CG 33 : Synthèses Journées Internat - 2007

Conseil Général, MECS, PJJ – Gradignan - La fonction éducative en internat - Synthèse des journées

Prologue

La synthèse de journées aussi riches que celles que nous venons de vivre est toujours une gageure. Celui qui en est chargé est confronté à deux tentations : rester proche de ce que les intervenants ont pu apporter, sans pour s’autoriser à faire des commentaires personnels ou bien privilégier une réflexion prospective à partir de ce qui a été dit.

L’exercice que j’ai choisi de faire devant vous sera à l’intersection de ces deux projets, avec tout ce que cela peut avoir d’arbitraire, de partiel et de partial.

La caractéristique qui traverse comme un fil rouge ces deux journées, c’est me semble-t-il que l’internat est dans un permanent « entre deux ».

Il se trouve tout d’abord entre le risque d’un retour du passé et d’un retour du futur.

 

Entre hier et demain

C’est Monsieur Dhaene qui a commencé par nous rappeler d’où nous venons. On peut constater que bien des traits qu’il a rappelés peuvent se retrouver dans notre présent sous une forme ou sous une autre.

Il nous a fait sourire quand il a évoqué ces fiches anthropométriques qui tentèrent d’identifier le profil des enfants placés (dents aiguisées et bras plus long que la moyenne). Pourtant, tout récemment, un travail de l’INSERM qui a défrayé la chronique, avec sa tentative prédictive de repérer ceux parmi les enfants qui risquaient de devenir délinquants une fois arrivés à l’âge adulte.

Quand il a raconté les mesures prises par l’assistance publique du brassage des enfants placés en famille nourricière, pour éviter que les parents qui les avaient abandonnés ne puissent les retrouver, on ne peut s’empêcher d’évoquer la volonté d’éloignement des quartiers des jeunes destinés à intégrer les CER et autres CEF (quelle que soient par ailleurs la pertinence ou non de l’existence de ces dispositifs).

Enfin, la gestion des pauvres dans une logique de charité chrétienne évoqué là aussi par Monsieur Dhaene ne peut que renvoyer à la prise en charge humanitaire récente, en France même, par les missions de Médecin Sans Frontière non seulement des étrangers qui ne bénéficient plus de l’aide médicale gratuite, mais aussi des familles dont les revenus dépassent de quelques dizaines d’Euros le  plafond fixé pour bénéficier de la CMU et qui n’ont pas les moyens d’avancer le coût des soins.

On constate donc que le passé n’est pas si éloigné et peut revenir dans notre présent très rapidement.

 

Pour ce qui est du retour du futur, c’est Monsieur De la Roche Mace qui nous a laissé entrevoir ce qui pouvait advenir d’une modernité aux effets pervers potentiellement délétères.

Commençons par ce processus d’individualisation qui s’est imposé au cours des décennies et qui en est venu à invalider tout collectif comme support qui serait par essence aliénant. L’institution n’apparaît en réalité totalitaire qu’à condition qu’elle soit totalisante. Tout au contraire, le groupe continue à présenter une dimension tout à fait positive en terme notamment de socialisation et de l’acceptation de l’autre.

Seconde tendance repérée, celle d’une judiciarisation qui tend à devenir la scène ultime où se règlent les conflits. S’il ne s’agit pas de revenir à un temps où l’institution réglait en interne toutes les transgressions y compris pénales, il convient aujourd’hui de revendiquer que le juge n’est pas le seul à pouvoir faire le sacro-saint « rappel à la loi ». Tout adulte doit pouvoir répondre devant un enfant des règles que la société s’est donnée pour permettre le vivre ensemble, en réservant aux situations les plus dégradées le recours au judiciaire.

Troisième tendance forte, le consumérisme qui pousse le secteur médico-social et éducatif à répondre aux désirs des usagers et non à ses besoins. Il n’y aurait plus de place que pour des consommateurs exigeant la satisfaction de leurs attentes. On est là dans une dérive liée à la marchandisation du social.

Inspirée surtout par la rationalisation des choix budgétaires, notre société cherche à évaluer les actions menées pour les rendre les plus efficientes possibles et rapprocher le rapport qualité/prix  d’un degré d’exigence optimale. Même s’il apparaît pertinent que les professionnels redonnent du sens à leur intervention et s’interrogent sur la pertinence de leurs pratiques, on ne peut écarter toute la dimension de l’indicible et la zone énigmatique du travail éducatif qui emprunte rarement les chemins balisés, contraints qu’il est de les inventer au fur et à mesure.

Autre tendance de la modernité, le mythe du risque zéro qui fait croire que tout peut être programmé, prévu et garanti. La victimisation galopante fait penser que rien ne saurait venir créer du traumatisme et que la sécurité absolue peut être assurée. Les conséquences potentielles sur le terrain se traduisent sous la forme d’une ouverture de parapluie et un désengagement de tout ce qui peut de près ou de loin  présenter un risque quelconque.

Dernière dérive, celle de la contractualisation mise à toutes les sauces, qui ne respecte aucune des prescriptions liées à cette démarche et notamment la pleine liberté et adhésion des parties s’engageant dans le contrat. Si le travail social peut réutiliser la pédagogie du contrat, ceux qu’il fait signer aujourd’hui ont un caractère éminemment léonin.

Toutes ces tendances qui placent aujourd’hui sous pression l’internat peuvent induire une forme de soumission et de résignation. Mais, il est aussi possible d’y résister selon l’adage préconisé par Jean-Paul Sartre « l’important n’est pas ce qu’on a fait de toi, mais ce que tu fais de ce qu’on a fait de toi »

 

Eloge de l’entre deux

Les ateliers qui se sont déroulés l’après-midi du lundi 26 novembre se sont inscrits dans cette même logique de l’entre-deux.

Entre le contenant et le contenu tout d’abord. La réflexion qui a porté sur l’architecture des lieux d’accueil l’a fort bien illustré. Il a bien été noté que si les conditions d’hébergement n’étaient pas indifférentes aux modalités de vie du groupe d’enfants, la façon dont on va l’habiter n’est pas non plus anodine. L’action de l’équipe éducative auprès du groupe d’enfants joue elle aussi un rôle essentiel. A preuve, ces lieux pas toujours moins dégradés, quand ils sont plus esthétiques et pas toujours plus attaqués quand ils sont moins beaux.

Autre « entre deux », celui qui oppose le dedans et le dehors. Préparer la sortie de l’enfant passe par l’aménagement du dedans. C’est parce qu’il aura été bien à l’intérieur du groupe qu’il se sentira d’autant plus près à en sortir pour affronter l’extérieur. Ils ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais étroitement reliés.

Il en va de même pour la relation entre la proximité et la distance. La première peut induire la promiscuité, mais est aussi garante de sécurisation. La seconde permet une autonomisation, mais peut être vécue comme forme d’indifférence. La préconisation, par exemple, d’une chambre individuelle ou de l’occupation avec un autre enfant ne se pose pas d’emblée, mais justifie à chaque fois de repérer le sens de la réponse adoptée.

Le droit des familles s’oppose au droit des enfants quand les premières n’assurent pas l’éducation des seconds dans les conditions minimales requises par la société. Pour autant, on ne peut les mettre en antagonisme absolu. On sait combien la validation parentale permet parfois à la séparation de se réaliser dans de bonnes conditions. Même si on ne peut pas toujours faire dépendre l’accueil de l’autorisation des parents, on sait bien l’importance de ne pas baser le placement sur leur rejet et leur stigmatisation. On n’est là donc ni dans l’alliance avec les parents, ni dans l’alliance avec les enfants, mais dans l’articulation des deux.

L’institution éducative ne peut se trouver dépendante du bon vouloir des familles comme l’illustre ce juge des enfants refusant d’intervenir auprès d’une adolescente qui se voyait refuser par son père toute autorisation pour fréquenter les activités culturelles et sportives parascolaires, au prétexte que l’attitude de ce parent ne mettait pas directement en danger son enfant. La loi sur l’autorité parentale de 2002 et celle sur la protection de l’enfance de 2007 ne permettraient plus à ce juge cette abstention. La gestion des actes de la vie courante doit revenir à ceux qui sont en charge effectif du quotidien. Mais l’institution ne peut non plus être dans la toute-puissance. Que ce soit dans son face à face avec la famille ou l’enfant, il importe qu’intervienne un tiers (qui peut être le juge en situation judiciaire ou l’ASE en situation administrative), tout comme l’institution intervient en tant que tiers pour éviter le face à face de l’éducateur avec l’enfant ou avec sa famille.

S’il est inimaginable d’envisager un retour à une période historique pas si ancienne où les parents étaient pas essence considérés comme pathologiques, l’idéologie du lien provoque bien des dégâts quand elle suppose qu’ « en dehors de la famille il n’y a pas de salut » ou « que le meilleur des placements ne vaut pas plus que la pire des familles » et autres « une mauvaise famille vaut mieux que pas de famille du tout ». La place de la famille doit être préservée…pour autant qu’elle affirme sa présence et démontre sa capacité à jouer son rôle. Encore faut-il se donner les moyens d’aller le vérifier.

Les maisons d’enfants  se posent régulièrement la question de la préservation de l’homogénéité de leurs groupes. Si l’équilibre obtenu peut être menacé par l’arrivée d’un nouvel enfant, l’hétérogénéité ne constitue pas seulement un risque. C’est aussi une ouverture vers la différence et la dynamisation potentielle.

Madame Bergeron nous a parlé de la continuité des compétences professionnelles entre les anciens et les nouveaux salariés. Le savoir-faire accumulé pendant des années constitue une richesse à part entière qui peut d’ailleurs être valorisée lors du processus de validation des acquis de l’expérience. La théorie s’articule avec la pratique non en la phagocytant, mais en l’éclairant et en lui permettant de se déployer. Là non plus il ne s’agit pas de les opposer mais de les relier d’une manière souple et dialectique.

Madame Elbaz nous a démontré ce que nous savions déjà, mais que nous n’avions plus en conscience : le quotidien vécu avec l’enfant, loin de sa fausse banalité routinière est source d’évènements infimes, d’avancées et de stagnations, de silence et de paroles qui sont autant d’élément inscrivant la fonction de l’éducateur dans l’éthique et la symbolique. Les explications et caractérisations ne doivent pas, en objectivant le sujet, le faire taire. Si l’on ne peut se passer de la nécessaire élaboration, on ne peut non plus banaliser la poétique du quotidien qui permet de se laisser surprendre et de créer du lien.

Dernière illustration de l’entre-deux (mais on pourrait en imaginer bien d’autres), celle évoquée par madame Queval qui concerne le fossé souvent important entre les valeurs des professionnels et celles de l’enfant et de sa famille. Aller vers l’autre passe par le renoncement à la défense étroite de ses représentations et la stigmatisation de l’autre à partir de ses propres préjugés.

L’internat éducatif trouve sa raison d’être dans « l’entre deux » permanent : il n’a pas à choisir, mais à tenir en tension les deux extrêmes qui se présentent à lui.

 

Pistes de travail

La première piste que je retiendrai m’a été inspiré par l’expérience menée par l’association Montjoie à Tours. Répondant à un appel d’offre du Conseil général d’Indre et Loire pour créer un établissement, sa proposition a été validée par la collectivité publique. Elle consistait à créer une structure éclatée regroupant un ensemble de modalités d’accueil allant du foyer d’adolescents classique de 12 places aux 7 studios individuels, en passant par 3 lieux de vie, un petit placement familial composé de 3 assistantes familiales et 3 appartements collectifs recevant chacun 7 jeunes. On est là face à un véritable plateau technique qui propose une prise en charge adaptée à la difficulté spécifique de chaque jeune accueilli. Non seulement, on va pouvoir faire correspondre les modalités d’accueil à ses difficultés, mais il va être possible de les faire progresser du moins au plus d’autonomisation, en fonction de son évolution. S’il est difficile de reproduire à l’identique cette expérience qui a bénéficié d’une construction sur un terrain arasée, on peut imaginer une mutualisation des dispositifs déjà existants qui, au lieu d’être au mieux dans l’ignorance ou au pire dans la compétition ou la concurrence pourraient s’articuler et se coordonner autour de l’intérêt de l’enfant. Il s’agirait dès lors non de le faire entrer de force dans des cases pré-établies mais de diversifier les modes d’accueil et de les rendre souplement accessibles.

 

Seconde piste, celle qui concerne la question centrale : qui prend soin de celles et de ceux qui prennent soin des enfants ? Le Conseil général du Nord a apporté une réponse originale et pertinente : le Service départemental d’accompagnement professionnel personnalisé (SDAPP). Ce service propose tout d’abord le parrainage pendant six mois de tout nouvel arrivant sur son poste. Il peut bénéficier du soutien d’une personne ressource qui accepte de se rendre disponible. Second dispositif : un accompagnement individuel proposé à tout agent rencontrant une souffrance au travail. La prise en charge de la misère du monde ne peut que provoquer en retour le mal-être chez l’intervenant : c’est le postulat de base. Un bon professionnel est celui qui sait faire le point de ses difficultés au lieu de les dénier. Cinq conseillers en accompagnement professionnels ont été nommés et formés pour assurer cette aide. Troisième dispositif, des groupes d’expression qui offrent un support du collectif à l’élaboration de ce que chacun vit au quotidien dans sa confrontation aux usagers. On n’y parle pas de la prise en charge des usagers ou des cas difficiles, mais bien des émotions et ressentis vécus dans le quotidien professionnel par cette pris en charge ou ces situations particulièrement lourdes.

Là aussi, ce dispositif n’est pas forcément destiné à se reproduire à l’identique. Il peut néanmoins inspirer des décideurs et les encourager à prendre en compte les implications personnelles du travail auprès des usagers.

 

Dernière piste que je voudrais développer, celle de la gestion participative des professionnels aux changements de leur institution. Pendant longtemps les travailleurs sociaux ont cru qu’il suffisait d’intervenir dans les familles, en apportant la bonne parole ou en donnant l’exemple pour faire advenir un changement. C’était le rôle dévolu aux infirmières visiteuses qui sont avec les surintendantes d’usine les ancêtres des assistants de service social. Elles étaient dépêchées dans les familles pour montrer les gestes adéquats permettant de faire reculer la tuberculose. Le travail social contemporain a compris qu’il ne pouvait plus agir ainsi. Saül Karzsz explique les trois modèles cumulatifs qui l’inspirent : la charité (vouloir le bien pour autrui), la prise en charge (faire à la place de) et la prise en compte (placer l’usager en situation de sujet de son devenir). Nous utilisons alternativement ces fonctionnements, selon les circonstances.

La gestion des salariés et des agents doit relever de ces  mêmes dynamiques. Il n’est plus pertinent de venir nous expliquer comment il faut qu’on agisse. Le temps est venu d’associer les professionnels de terrain à leur devenir. Il n’est pas question d’autogestion : les élus et les cadres dirigeants sont chargés à leur niveau de responsabilité de prendre les décisions. Mais nous ne pouvons plus être non plus seulement des exécutants d’orientations prises par des cadres sensés penser pour nous alors que nous ne serions là que pour  appliquer.

C’est ce qu’ont commencé à initier ces deux journées qui doivent trouver une prolongation en 2008 et en 2009. Leurs initiateurs ont amorcé une pompe. Ils ont la lourde responsabilité de ne pas décevoir celles et ceux qui leur ont fait confiance. Il est essentiel que les efforts engagés ces deux derniers jours aient une suite visible et identifiable.

Je vous remercie.

 

Jacques Trémintin - 27 novembre 2007