ANAS - 2005 – Synthèses des ateliers

Synthèse des ateliers

La fonction d’assistante sociale du travail existe depuis 1917.

 A 88 ans, le temps de l’adolescence et de l’entrée dans la maturité est bien loin. C’est une période de la vie où l’on dresse des bilans, en se demandant ce qu’on va léguer à ceux qui vont vous survivre.

Cette profession est-elle appelée à disparaître, après avoir engendré des rejetons qui ne lui ressemblent guère ? Ou bien ne fait-elle que renaître perpétuellement des cendres qu’on lui prédit régulièrement, en ne faisant que s’adapter pour mieux continuer à exister ? C’est à cette question que seront consacrés tant l’intervention de Monsieur Aballéa que la table ronde de cet après-midi.

Mais avant de réfléchir sur l’éventuelle répartition de l’héritage, il convient de tenter de dresser un état des lieux. Cela nous permettra de mieux déterminer ce qui peut être transmis, en l’état, aux nouvelles générations de professionnels et ce qui justifie qu’on s’en débarrasse dans un vide grenier.

Si l’on quitte la métaphore que je viens de vous proposer, on pourrait reformuler la problématique de la façon suivante : pour qu’une profession soit menacée, il faut que ce qu’elle propose soit suranné, dépassé et superflu. Arrêtons-nous donc quelques instants sur ce que l’assistante sociale du travail propose pour distinguer ce qui, dans son action, est idoine et ce qui est périmé, ce qui est adapté au contexte contemporain, et ce qui, manifestement, est superfétatoire.

 Et quoi de plus évocateur, que de reprendre la substance des ateliers qui se sont tenus durant près de trois heures hier après-midi. Une lecture attentive des comptes-rendus laisse apparaître très clairement trois constantes, trois compétences qui parcourent les débats comme autant de fil rouge. Il s’agit d’abord de l’affirmation d’une authentique expertise. C’est ensuite l’incontournable nécessité du partenariat. C’est enfin une capacité d’introspection qui n’hésite pas à situer en interne l’origine des faiblesses et des dysfonctionnements qui fragilisent la profession.

 

L’expertise

-        L’expertise peut prendre des formes très diverses. Elle se déploie sur des registres qui, pour être parfois partagés, n’en font pas moins de l’assistante sociale du travail un acteur privilégié à la fois d’accompagnement du changement individuel et social, mais aussi de protection à l’intérieur de celui-ci. Cette compétence traverse quasiment tous les ateliers.

-        Nous allons commencer par trois registres que l’on pourrait appeler « traditionnels », car quasiment atemporels.

-        Le premier d’entre eux est celui des difficultés financières des salariés auxquels l’assistante sociale du travail a toujours eu à faire face. Il n’y a pas de meilleure conseillère (sauf peut-être celles en économie sociale et familiale, mais ces collègues ne sont pas présentes dans les entreprises) pour apprendre à gérer un budget. Même si la précarisation rampante et l’ouverture inconsidérée des vannes du crédit ont fait passer ce type d’intervention du domaine du ponctuel à celui parfois du chronique, on reste dans la même dynamique éprouvée par le temps : tout travail dans l’urgence apporte une accalmie provisoire mais ne permet pas un travail sur le fond, risquant de provoquer une grave rechute. Il faut du temps pour rendre la personne actrice et la faire se réapproprier ses potentialités. Cela passe par une analyse financière rigoureuse permettant d’établir un diagnostic et un plan d’action psycho-social. (atelier n°8). On croirait lire du Cristina de Robertis ! Cette technique  apparaît particulièrement bien maîtrisée par la profession.

-        Second registre traditionnel : celui du retour à l’emploi d’un salarié, faisant suite à une maladie ou à un accident, à une maladie professionnelle ou un accident du travail. Là aussi, l’assistante sociale du travail joue un rôle moteur, gardant le lien avec le salarié, durant son arrêt de travail et proposant l’aménagement ou le changement de poste pour éviter un licenciement pour inaptitude. Elle développe alors tout un savoir-faire, négociant avec l’employeur et/ou avec l’agefiph pour maintenir le salarié au sein de l’entreprise. (atelier n°2).

-       La vie extérieure du salarié et plus particulièrement sa vie familiale constitue aussi un secteur d’intervention traditionnel. L’identification des problématiques liées directement aux difficultés de l’articulation entre vie privée et vie professionnelle fait aussi partie des compétences des assistantes sociales du travail qui savent tout particulièrement bien détecter les dysfonctionnements de la vie privée qui viennent perturber la sérénité du salarié au travail et essayer de convaincre l’employeur d’y remédier. Ainsi, ces fonctionnaires expatriés, démissionnant alors même qu’une perspective de carrière intéressante s’ouvrait à eux … décision incompréhensible jusqu’à ce que la cause en soit identifiée en la personne des conjoints en souffrance car vivant dans l’isolement et l’inactivité (atelier n°6). La solution adoptée consista alors à créer un club de conjoints. D’autres illustrations montrent la vigilance à intégrer cette dimension globale du salarié avec notamment la création de crèches ou encore de CLSH pour les enfants des salariés.

-        Le domaine de la vie privée du salarié est un terrain sur lequel les assistantes sociales du travail sont tellement attendues qu’on voudrait bien par les y enfermer. Pourtant, elles revendiquent d’intervenir aussi dans la gestion de la santé au travail. Ce qui n’est pas toujours accepté par des directions (atelier n°2). Et c’est là que réside l’un des défis majeurs de la profession : acquérir une nouvelle légitimité face aux mutations socio-économiques.

-        Le productivisme réactif qui nous a si bien été décrit par Philippe Akénazy engendre une nouvelle organisation du travail génératrice d’angoisse liée à une perte des repères ainsi qu’à l’émergence d’une insécurité nouvelle. Si l’assistante sociale du travail apparaît incompétente pour mettre en œuvre des stratégies de licenciement et de fermeture d’usine (ce dont nous ne pouvons que nous réjouir), elle est très vite repérée comme une précieuse interlocutrice, dès lors qu’un plan social est élaboré. Elle va alors s’investir tant pour accompagner les reclassements professionnels, que pour la recherche d’un nouvel emploi, pour l’aide aux démarches administratives que dans le cheminement aux côtés du salarié qui vit souvent cette période comme un effondrement de son existence. Elle est donc bien identifiée comme force de proposition et  agent d’accompagnement des salariés au changement (atelier n°1).

-        Il en va de même, concernant la mobilité professionnelle qui est souvent bien plus imposée que choisie, respectant en cela le dogme de l’adaptabilité qui n’est pas sans rappeler parfois la façon dont on décrivait le sort réservé aux serfs du Moyen-Âge : taillable et corvéable à merci. Le service social est parfois associé au dispositif qui la planifie. Quand il ne l’est pas au départ, il arrive qu’il le soit ensuite lorsque les problématiques apparaissent, liées à l’insuffisance de la prise en compte du facteur humain. Cela peut aller jusques et y compris dans la mise au point par le service social de critères très précis validés par la DRH quant aux situations prioritaires de mobilité (comme à l’Education nationale) (atelier n°5).

-        L’expertise ne se limite pas seulement à la gestion du présent. Elle peut se faire prospective, notamment en ce qui concerne la gestion du phénomène des seniors qui risquent dans les prochaines décennies de rester bien plus tard au travail. Le service social joue alors un rôle d’alerte, incitant les directions sur un problème qui pour ne pas s’imposer immédiatement deviendra de plus en plus prégnant. Mais il peut aussi inciter les salariés à réfléchir sur un bilan de carrière intervenant suffisamment tôt pour leur permettre de se projeter dans un avenir qui sera bien différent de celui des générations précédentes (atelier n°3). 

-        Les assistantes sociales du travail ont vu le champ de leur expertise s’accroître avec la gestion des catastrophes qui s’est développée tant au moment de l’accident d’AZF que ceux qui ont émaillé la vie de l’entreprise Air France au cours des dernières décennies. Cette nouvelle qualification a été renforcée par des formations au débriefing. Même si cette approche ne les a pas toutes vraiment convaincu tant les phases d’écoute, de reformulation et de prise en compte des émotions de l’usager qui constituent les étapes de cette technique leur sont déjà familières, il n’empêche que cette nouvelle mission qui leur est demandée, constitue une reconnaissance de leurs compétences. (atelier n°4-1).

-        Et puis, l’expertise de l’assistante sociale du travail perdrait toute crédibilité, si elle ne s’appuyait sur les nouvelles technologies de l’information :  ordinateur portable, logiciels de service social, intranet, internet, courrier électroniques, téléphones portables n’ont plus de secret pour nombre de professionnelles qui ont su s’adapter à ces outils à l’aune desquels -à tort ou à raison- on mesure aujourd’hui la performance du travail accompli.

 

Le partenariat

-        Le travail en partenariat constitue la seconde compétence la plus fréquemment abordée dans les ateliers. L’assistante sociale du travail s’affirme comme le maillon d’une chaîne qui la relie à différents interlocuteurs auxquels elle a conscience de la nécessité absolue de s’articuler. Il y va de sa crédibilité et de son efficacité.

-        En tout bien tout honneur, cette dimension incontournable de la fonction d’assistante sociale du travail a fait l’objet d’un atelier à part entière (n°9). Y ont été présentés les cinq conditions  d’un partenariat efficace : les partenaires doivent 1) trouver un intérêt mutuel 2) être à égalité 3) agir en pleine autonomie 4) coopérer entre eux et 5) bénéficier d’une évolution positive du fait de cette coopération. Cet atelier a été illustré par deux expériences menées dans les domaines respectifs de l’alcool et du harcèlement morale et sexuel, montrant la nécessité dans les actions de prévention de privilégier le partenariat entre les principaux acteurs de l’entreprise.

-        Mais, bien d’autres ateliers ont  évoqué cette ressource : que ce soit dans l’accompagnement des restructurations où l’assistante sociale du travail se situe clairement à l’interface entre le salarié et l’employeur (atelier n°1) ou encore dans le cadre du retour à l’emploi suite à une maladie développé dans l’atelier n°2 qui a mis en avant la nécessaire synergie avec les différents acteurs que sont les employeurs, les salariés, les syndicats, le médecin du travail.

-        Il en va de même dans les deux ateliers sur les pressions psychologiques (4-1 & 4-2) qui ont illustré la pertinence du travail de collaboration par l’expérience de la création d’association regroupant une quarantaine de professionnelles. Ce lieu leur permet de mettre en commun leurs pratiques, de partager les constats qu’elles peuvent faire et d’essayer d’harmoniser les représentations différentes qu’elles ont de réalités pourtant proches. Cette collaboration a permis, au moment de l’accident d’AZF, d’apparaître comme groupe expert, en fournissant aux autorités toute une série de données et d’information sur les salariés touchés par l’accident.

-        Sans oublier l’atelier n°6 portant sur l’articulation entre vie professionnelle et vie privée qui a, lui aussi, insisté sur la nécessité de trouver des partenaires adéquats tant au sein qu’à l’extérieur de l’entreprise.

-        L’aide à la gestion budgétaire n’a pas fait non plus exception, tant il apparaît essentiel que la professionnelle communique aux différents partenaires son cadre intervention, les règles et les limites de son action.

-        Les nouvelles techniques de communication, enfin, abordées dans l’atelier n°10 sont pour une grande partie le support d’un travail partenarial plus efficace.

 

L’introspection

-        Il est fréquent d’identifier des causes extérieures pour expliciter les problématiques qui nous mettent en difficulté ou en échec. L’estime de soi qui est à la base de notre rapport aux autres nous incite à nous protéger et à mettre en accusation l’Autre plutôt que d’essayer de se remettre en cause soi-même.

-        Les assistantes sociales du travail présentes dans les ateliers ont montré une capacité certaine à interroger leur pratique.

-        La participation aux restructurations (atelier n°1) ou à l’aménagement des conditions de mobilité (atelier n°5) pose la question de la présence des professionnelles au sein d’instances destinées à gérer la réorganisation du travail. Jusqu’où aller, se sont interrogées plusieurs participantes ? Comment éviter le risque d’une instrumentalisation par la direction. Cette même direction qui semble redécouvrir l’utilité du service social quand un gros problème éclate, exigeant de lui le règlement du problème dans l’urgence (atelier 4-1).

-        Dans ce même atelier une participante s’interrogeant sur la façon la plus appropriée de rendre visible le travail de l’assistante sociale est relayée par une autre professionnelle qui évoque l’impossibilité récurrente de la profession réussir à expliquer en moins de cinq minutes à un DRH ce que son action peut lui apporter.  Et d’évoquer la difficulté, voire l’incapacité à communiquer et à faire reconnaître sa légitimité.

-        Autre critique : à vouloir être trop créatif et réactif, ne risque-t-on pas de se disperser en voulant tout faire (atelier n°6) ?

-        La capacité de diagnostic social de l’assistante sociale du travail se heurte à sa déontologie : comment faire remonter les dégradations des conditions de travail quand le salarié qui s’en plaint demande à ne pas utiliser ses révélations (de peur d’en subir les conséquences) ? (atelier n°4-1)

-        Pour ce qui concerne les protocoles élaborés pour intervenir dans les situations de catastrophe, même s’ils revalorisent et légitiment la place des assistantes sociales du travail, ils peuvent aussi réduire leur action à des réponses aseptisées et standardisées, bien éloignées du suivi individualisé et adapté à chaque situation particulière qui appartient à la tradition du travail social.

-        Enfin, les nouvelles techniques de communication pour pratiques et efficaces qu’elles soient ne doivent pas réduire la relation humaine et remplacer le face à face mettant en contact deux personnes physiques.

-        Voilà un discours empreint de complexité fidèle aux sciences humaines qui tourne le dos aux techniques de management qui, pour reprendre le terme de Vincent de Gaulejac dans son dernier ouvrage, s’appuie sur le langage de l’insignifiance en niant toute contradiction et en la remplaçant par un positivisme systématique. La critique n’y est admise qu’à condition qu’elle bénéficie au seul objectif possible : accroître la compétitivité et la rentabilité de l’entreprise. La difficile reconnaissance parfois de l’utilité du service social du travail par l’employeur ne serait-elle finalement pas liée à la différence de vision de l’être humain : simple rouage au service de la productivité pour l’un, authentique sujet à qui doit être garanti un minimum de dignité pour l’autre ?

-        Au terme de cette synthèse, l’on retiendra un descriptif plutôt encourageant : une profession qui semble cultiver l’expertise, privilégier la relation de partenariat et projeter sur elle-même un regard rétrospectif lucide et critique n’accumule-t-elle pas les atouts pour relever les défis de la modernité ?

-       Mon mot de la fin, je l’emprunterai à Georges Brassens : « Toute est bon chez elle, il n’y a rien à jeter/ Sur l’île déserte, il faut tout emporter ! »

 

Jacques Trémintin - Mars 2005