FRANCAS - 1998 - De l’enfance à l’adolescence

Un long chemin vers l’âge adulte

Avant Propos

Parler du cheminement qui va du nouveau-né à l’âge adulte constitue une vaste tâche qu’aucune discipline ne peut prétendre à elle seule synthétiser. C’est bien pourquoi nous ferons appel à plusieurs approches qui bien que différentes n’en sont pas moins complémentaires.

Nous commencerons par relativiser le concept d’âge dans la vie de l’homme en le plaçant dans une perspective à la fois culturelle et historique. Qui dit enfant, dit à l'heure actuelle droits de l'enfant. Il est important de rappeler ici la genèse de cette notion : ce sera l'objet de notre deuxième partie.

Ce n'est qu'après avoir esquissé le cadre historique et juridique que nous tenterons de resituer les mécanismes essentiels qui président à l’émergence de l’être humain en tant qu’être social.                

Nos deux dernières parties seront consacrées à une présentation synthétique de l’enfance et l’adolescence, à certains comportements typiques de ces deux âges et aux réponses adultes susceptibles d'offrir la structuration nécessaire et attendue.

 

1‑ De la fin de l'enfance à l'enfance sans fin

De toutes les espèces animales, l’être humain est peut-être celle qui met le plus de temps à parvenir à maturité.

Quand on voit le poulain se dresser sur ses pattes quelques minutes à peine après sa naissance et se mettre à trottiner, maladroitement d'abord, puis de plus en plus assuré, on mesure la fragilité du petit d'homme.

Paradoxalement, cette faiblesse constitue l’une des forces essentielles de l'espèce humaine. En effet, plus longue sera la maturation, plus grande sera la capacité d'assimilation et d'approfondissement de l'intelligence du petit humain. Moins il a au départ, plus il va acquérir tout au long de son éducation.

Quand on sait que la masse du cerveau à la naissance représente le quart de ses dimensions adultes, on mesure l'importance du rôle de la culture dans l'édification de l'être humain.

Quelle durée va prendre cette longue maturation vers le stade adulte ?

Mais à quel moment se termine l'enfance ?

Le schéma des différents âges de l’homme n’a rien d’universel, loin s'en faut !

La première réponse possible est d'ordre physiologique: c'est la puberté. Lorsque l'individu devient capable de se reproduire, de procréer (et donc apparition chez la fille des menstruations, chez le garçon des premières émissions de sperme) on pourrait considérer que l'individu est entré à l’âge adulte.

De fait, de nombreuses civilisations ont établi une correspondance entre puberté et accès au rôle d'Homme (au sens générique du terme).Mais cela n’est pas si simple. Prenons l’exemple de la jeune-fille. Est-elle pubère à l’apparition de la pilosité pubienne ou bien aux premières règles, au développement des seins (parfois 2 à 3 ans avant les premières règles) ou au début de l’ovulation (parfois plusieurs années après le commencement des menstruations) ?                   

Dans les civilisations dites “ primitives ”, l’adolescence n’existe pas en tant que catégorie à part. On distingue simplement les “ initiés ” des “ non-initiés ”, et ceux qui vivent l’initiation qui permet le passage d’un monde asexué à l’agrégation à un monde sexué.

Rappelons pour mémoire ces cérémonies, véritables rites de passage et d'initiation où symboliquement l'enfant doit mourir pour faire place à l’adulte dans ce qui peut être interprété comme une "seconde" naissance.    

Dans l’antiquité, notamment chez les latins, l ’“ adulescens ”, désigne les 17-30 ans (mais uniquement les garçons, au même âge les filles sont déjà des “ épouses ” !).Les romains faisaient terminer la juventus à 50 ans ! Un tel découpage ne peut être compris si on ne le relie pas à la “ puissance paternelle ”, ce droit de vie et de mort qu’exerçait le père sur ses enfants durant toute sa vie. Prolonger artificiellement la jeunesse permettait alors de placer l’enfant –y compris devenu adulte- dans une position subalterne. Au XVIème siècle, la société juive situe l’âge des responsabilités non selon une longue tradition, mais en fonction des besoins du moment. Ainsi, entre l’âge de10 ans –considéré comme étant la fin de l’enfance- et de 30 ans –perçu alors comme la pleine maturité- s’étend une longue période de transition qui n’est raccourci que par l’institution matrimoniale.

Dans notre propre civilisation occidentale, on a assisté au cours des 5 derniers siècles à des variations non négligeables de la notion d'enfance.

La société médiévale fait entrer l'enfant dans l'âge de raison, lorsqu'il n'a plus besoin des sollicitudes de sa mère, soit vers 7 ans.

Il faut attendre le XVIII ème siècle pour trouver avec Jean‑Jacques Rousseau les lettres de noblesse de l'enfance enfin décrite comme une période de vie à part entière.      

L'adolescence, elle ne fait son apparition qu'au début du XX ème siècle. L’émergence de cette nouvelle classe d’âge correspond sans doute aussi à l’explosion démographique que connaît cette époque. Dans la deuxième moitié du XVIII ème siècle la population française ne dépasse pas vingt millions d’âmes (soit le même nombre qu’en 1350 !). Il faut dire que l’espérance de vie atteint alors 28 ans (la moitié des enfants mourant avant 10 ans). Puis la mortalité se met à reculer, l’espérance de vie à croître: si les moins de 19 ans représentaient 42 % de la population en  1740, ils  ne sont plus que 38% en 1850, 33% en 1911 et 29,8% en 1948.

Autre facteur d’assise de l’adolescence: la scolarisation qui va devenir au fil des temps massive. En 1900, c'est moins de 2% d'une classe d'âge qui passe le BAC, la presque totalité de la population entrait alors dans le monde du travail à 13‑14 ans (ce qui était un progrès gigantesque alors par rapport au travail massif des enfants au siècle précédent).

Le prolongement des études et le chômage massif des jeunes au cours des 20 dernières années ont provoqué l'émergence d'une nouvelle classe d'âge: les "jeunes adultes" entre 18 et 25 ans. 25% de cette catégorie vivent encore chez leurs parents. Des institutions ont été créées spécialement pour eux: Missions Locales, P.A.I.O. ... Quant au RMI, ils n'y ont pas droit (sauf s'ils sont déjà parents).

On assiste donc bien ici à un accroissement spectaculaire de la période transitoire de l'enfance et singulièrement la phase de l'adolescence. L'accès à un travail, à une autonomie financière et à la fondation d'un couple et d'une famille a été retardé de 5 à 6 ans en l'espace d'une génération.

 

2‑Droit de l'enfant ou droit à l'enfance

Si l'âge adulte semble avoir reculé, dans le même temps, le statut à la fois juridique et sociologique de la minorité subissait un processus inverse de rajeunissement. Il y a en fait irruption de plus en plus jeune de l'individu en tant que citoyen.

Dans l'antiquité, la toute‑puissance paternelle donne droit de vie et de mort sur ses enfants pendant toute sa vie. A partir du Vème siècle, le droit de "correction paternelle" se limite à la possibilité de faire enfermer ses enfants et ce jusqu'à leur 30‑35 ans.

C'est la révolution de 1789 qui va mettre un terme à la tyrannie paternelle en introduisant la notion de minorité et de majorité. Cette dernière est d'abord fixée à 25 ans. Elle est ramenée à 21 ans en 1806 et à 18 ans en 1974.

Depuis une dizaine d'années, s'est développé à travers la France le mouvement des Conseils Municipaux d'Enfants.

En 1989, l'ONU a adopté la Convention Internationale des Droits de l'Enfant qui entend protéger les droits et intérêts d'une classe d’âge. Des avocats d'enfants se spécialisent dans la défense du public enfantin. Des procès célèbres (aux USA) officialisent des procédures de divorce entre parents et enfants.

Encore, pour paraphraser une célèbre émission télé, on considère aujourd'hui qu’au-delà d'un simple tube digestif, le "bébé est une personne".

Certains psychologues revendiquent la levée de l'anonymat lors de dons de sperme ou d'ovocyte lors des fécondations médicalement assistées au nom du droit de l'embryon à la filiation.

On se trouve donc à la croisée de deux mouvements qui pour apparaître contradictoires n'en sont pas moins concomitants. Il faut de plus en plus d’années pour qu'un individu accède officiellement au statut adulte. Mais l'être humain est perçu de plus en plus tôt comme possédant des droits à part entière et nécessitant une prise en compte particulière.

Certaines critiques du mouvement du droit de l'enfance émettent la crainte qu'à force de vouloir responsabiliser les enfants , on leur en lève le bénéfice d'une certaine irresponsabilité: un enfant, par définition n'est pas un être raisonnable. Il a droit à l'erreur, à l’essai par le système de réussite et d’échec, et à l’expérimentation de la vie (bien plus qu'un adulte).Il ne faudrait pas lui enlever ces avantages (qui au niveau judiciaire par exemple, sous forme de l'excuse de minorité permet de diminuer systématiquement par deux la peine maximale encourue en cas de délit ou de crime commis par un mineur).

Etape ultime de l’évolution vers l’âge d’homme, période d’approfondissement de la construction humaine récemment allongée de façon spectaculaire, moment d'émergence tout aussi récent de l'individu en tant que citoyen, peut‑on définir à présent cette longue période qui mène l’être humain d’un état de grande dépendance à un âge adulte terme officiel de son évolution ?

 

3‑ Du fusionnel à l'autonomie

De nombreux auteurs et de multiples écoles ont tenté de répondre à cette question en décrivant les différentes étapes du processus de maturation.

Les méthodes

Mais, pour y arriver encore faut-il dépasser toute une série de difficultés liées notamment à l’impossibilité d’établir une conception définitive et objective : les recherches sont permanentes et peuvent remettre en cause les théories jusqu’alors admises. A l’image de ces expérience démontrant que le bébé sait compter !

Toute une série de méthodes sont à la disposition des chercheurs :
·       connaissances rétrospectives à partir d’une psychothérapie de l’adulte.
·       connaissances rétrospectives à partir des matériaux apporté ultérieurement.
·       observation directe (longitudinale, transversale, naturaliste)
·       analyse des mécanismes psychopathologiques
·       expérience sur l’enfant : teste, psychométrie (outre les problèmes éthiques , cela pose la question du rôle exact de tel facteur dans une réalité éminemment multifactorielle)
·       étude des enfants dits sauvages
·       privation sensorielle précoce
·       expérimentation sur l’animal
·       recherche neuro-psychologique : interaction entre génotype et environnement

Trois projections vont être utilisées ici. Trois parmi de multiples. Trois qui nécessitent la prise de distance nécessaire. Ce ne sont que des hypothèses qui peuvent être contredites, contestées et critiquées. Elles permettent néanmoins de projeter une explication de certains comportements et de comprendre la dynamique de l’être humain. Mais aucune n’apporte une compréhension totalisante qui risquerait de toute façon d’être totalitaire.

 

Jean Piaget

Jean Piaget est un psychologue suisse qui a connu une grande notoriété pour ses recherches consacrées aux modalités d’accès de l’enfant à l’apprentissage et à la connaissance. Nous tirerons de son œuvre son concept des stades et notamment ce qu’il a appelé la révolution copernicienne.
·       stade sensori-moteur (0 à 2 ans) : l’intelligence est avant tout en prise avec des activités motrices et sensitives. La décentration s’opère au travers de la permanence de l’objet et de la maîtrise des représentations symboliques.
·       Stade des opérations concrètes (2 à 12 ans) : acquisition progressive de la notion d’invariance. Le raisonnement logique se met en place par le biais d’actions concrètes et matérielles. La décentration se continue par rapport à l’égocentrisme.
·       Stade hypotético-déductif (12 ans à l’âge adulte) : maniement des hypothèses et des raisonnements détachés de la réalité concrète te immédiate, accès à l’abstraction. La décentration s’effectue par rapport à la croyance en la toute puissance de la réflexion auquel doit se plier la réalité. L’adulte est sensé relativiser les idéaux et les systèmes.

 

Sigmund Freud

Le père de la psychanalyse a conçu son système en évoluant toute sa vie sur les concepts mis au point. Nous reprendrons les stades qu’il a défini comme structurant l’être humain à partir de l’énergie libidinale qui commence dès la sexualité infantile.

·       Stade oral (première année) : le plaisir se situe buco-labial (sein de la mère ou succion du pouce). On se situe dans l’ambivalence incorporation/destruction
·       Stade anal (2 et 3ème année) : à partir de la consolidation de la musculature sphinctérienne, l’enfant ressent le plaisir de la zone érogène anale. Ambivalence don/ rétention.
·       Stade phallique (3ème année). Le plaisir se situe dans les organes sexuels. L’activité masturbatoire étant souvent réprimée par les parents, on voit apparaître la crainte de castration.
·       Complexe d’oedipe (4ème et 5ème année)
·       Période de latence (6 à 12 ans). L’énergie libidinale est sublimée, les pulsions sexuelles investissant l’apprentissage et la curiosité intellectuelle.
·       Stade génital : stade adulte

 

La relation objectale

Un certain nombre d’auteurs tels René Spitz, Winnicott ou Hubert Van Gijshegem ont travaillé sur la relation objectale qui est le rapport à l’autre,  la prise de conscience de l’extérieur. L’être humain a besoin pour se développer d’une façon harmonieuse de deux ressorts : une estime de soi gratifiante qui lui donne envie d’exister et de rentrer en relation avec l’autre et une individuation lui permettant de se séparer de l’adulte qui l’a élevé.

Pour se faire deux mouvements apparaissent indispensables :
·       une continuité suffisante de soins et d’affection qui lui apporte la sécurité et  la constance nécessaire à sa croissance psychique.
·       Une discontinuité suffisante permettant au petit d’homme d’avoir recours aux stratégies lui permettant de préserver la source de satisfaction. C’est là que  se situe l’aire transitionnelle (objets transitionnels, jeu, culture, triangulation…)

Si  la première étape est présente mais pas la seconde, il y a alors risque de pathologie symbiotique.

Si la seconde l’est, mais pas la première, alors on retrouve une pathologie de type carentiel.

Au terme de ces présentations, il est intéressant de procéder à une synthèse. Celle proposée dans les pages suivantes portera respectivement sur l’enfance et l’adolescence.

 

4- L’enfance

Au cours des premiers mois, le nourrisson est dans une dimension fusionnelle avec sa mère. Il a la sensation de ne former qu'un seul et même corps avec elle. Il ne perçoit pas un seul être, ni un quelconque environnement qui soient distincts de lui. Quand il commence à en prendre conscience à 8 mois, il est le plus souvent terrorisé (surviennent alors les pleurs et les angoisses à l'apparition d'un visage inconnu). C'est progressivement que s'opère la "révolution copernicienne" au cours de laquelle de centre de l'univers. le bébé découvre l'existence du monde extérieur.

 C'est vers 2 ans qu'est acquise définitivement la permanence de l'objet : l'enfant est alors convaincu que même disparus à ses yeux sa mère, son jouet ou n'importe quel objet continuent à exister.

C'est par l'acquisition de la parole qu'il va pouvoir établir la communication avec l'autre. Pour autant la socialisation reste limitée à une vie à côté des autres. L’enfant est isolé dans ses jeux.  Le langage permet aussi de structurer la pensée au niveau temporel: reconstitution de l'action passée (récit) et anticipation des actions futures (représentations verbales).

 

La réalité est interprétée à partir des désirs, tout participant de tout et agissant sur tout (pensée magique).          

 Ce n'est qu'à 7 ans que l'enfant commence à accepter les règles collectives et entre dans une phase où il n'agit plus impulsivement mais en pensant au préalable.

Le temps et l'espace vont progressivement structurer la pensée (acquisition des notions de conservation de grandeur à 7 ans, de poids à 9 ans et de volume à 11 ans).

Il faudra attendre l'âge de 12 ans pour qu'intervienne l'aptitude à l'abstraction et au raisonnement basé sur des hypothèses.

Cette illustration nous permet de mieux comprendre le long cheminement qui part de l'état fusionnel premier pour arriver à l'autonomie psychique. Au cours des années, l'enfant va progressivement construire des compétences physiques, motrices, intellectuelles et affectives lui permettant d'être capable de faire ses propres choix et prendre ses propres décisions en pleine responsabilité.

A quels types de comportements peut-on être confrontés à cet âge ?

 

4-1 une difficulté face à la séparation

La séparation fait partie de la logique de l’enfance : elle constitue un élément fondamentalement organisateur du développement et de l’autonomisation de l’individu. Crèche, école, changement de classe, centre aéré etc … l’enfant connaît au cours de sa vie de nombreux moments de départ et d’arrivée qui lui permettent de rencontrer des figures référentes à chaque fois différentes (copains, adultes, lieux familiers). Ce sont des épreuves qui peuvent être vécues d’une manière à la fois douloureuse, mais aussi de façon maturante. Chaque rencontre est l’occasion pour l’enfant de rejouer la socialisation qui passe par sa reconnaissance par l’autre comme sujet singulier mais aussi par l’acceptation de l’autre.  Cette multiplication d’occasions qui l’amènent à rentrer en relation avec diverses personnes l’habitue à devenir disponible à un nouveau contexte et à travailler à faire sa place. Ce sont toutes les manifestations de cet aller-retour entre soi et l’autre que l’on peut vivre en contact avec les enfants. Il faut savoir reconnaître la difficulté à se séparer, travailler tout particulièrement l’accueil et accompagner les difficultés à assumer cette situation.

 

4-2 Une socialisation en construction

Dès que l’émergence de l’individu se manifeste, les conflits et les heurts jouent un rôle majeur dans une socialisation qui prend alors la forme d’une agressivité structurante : c’est contre l’autre que l’enfant se construit. Tout adulte est perçu comme parent protecteur dont il s’agit d’attirer l’attention, au besoin en rivalité avec ses pairs.

La coopération qui va progressivement s’établir se heurte toutefois à un certain nombre de particularités qui sont inhérentes à l’enfance et qu’il s’agit de prendre en compte comme des étapes à dépasser pour le sujet :
·       l’égocentrisme : impossibilité de se mettre à la place de l’autre,
·       l’hétéronomie : les règles sont acceptées non parce qu’elles sont comprises, mais parce qu’elles viennent de l’adulte ;
·       instabilité du caractère : tendance à l’impulsivité et à l’emportement, les pulsions dominant l’enfant.

 

4-3 L’importance de l’imaginaire et du rêve

L’enfant est animé de pulsions et de forces intérieures qu’il va devoir apprendre à contrôler s’il veut non seulement être admis dans la société, mais aussi accéder au monde adulte. Ce dont il s’agit, c’est donc bien d’une maîtrise de soi : dominer ses tendances agressives et égoïstes constitue un long cheminement. L’imaginaire est là pour établir un pont entre les fantasmes par définitions sans frontière et une réalité qui impose des limites. Il permet à l’enfant d’apprendre à reconnaître sa vie interne et à maîtriser le monde externe. C’est par l’imaginaire que le bébé compense l’angoisse qui l’assaille au moment où sa mère disparaît de son champ de vision. C’est par l’imaginaire que l’enfant se représente les situations auxquels il est confronté, avant de l’être effectivement. D’où l’importance de favoriser le récit, le jeu, le rêve qui sont des moments finalement de travail intense. Un enfant que l’on surprend dans la rêverie n’est pas un individu qui perd son temps mais qui se construit.               

 

5‑ L'adolescence ou les années métamorphoses

L'adolescence est une période extrêmement dynamique dans la vie de l'individu. C'est l'époque des métamorphoses à tous les niveaux: biologiques, hormonaux, affectifs, relationnels, psychologiques, sociaux, personnels ...

On en connaît tous les manifestations essentielles: le jeune est en croissance rapide. Il adopte une apparence dégingandée et malhabile Sa voix mue. Il sent en lui des forces nouvelles qui l'incitent à changer d'attitude.

Il n'a plus envie d’être le petit enfant sage à l'écoute de ses parents pendant des années. Il veut s'affirmer et voler de ses propres ailes. Il veut se prouver à lui‑même comme aux adultes qu'il peut bien se débrouiller tout seul !

Il se permet plus facilement de critiquer (quand il n'est pas dans la critique systématique) et est facilement dans une relation de défi à l'égard de ceux qui lui sont le plus proche. C'est l'éternel jeu de "qui perd gagne". Qu'il l'emporte ou non dans son opposition à l'adulte, l'ado a gagné car il lui a tenu tête.

Ayant acquis de nouvelles capacités physiques jamais atteintes jusqu'alors, il en est très fier et cherche à les mettre en œuvre que ce soit dans la confrontation physique par le sport, ou dans la recherche des limites les plus extrêmes.

Les bouleversements qu'il sent en lui le poussent à chercher à l'extérieur une stabilité manquante. C'est la quête idéaliste de la vérité, de la sincérité et de la justice. C'est là l'occasion d'intenses et longues discussions au cours desquelles il teste ses opinions et sa capacité à penser par lui-même.

Mais l'adolescence c'est aussi, et c'est important la découverte de l'autre. L’émergence du désir sexuel passe par différentes phases. C'est d'abord la ségrégation naturelle des sexes. Les filles d'un coté, les garçons d'un autre cherchent avant tout la grande amitié, le confident (12/14 ans). Puis c'est la période de solitude et de mélancolie vers 15 ans. Enfin arrive l'époque du flirt, du romantisme et de la relation amoureuse (16‑18 ans).

Voilà très brièvement brossé un portrait de l'adolescence dans lequel se retrouve tout ou partie de chaque adolescent qui constitue un être unique et à part entière.

Quelles peuvent être les réactions adultes les plus appropriées, c'est ce que nous allons essayer d'esquisser à présent.

Après s'en être remis pendant plus de 12 ans aux règles parentales qui lui ont apporté sécurité et équilibre, le jeune va essayer de se constituer son code de conduite personnel qui lui permettra d'affronter le vaste monde et de faire des choix sans s'en remettre à l'adulte. Pour ce faire, il va chercher un certain nombre de réalités: des limites d'abord, des modèles d'identification ensuite, des expériences initiatiques encore, des responsabilités enfin.

Nous allons reprendre les unes après les autres ces diverses quêtes.

 

5‑1 Les limites

Jusqu'où peut‑il aller ? C'est la question que se pose l'ado. Pour y répondre, il va expérimenter et être très attiré par la transgression des interdits.

Une telle réaction est tout à fait normale. Pour autant l'adulte ne peut se contenter d'en sourire ou de punir très durement. Le laxisme et la rigidité aboutissent à la même insécurisation et insatisfaction (quoique sous des formes différentes). Il est nécessaire d'imposer un cadre structurant à partir groupe de garçons essaie de rejoindre la chambre des filles en pleine nuit. Pour autant il faudra sanctionner cet acte non en tant que manifestation "pathologique" mais comme réponse à la transgression d'une règle et comme pose d'une limite. Si l'adulte ne réagissait pas, non seulement, les jeunes recommenceraient, mais iraient sans doute un peu plus loin.

La réponse doit être faite à la fois de compréhension et tolérance au symptôme de la crise d'adolescence et à la fois de rappel à la règle et à la Loi grâce à une délimitation des repères.

L'adulte doit permettre l'accompagnement dans l'apprentissage de la marge de manœuvre : ce qui est possible de faire et ce qui ne l'est pas, ce qui est négociable et ce qui ne l'est pas face à une réalité qui s'impose quelque soit le désir de chacun.

La relation à la règle doit être claire. Cela permet d'éviter que le groupe de jeunes élabore son propre mode de fonctionnement, ce qui dans bien des cas laisse émerger un rapport au droit basé sur la loi du plus fort (cf. les bandes). Pour confirmer cette orientation, il est tout aussi important que la règle soit là aussi pour limiter l'arbitraire de l'adulte. En ce sens la règle marque les devoirs, mais aussi les DROITS de chacun. Son élaboration en commun avec les jeunes semble une méthode efficace qui favorise l’autodiscipline (il y a bien entendu des règles qui s'imposent à tous et qui ne se discutent pas, mais d'autres peuvent tout à fait faire l'objet de négociation).

 

5‑2 les modèles d'identification

L'enfant depuis sa naissance a été en adoration devant ses parents qu'il a cherché à imiter. Il a été soumis à leur autorité et place sous leur protection.

Il est à présent dans une phase de séparation. Pour que ce processus d'individuation s'accomplisse, il doit au préalable "tuer" (symboliquement) le modèle auquel il s'est identifié jusqu'alors, afin de pouvoir exister en tant qu'individu séparé

C'est contre ces modèles qu'il va s'édifier pour affirmer sa propre personnalité (tout en gardant intacte et toute aussi intense, même si le jeune ne le manifeste pas de la même façon qu'avant l'amour qu'il porte à ses parents).

Le jeune va alors chercher d'autres modèles d'identification susceptibles de l'aider a se construire.

C'est l'époque des idoles, des modes vestimentaires, des goûts musicaux qui peuvent être tout (le plus souvent) sauf identiques à ceux et celles des parents.

L'appartenance à une "tribu" , les signes de reconnaissance montrant les mêmes références sont alors des manifestations importantes et significatives: la bande de copains, la mode dans laquelle on s'inscrit comble le vide laissé par le rejet des parents.

Tout en rappelant au jeune le principe de réalité (il continue à vivre aux cotés des autres et si par exemple, la nouvelle mode "grunch" consiste à ne pas se laver, il le fera néanmoins, car cela n'est pas supportable d'imposer le port du masque à gaz lors des repas de famille !), l'adulte n'a pas à s'inquiéter outre mesure de telles manifestations. Il est au contraire très sain de multiplier les modèles d'identification autour du jeune. Il en va de même pour` les regroupements autour d'activité qui ne se font pas tant en fonction de la nature des activités proposées que des affinités avec celles qui envisagent de s'engager dans cette activité.

           

5-3 Expériences initiatiques

S'affirmer comme adulte en devenir, c'est se prouver à soi même comme aux autres qu'on n'est plus un enfant.

Quelle meilleure preuve que d'adopter des attitudes spécifiques du monde adulte (cigarette, alcool, drogue) et des conduites à risque (qui prouvent qu'on ne craint pas la mort) ?

Il n'existe plus trop dans nos sociétés de ces cérémonies de transition entre l'enfance et l'âge adulte comme dans la plupart des civilisations traditionnelles). Les jeunes les réinventent à leur manière ("t'es pas cap d'avaler une bouteille d'alcool d'un seul coup", "rapproche‑toi très près du train en marche, si t'es un homme", ...)

La meilleure façon peut-être de limiter ces expériences, ce n'est ni de se contenter de l'interdire (attrait de l'interdit), ou de parler du danger encouru (ce qui peut encourager encore plus), mais peut‑être tout en rappelant ici encore la règle, de proposer des actions permettant de se dépasser, de trouver ses propres limites en lançant des défis et des objectifs suffisamment élevés pour apparaître en apparence inaccessibles.

 

5‑4 Responsabilisation

C'est en permanence que l'adolescent est confronté aux tentations de ne satisfaire que ses propres impulsions. S'il cède à l'appel du plaisir immédiat et du tout tout de suite, ce n'est pas par mauvaise volonté, c'est surtout parce qu'il n'a pas encore acquis la force d'y résister. L'éducation doit lui permettre de renforcer cette puissance encore balbutiante qu'il a en lui. Pour y arriver, rien ne remplace l'expérience. Il doit pouvoir s'exercer.

Bien sûr, mieux vaut éviter de le mettre en position d'échec. Mais rien ne remplacera le fait qu'il jauge sa capacité à être responsable. C'est pourquoi en toute occasion, il ne faut pas hésiter à le mettre en situation d'avoir à prendre des décisions et faire des choix. L'adulte sera à ses cotes pour l'y aider et surtout reprendre avec lui les difficultés rencontrées pour tirer avec lui les leçons nécessaires.

En CONCLUSION, quelle est la démarche de l'adulte qui permet à l'adolescent de franchir cette étape de la vie avec succès ? C'est lui permettre de:
·       quitter son état de dépendance pour s'affirmer en tant qu'individu, membre d'une collectivité, conscient de ses règles et trouvant une place en son sein;
·       passer de la nécessité de guidage de l'adulte à la capacité de faire face à des choix et de décider de ses orientations,
·       évoluer d'une phase où la présence de cadres et de repères extérieurs est indispensable à un stade où l'intégration et l'intériorisation de l'autorité permet un contrôle suffisant de ses pulsions,
·       partir de la sphère du désir qui guide l'essentiel des comportements de l'enfant, à la prééminence de la sphère de la réalité grâce à laquelle les impératifs du réel prenne le Pas sur les souhaits et aspirations.

Bien entendu, on peut mesurer à quel point ces deux pôles sont toujours présents tout au long de l'existence. Selon les individus et les moments, c'est plutôt l'un ou l'autre qui prend le dessus. Pour autant, on peut dire que dans l'enfance, c'est plutôt l'aspect fusionnel, les besoins de guidage ainsi que le poids des désirs qui dominent. Alors qu'à âge adulte, ce sera plutôt l'individuation, la capacité de choix et l'intégration des normes et de la sphère du réel qui (théoriquement s'impose).

En tant qu'éducateur, nous travaillons nous tous qui côtoyons les ados, à favoriser ce processus qui permet le passage de l'un à l'autre.

 

Jacques Trémintin – Mars 1998