordre public. Cette décision souleva la protestation de la principale personne concernée qui se plaignant de la perte du salaire qui devait lui être versé, revendiqua la liberté de faire ce qu’elle voulait de son corps. Le Conseil d’Etat saisi, validera néanmoins la décision, au nom de l’atteinte à la dignité humaine, l’intérêt de la société ayant été considéré en la matière supérieur au droit individuel. Cette limite dans l’expression individuelle des droits, Rolland Janvier, Directeur de la Sauvegarde du Morbihan, s’en fera l’écho en proclamant « trop de droits tu le droit !» A force de transformer la moindre requête en droits, on risque de transformer le citoyen en une victime perpétuelle à qui tout est du et aboutir à une dévaluation du droit, en le confinant à de simples revendications individualistes. Avec la montée du sujet qui s’est progressivement imposé face au collectif, l’autre est devenu une contrainte et la frustration est apparue comme une faute. Le droit ne doit pas isoler chacun dans la seule quête de la réalisation de ses désirs égoïstes, mais il doit retisser du lien social, permettre à chacun de vivre en harmonie avec les autres, construire un espace permettant de dépasser les individualités et d’élaborer un destin commun. Car, comme le démontrera Reynald Brizais, psychosociologue à l’université de Nantes : « ce n’est pas vrai que j’ai le droit ». L’enfant naît avec un fantasme de toute-puissance et de maîtrise du monde. Il est animé par un égocentrisme radical qui le rend incapable de penser le monde du point de vue d’un autre. L’éducation va justement lui permettre de quitter ce terrain pour devenir citoyen, avec des droits (« qu’est-ce que je perds et qu’est-ce que je gagne dans ma rencontre avec l’autre ») et des obligations (ce qui me place dans la perspective de l’autre).Ce n’est donc jamais en tant qu’individu isolé qu’on « a droit » mais toujours dans la rencontre avec l’autre.
Jacques Trémintin – Novembre 2003