FJT Arago Reconnaître l’autre dans sa différence

L’homosexualité est longtemps apparue comme une pratique moralement condamnable et sexuellement honteuse, une attitude contre-nature et perverse.
Il a fallu attendre 1973, pour que l’Association des Psychiatres des Etats Unis la supprimera de la liste des pathologies mentales, suivie deux ans plus tard par l’association des psychologues.
En 1993, l’Organisation Mondiale de la Santé a fait de même.
Aujourd’hui, cette orientation semble se banaliser.
Pourtant, les commandos anti-pédés, les agressions contre les présumés homosexuels, les propos homophobes sont loin d’avoir disparu.
Avant d’essayer de comprendre cette stigmatisation, nous allons tenter de resituer cette relation entre être humains dans une perspective historique.
 
 

Les leçons de l’histoire

Si l’on recherche dans l’histoire de l’humanité les traces laissées par l’homosexualité, on remarque que la désignation de ce comportement et sa distinction avec l’hétérosexualité remontent à peine à la fin du XVIIIème siècle, ces termes n’apparaissant que respectivement en 1869 et 1888. Longtemps durant, la question ne s’est tout simplement pas posée.
 
L’attirance pour un être du même sexe constitue non seulement une constante universelle présente à toutes les époques et sur tous les continents, mais qu’elle fut alors parfaitement intégrée.
 
La préhistoire fourmille de traditions, dont certains se sont perpétués jusqu’à nos jours, sur certains continents (avant que la colonisation n’y mette un terme).
 
Ainsi, en va-t-il de cette coutume que l’on identifie à une forme d’insémination homosexuelle. Plus d’une dizaine d’années étant nécessaire pour que le jeune mâle devienne fertile, la nécessaire maturation du petit d’homme s’imposa comme une nécessité vitale : la survie de la communauté dépendait de la capacité de procréation de la jeune génération. Les rites qui s’imposèrent alors visaient à ensemencer les adolescents pour leur permettre de commencer à produire le sperme nécessaire à la reproduction. Et c’est de cette croyance que sont nées ces pratiques que l’on retrouve dans quasiment toutes les civilisations et qui consistaient à ce que les adultes pénètrent les jeunes garçons (sous une forme anale ou orale) afin de délivrer la substance destinée à enclencher, chez lui, le processus de fabrication de sa précieuse semence. Il ne s’agissait pas là, toutefois, de relations homoérotiques proprement dites, mais plutôt de cérémonies officielles complètement ritualisées qui ne présumaient en rien de la sexualité ultérieure des personnes concernées.
 
Mais, c’est sans doute l’héritage de cette longue tradition qui se retrouvera dans la civilisation grecque sous la forme de la relation pédagogique très particulière établie entre l’éronème (un adulte d’une quarantaine d’années) et l’éraste (un adolescent pubère). Il s’agissait alors d’un rapport entre un élève et son maître, entre un disciple et son modèle, entre un apprenti et son aîné. Mais si ce lien relevait bien d’une prise en charge éducative relative à la transmission de savoir et à l’apprentissage des relations sociales, il y avait aussi initiation aux rapports sexuels.
Cette coutume était extrêmement codifiée, débutant après l’âge de 12 ans et cessant dès que les premiers poils de barbe apparaissaient chez le jeune. Une famille qui ne trouvait pas d’amant pour son fils était couverte de honte, son enfant étant alors supposé porter quelques tares pour n’avoir point trouvé de protecteur.
Ce qui sera, tout au long de l’antiquité gréco-romaine, source de stigmatisation, c’est la position passive de celui qui se fait pénétrer et surtout l’attitude de l’homme libre se faisant sodomiser par un esclave. C’est donc bien la place sociale qui pose alors problème dans les relations sexuelles et non pas la nature du rapport.
 
La civilisation indienne de son côté, réservera une place particulière au culte du plaisir sous toutes ses formes. Le Kama sutra en est une manifestation largement répandue. Mais, ce qui l’est moins, c’est la conviction selon laquelle la stimulation rectale mettait en mouvement les facultés artistiques, poétiques et mystiques.
 
On retrouve la même tolérance, ou plus exactement la même ignorance quant à une distinction entre homosexualité et hétérosexualité, en Chine, civilisation qui fera de l’amour entre hommes une question d’esthétisme et de littérature sans jamais y voir un problème moral social ou religieux.
 
Il en va de même au Japon, nation marquée, elle aussi, par une longue tradition culturelle de passions homosexuelles et, comme en Grèce, pédérastiques (notamment entre les samouraïs et leurs jeunes élèves).
 
Les Aztèques considéraient la sodomie comme une pratique tout à fait légitime : ils la feront pratiquer par leurs prêtres comme rituel liturgique et consacreront même un dieu (Xochipili) à la prostitution masculine et aux relations entre hommes.
 
 L’Amérique du nord n’est pas exempte de ces situations qui semblent, à certains, aujourd’hui, si inconvenantes.  Ainsi, dans près de 150 tribus d’amérindiens, les individus attirés par des êtres du même sexe se trouvaient affublés d’un troisième genre. Ils étaient désignés comme “ deux esprits ”, “ homme-femme ”, ou encore “ femme-homme ”. Un sujet de sexe féminin, mais de genre “ femme-homme” pouvait très bien se marier avec une autre femme. Si l’on peut considérer -en reprenant des concepts complètement anachroniques dans ce contexte- qu’il y avait homosexualité de sexe, du point de vue de la société d’appartenance, il s’agissait d’hétérosexualité le genre (puisque les deux individus ne partageaient pas le même sexe tel que défini par la société). Un couple de même sexe biologique étant par définition stérile, un amant officiel pouvait alors procurer sa semence et permettre la naissance d’un enfant sans pour autant prétendre à aucun droit sur celui-ci.
 
 De même, en Afrique, dans la population Azandé, il était parfaitement admis que les guerriers prennent pour femme un jeune garçon jusqu’à ce qu’intervienne son mariage avec une femme, la plupart de celles disponibles étant monopolisées par quelques hommes âgées et puissants (polyginie). Et, c’est bien là sans doute, l’une des raisons permettant de comprendre l’intégration par la plupart des sociétés humaines des relations sexuelles entre hommes. Dès lors que les femmes sont deviennent un bien rare, les relations affectives cherchent à s’épanouir sous d’autres formes.
 
 

Comment devient-on homosexuel ?

De nombreuses recherches se sont penchées sur la question de l’origine de l’homosexualité.
 
Première direction empruntée, les conceptions essentialistes qui font remonter l’origine de cette orientation sexuelle à la naissance. On naîtrait homosexuel, comme on naît homme ou femme. Pour démontrer cette hypothèse, on a, par exemple, tenté de vérifier si on ne trouvait pas plus d’hormone masculine que d’hormone féminine chez les  femmes lesbiennes et inversement chez les homosexuels hommes.
On est aussi allé rechercher du côté des chromosomes en comparant la destinée des jumeaux (qui partagent le même capital génétique) et en constatant que, même séparés à la naissance, ils multipliaient considérablement les chances de partager la même orientation sexuelle, en comparaison de simples frères et sœurs.
Autre illustration de cette approche, la vérification de la morphologie des organes génitaux (qui serait particulière chez les homosexuels) !
 
La seconde famille d’explications se tourne plutôt vers le social : l’homosexualité ne serait pas un donné, mais un construit.
Ce serait une expérience globale qui inclurait des circonstances à la fois sociétales, familiales et individuelles.
Ainsi, peut-on évoquer la rigidité des rôles masculin/féminin qui précipiterait celui ou celle qui se sent attiré(e) par certains traits propres à l’autre sexe, à cultiver des comportements et attitudes typiquement féminins (alors qu’il est biologiquement un homme) ou masculins (alors qu’elle est biologiquement une femme).
La pression des préjugés constitue aussi une source de radicalisation : l’intériorisation des convictions homophobes peut fort bien pousser un individu à se croire loin ou au contraire proche d’une orientation sexuelle qu’il subit alors plus qu’il ne la choisit.
 
Tous ces travaux ont donné quelques résultats.
Mais aucun n’a pu permettre de trouver une raison généralisable et universelle : l’explication qui est valable pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.
Il est certain que l’homosexualité est le produit d’un processus qui cumule des facteurs biologiques, socio-culturels, familiaux, individuels, psychologiques... tout comme d’ailleurs l’hétérosexualité !
Et, c’est bien là la seule réponse que l’on puisse vraiment donner à ce questionnement. Car, finalement, l’identification de ces raisons n’apparaît vraiment pertinente qu’à partir du moment où l’on conçoit l’homosexualité comme une orientation pathologique. Il est courant, en effet, que l’on essaie de trouver la source d’une perturbation ou d’un état malsain. On ne le fait pas dans le cas du bien-être et de l’épanouissement.
 
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’homosexualité ne répond donc pas à une définition ni simple, ni universelle.
Selon les cultures et les pays, ce terme désigne une réalité qui peut tout à fait être différente.
Il convient, en fait, de distinguer entre les actes, d’un côté, l’amour et le désir de l’autre et, enfin, l’identité homosexuelle proprement dite.
 
Les actes donc, d’abord : ils recouvrent toute une panoplie de comportements qu’on ne peut réduire à la simple caricature. Ainsi, si en Europe ou aux Etats Unis toute relation sexuelle, sous quelque forme que ce soit, entre deux personnes du même sexe appartient à cette catégorisation, dans un certain nombre de pays du tiers monde (et plus particulièrement dans le monde latin), seul celui qui adopte une position passive est considéré comme tel. Le partenaire qui agit la pénétration ne s’estimera pas et ne sera pas estimé comme homosexuel. Autre illustration : l’action qui consiste, à l’adolescence, pour des jeunes garçons, de pratiquer des masturbations réciproques ou pour des jeunes filles de s’enlacer ou de s’embrasser n’est pas reconnu comme une forme d’homosexualité, mais plutôt comme une phase de découverte de son corps et du corps de ses pairs. La pratique de la sodomie n’est pas, quant à elle, non plus un critère pertinent. Si tous les homosexuels ne s’adonnent pas à cet usage, 30% des hommes et 24% des femmes hétérosexuels reconnaissent s’y être adonnés.
Si on se tourne à présent vers le désir, on constate là aussi une multitude de situations bien différentes l’une de l’autre. L’attirance entre deux êtres, quels qu’ils soient, ne passe pas forcément par l’acte sexuel. Henri Tachan, dans l’une de ses chansons, affirme qu’entre l’amour et l’amitié, il y a juste un lit. Cela signifie-t-il qu’en dehors de cet espace, il y aurait convergence des sentiments ? Deux personnes du même sexe peuvent partager une grande partie de leur vie (loisirs, travail, passion, ...) dans une grande plénitude et une parfaite harmonie sans jamais avoir de rapports sexuels. Pourtant, cette attirance intense réciproque peut ressembler à s’y méprendre à une relation de couple qui ne dit pas son nom. Et puis, il y a  ces activités qui mêlent les corps et les âmes dans une fraternité parfois bien troublante. S’il y a  bien un sport qui n’est pas fait pour les pédés, c’est le rugby. Et pourtant, ces mêlées ouvertes, ces placages, ces douches prises en commun... Les frontières du désir sont donc bien moins nettes qu’on le pense, parfois.
 
Enfin, il y a l’identité homosexuelle, cet aboutissement d’un processus qui fait qu’on se reconnaît comme tel et qu’on en assume les conséquences, avec d’ailleurs ou non une inscription dans la communauté gay. Mais, combien d’homosexuels qui s’ignorent ou refusent de sortir de la clandestinité, se retrouvent mariés et père de famille, nourrissant des fantasmes secrets qui les remplissent de honte (de ne pouvoir s’en débarrasser) ou de souffrance (de ne pouvoir les assouvir).
 
On mesure donc l’extrême difficulté à donner une définition précise. Cela tient beaucoup à la diversité et la richesse de l’être humain qui se laisse difficilement enfermer dans une catégorisation étroite qui se voudrait généraliste et universelle.
 
 

L’homophobie

La première remise en cause de l’homosexualité dans l’histoire remonte aux Hébreux.  Comme tout peuple cherchant à se protéger de voisins les menaçant d’invasion ou d’extinction, ils adopteront des coutumes propres à préserver leur identité. Ainsi, sera proscrite le geste consistant à tenir sa  verge quand on urine ou (plus classique) à purifier tout vêtement ayant été en contact avec les pollutions masculines (sperme) ou féminines (règles). Un sort particulier et original pour l’époque sera réservée à l’homosexualité : cette orientation sera honnie, surtout parce qu’elle était attachée au mode de vie des peuples ennemis.
Quand le christianisme s’impose, il reprend à son compte une partie des règles hébraïques. Son attitude face aux interdits sexuels, variera selon les époques.
 Le moyen âge sera sévère sur les principes, mais modéré dans ses réactions : les transgressions ne seront guère sanctionnées que par des jeûnes ou des carêmes. La condamnation de la sodomie recouvrira d’ailleurs, très largement les pratiques sexuelles qui sortent du seul objectif de la procréation et de la pénétration vaginale : masturbation, fellation, zoophilie, coït anal, coït interrompu ... mais aussi rapports sexuels avec un juif ou un musulman !
 
 
Tout s’aggrave avec la montée du puritanisme contiguë à celle du capitalisme.
Une époque où on conseillait à celui qui sentait l’imminence de l’orgasme, de se tenir calmement couché et de prier Dieu de lui épargner tout plaisir, pouvait difficilement intégrer avec bienveillance l’amour avec entre personnes du même sexe !
Un arsenal répressif implacable s’instaure (entre 1800 et 1834, la grande Bretagne fera pendre 24 hommes pour acte de sodomie), bientôt relayé par une médecine qui n’aura  de cesse que de tenter d’éradiquer ce vice, ayant recours pour cela à toutes les barbaries : castration, chocs convulsifs par électrochocs ou par substance chimique, lobotomie (ablation d’une partie du cerveau) etc ... sans oublier les thérapies aversives (associer des images de personnes du même sexe à des traitements chimiques ou électriques désagréables).
 
Car la source du mal-être des homosexuels n’est pas à rechercher tant du côté de l’individu qui vit cette orientation sexuelle que du côté de l’homophobie qui le confronte aux pires épreuves. La haine développée contre l’homosexualité reste impressionnante et n’a de comparable que l’antisémitisme ou le racisme. 
 
Les raisons de ce déchaînement sont multiples.
 
On a évoqué le besoin de légitimation de l’hétérosexualité. Mais avec 2,8% d’hommes et 1,4% de femmes se reconnaissant comme homosexuel, on ne peut vraiment craindre une menace sérieuse contre les relations entre personnes de sexe différent !
 
On a aussi parlé d’une peur de la confusion entre les genres masculin et féminin.
 
Mais ce qui semble le plus probable, c’est la peur latente de la bisexualité qui anime chacun d’entre nous.
Le célèbre rapport Kinsey, rédigé à partir d’une vaste enquête menée dans les année 1940/1950, définissait sept catégories de pratique sexuelle. A une extrémité, une petite minorité exclusivement hétérosexuelle, à l’autre une petite minorité exclusivement homosexuelle, les cinq catégories intermédiaires représentant l’immense majorité de la population adulte !
Sigmund Freud avait donc peut-être raison d’affirmer en 1920 que “ notre libido oscille normalement pendant toute la vie entre l’objet masculin et féminin ”. Il y aurait ainsi en permanence, au fond de chacun(e) d’entre nous cette part de féminité (sensibilité, affectivité, tendresse…)  et de masculinité (esprit de compétition, agressivité) que nous combinons en proportion diverse pour apparaître avec une personnalité à chaque fois unique.
Finalement, les plus homophobes seraient, paradoxalement, celles et ceux, qui sentent en eux une homosexualité latente qu’ils combattent avec rage chez les autres, pour mieux la nier chez eux. C’est tellement plus sécurisant de “ casser du pédé ”, histoire sans doute de se rassurer en  se prouvant ainsi qu’aux autres qu’on est sûr ainsi de ne pas l’être soi-même...
 
 

Epilogue

 
L’homosexualité est une orientation qui mérite d’être banalisée et de devenir chose aussi commune que l’hétérosexualité.
 
Pour conclure, on peut citer le procès qu’intenta léonard Maltovich qui avait été chassé de l’armée américaine après avoir reconnu son homosexualité. Après son décès ce sergent médaillé de la guerre du Vietnam fera inscrire sur sa tombe l’épitaphe suivante : “ quand j’étais soldat, on m’a donné une médaille pour avoir tué deux hommes, on m’a renvoyé pour en avoir aimé un ”.

 
Jacques Trémintin - 13 février 2007