JAMAC 2006

Jacques Trémintin : J’avais prévu de faire une petite synthèse des quatre interventions qui ont inauguré cette table ronde, mais je sens que Madame Petitot est piquée au vif et je lui donne tout de suite la parole. Je vais être un peu provocateur : y a-t-il une bonne et une mauvaise psychanalyse ? 

Jacques Trémintin : Il n’y a pas forcément désaccord entre vous, Monsieur Bensussan, vous avez remis en cause les expertises, est ce que cela implique forcément une remise en cause de la psychanalyse ?

Jacques Trémintin : Nous participons ici au colloque de l’association Jamac qui est peut être la seule association à s’être constituée dans une logique de réflexion autour de personnes accusées d’agression sexuelle. Mis à part Jamac c’est Outreau qui a constitué le seul moment où il y a eu des mobilisations collectives autour de la question : et si les personnes accusées étaient innocentes ? Il faut commencer par évoquer et rappeler les deux bouts de la chaîne. A un bout, il y a des gens qui sont susceptibles d’être broyés par des accusations qui n’ont pas de fondements, mais à l’autre il y a aussi des enfants qui sont effectivement victimes d’agressions sexuelles. Entre les deux, il y a toute une société qui se positionne sur des perceptions différentes et je crois que les interventions que nous avons écoutées ont pu le mettre en scène. Quand j’ai évoqué la tétanisation des professionnels, on identifie des intervenants qui se refusent à penser. Quand Monsieur Bensussan décrit cette situation d’experts à qui on demande de faire toujours plus d’expertises, on a l’impression que l’on fait toujours plus de la même chose, sans arriver à questionner la qualité de ces évaluations. Quand Marceline Gabel avance la nécessité d’un travail avec les médias pour les faire sortir de l’hypersensibilisation autour de ce thème, on comprend pourquoi il semble impossible de l’aborder avec un minimum de sérénité. Quand Madame Rault explique l’implication des quatre-vingts magistrats d’Outreau, elle démontre comment la justice en est arrivée, dès lors qu’on aborde la question de l’agression sexuelle, à privilégier non plus la présomption d’innocence mais bien la présomption de culpabilité. Françoise Petitot a tenté de mettre du sens dans tous ces comportements, dans toutes ces attitudes. Qu’est-ce qui fait qu’à tous les niveaux, on soit pris dans cette sidération, dans cette tétanisation, sinon que chacun d’entre nous avons à nous battre avec ses représentations et avec cet infantile qui remonte du plus profond de chacun. Françoise a terminé son intervention en s’interrogeant sur la façon dont chacun d’entre nous nous aurions réagi, en tant que citoyen, si on avait appris, au tout début de l’affaire d’Outreau, que le juge d’instruction avait libéré ces mis en examen ? C’est un constat qui est un petit peu terrifiant. Parce que là, on quitte la seule question posée par Jamac, on quitte le domaine de simplement quelques centaines d’enseignants mis en accusation. On en arrive à une description bien plus globale. Quand Madame Rault affirme à l’instant les nombreux Outreau individuels qui continuent encore aujourd’hui, on s’interroge : comment va-t-on se dépatouiller d’une situation dans laquelle on a le sentiment que même après les évènements d’Outreau, rien ne semble avoir vraiment changé ? Comment va-t-on faire pour s’en sortir ? Il y a les propositions évoquées par Marceline. Il y a des pistes qui ont été présentées par Madame Rault au niveau de la justice. Mais j’ai envie que vous réagissiez sur comment on va se sortir de ce merdier.  On fait tout le constat que c’est catastrophique, mais quelles sont les perspectives ?

Jacques Trémintin : Voilà tout le paradoxe de la justice. Si l’on fait la comparaison avec un braquage où l’on a souvent des preuves, comme l’a fait tout à l’heure Monsieur Bensussan, dans le cas d’une agression sexuelle, il y a rarement d’éléments sur lesquels on va pouvoir se baser. Et quand il y en a, la justice ne les utilise pas souvent, comme le témoignait Madame Rault à propos des cassettes vidéo enregistrées du témoignage des victimes. L’expertise prend alors une place totalement centrale. On va se retourner vers elle, en lui demandant d’apporter des preuves là où il n’y en pas !  Est ce que vous n’êtes pas instrumentalisés contre votre volonté, puisque vous amenez les seuls éléments à partir desquels la décision peut être prise ?

Jacques Trémintin : Dans la logique de ce que j’ai évoqué tout à l’heure, j’ai envie de demander comment  la psychanalyse peut nous aider. On sait qu’elle est avant tout une thérapie individuelle. Mais quelle action peut-elle mener au niveau de l’ensemble d’une société ? Comment peut-elle aller travailler autour du retour de l’infantile que vous évoquiez et qui vient bousculer tous nos modes de représentation ? Comment agir face à ce mécanisme qui transforme, que l’on soit professionnel ou que l’on soit simple citoyen devant son poste de télévision, le pédophile en figure du mal absolu ? Quelle action de fond peut être menée pour contrer et pour accompagner cette problématique, pour faire bouger les choses, les mentalités, les gens, parce qu’on a le sentiment que ce soit les juges, les travailleurs sociaux, les psychiatres, on est tous tétanisés à un moment ou à un autre. Marceline Gabel évoquait par rapport aux professionnels la nécessité d’une prise en charge plus individualisée du type supervision. Est-ce que la psychanalyse pourrait, je vais être très provocateur, assurer la supervision de l’opinion publique ?

Jacques Trémintin : Tout contact entre un enfant et un adulte quel qu’il soit est-il potentiellement pathologique, Marceline Gabel ?

Jacques Trémintin : On est donc arrivé à mettre en doute les contacts que peut avoir un adulte avec un enfant. Avant de passer aux questions de la salle, trois mots de Françoise Petitot.

Jacques Trémintin : Cette année, une association dont je tairai le nom, parce qu’il ne s’agit pas ici de la stigmatiser, puisqu’elle ne fait que représenter une tendance dominante de la prévention, a mis au point un logiciel de lutte contre la maltraitance. Le parrainage accordé par l’Education Nationale en assure la diffusion gratuite vers les écoles.  On peut d’ailleurs aussi le télécharger depuis le site internet de cette association. Ce logiciel est techniquement très bien fait. Il met en scène un petit enfant, Arthur, qui guide le spectateur tout au long des chapitres proposés. Mais quand on regarde de près, on constate une multitude de situations qui sont potentiellement angoissantes pour un enfant, d’autant plus si un adulte n’est pas là pour médiatiser les informations apportées. On met en scène, par exemple, un enfant qui arrive au jardin public et qui manque de se faire enlever, puis un autre qui se rend à la piscine où un maître-nageur lui met la main aux fesses… On a le sentiment que le monde extérieur est rempli de danger et de risques d’agressions…  alors qu’on sait par ailleurs qu’en fait 80% d’entre elles, ont lieu au cœur des familles. Dans la plupart des cas, l’enfant connaît son agresseur. On est en train de présenter un monde où l’enfant est incité à se méfier de tout individu, de tout adulte de préférence mâle, (bientôt mesdames vous nous rattraperez, mais pour l’instant la préférence va aux mâles), est un pédophile en puissance. Il faudrait donc que l’enfant se méfie de tout adulte qui se rapproche de lui. Pourtant, cette conception de la prévention n’a rien d’incontournable. Je me souviens d’un petit livre pour enfant (« j’ai peur du Monsieur ») que j’avais trouvé très intéressant. Il mettait en scène un acte d’exhibitionnisme devant une école, à la suite duquel une information était faite par la maîtresse. L’un des petits élèves qui assistait à cette action de prévention, se mit alors à vivre très, très mal les relations avec son parrain qui avait l’habitude de l’emmener se promener, ou d’aller au cinéma. Il le prenait par la taille ou par l’épaule. Dans les semaines qui suivent, l’enfant prétexte être malade, pour ne plus sortir avec cet adulte proche. Il refuse d’aller avec ce parrain parce qu’il a entendu lors de cette information de prévention qu’il faut se méfier des adultes. Il a l’impression que ce parrain qui a des gestes affectueux à son égard, est quelqu’un de dangereux. Heureusement, l’enfant finit par parler et dire à son parrain pourquoi il n’a plus envie d’aller avec lui. Le parrain lui répond que si cette proximité physique le gène, il s’abstiendra à l’avenir de poser son bras sur ses épaules. Et, tout rentre dans l’ordre. Il y a dans ce petit livre pour enfant une de réhabilitation de la relation adulte/enfant. Cela ne signifie pas qu’il n’y a effectivement pas de crocodiles ni de charognards qui ont des intentions malsaines à l’égard des enfants. Cela veut dire que 99,9% des mâles de notre société ont une relation affective avec les enfants dénués d’intention pédophile.

Jacques Trémintin : Quand Marceline Gabel évoquait la situation d’une directrice d’établissement qui a fait venir six fois un enfant pour le faire avouer, ce n’est pas une pratique courante. Je suis éducateur d’un service d’aide sociale à l’enfance. On ne le fait pas. C’était une dérive qu’elle dénonçait, je voudrais qu’il n’y ait pas de confusion.

Jacques Trémintin : Je vous propose que chaque intervenant dise quelques mots de conclusion par rapport à l’échange et à la journée.

Jacques Trémintin :Sur la fonction que cela a, il faudrait réagir à ce que disait Françoise Petitot toujours pour tenir les deux bouts de la chaîne, d’un côté l’accusation malveillante ou inconsciente qui va potentiellement détruire la vie d’un adulte, et puis l’autre bout de la chaîne qui est celui ou celle qui est effectivement victime d’agression. Je voudrais terminer par quelque chose qui m’a pour le moins récemment tétanisé. Je voudrais illustrer ce que Françoise Petitot évoquait tout à l’heure en terme de su et d’insu, de ce que l’on est en capacité de voir ou de ne pas voir. Une jeune fille de seize ans victime d’agression sexuelle m’a expliqué l’autre jour, qu’elle faisait régulièrement un cauchemar épouvantable où se rejouait le viol qu’elle avait subi. A un moment donné, je suis rentré dans ce rêve, en observateur passif. Je me tenais alors face à ce qui était en train de se passer, sans rien dire. Quand nous parlions de tétanisation tout à l’heure, je peux vous assurer que lorsqu’elle m’a raconté ce cauchemar, j’ai eu l’impression de m’enfoncer trois mètres sous terre. Que cette adolescente rêve de moi comme quelqu’un se  contentant de regarder, sans rien faire a été une remise en cause de ma capacité à voir et à agir. J’ai eu le sentiment de n’avoir pas été capable de jouer le rôle de protection qui m’est pourtant dévolu. C’est bien pourquoi, en tant que professionnel face à la maltraitance,  il faut de méfier tout autant de deux dérives. La première consiste à se considérer comme pur et totalement étranger à ces agresseurs qui ne feraient pas partie de la même humanité que nous. La seconde est plutôt à chercher du côté de l’aveuglement qui amène à une passivité sinon à une complicité qui nous empêchent d’intervenir au bon moment.

Je laisse le mot de la fin à Benoît Bossard.

 

10 décembre 2006