Interventions
FN3S- Nancy - 2007 - Protection de l’enfance
Table ronde sur la protection de l’enfance - FN3S Nancy - 16 novembre 2007
Le vendredi 16 novembre, une table ronde était consacrée à la protection de l’enfance : « réforme pertinente ou nouvelle forme de centralisation ? » précisait l’intitulé. L’argumentaire s’interrogeait en ces termes : « la loi du 5 mars 2007 est-elle gage d’une plus grande cohérence du dispositif, placé sous une seule autorité ou va-t-elle produire un nouveau corps d’ »experts à l’échelon départemental, tandis que les acteurs judiciaires seraient cantonnés à un rôle subsidiaire ? Quels effets sur nos pratiques, nos services, le profil des familles concernées. »
Première intervenant à ouvrir le débat Fabienne Quiriau, aujourd’hui Directrice générale adjointe de l’UNASEA, mais jusqu’en mai 2007, conseillère de Philippe Bas, Ministre Délégué à la Famille du gouvernement Villepin. De par sa place de proche collaboratrice du ministre, Madame Quiriau a pu apporter un témoignage de première main sur la genèse de la loi. Elle a d’abord rappelé le contexte dans lequel la nécessité de faire évoluer la législation sur la protection de l’enfance a émergé. De nombreux rapports avaient été consacrés à cette question dans les années précédentes. Il y a d’abord eu le rapport de Monsieur Roméo, en 2001, puis celui de la mission de l’Assemblée Nationale Bloche Pecresse, en 2004. En 2005, pas moins de cinq rapports furent publiés dans l’année : celui du sénateur Philippe Nogrix (procédure de signalement de l’enfance en danger), celui du sénateur Louis Broissia (prise en charge des mineurs), celui de l’ONED (enfance en danger), celui de la mission d’information sur la famille de l’Assemblée Nationale et enfin celui de Claire Brisset, Défenseure des Enfants. Tous ces écrits convergeaient vers les mêmes conclusions : la superposition des intervenants, le compartimentage de leur action, l’éparpillement, l’absence de graduation et la dimension très binaire des modes d’intervention à géométrie variable, l’excès de judiciarisation des situations qui pour un tiers auraient pu justifier d’un traitement administratif. Autre facteur ayant notablement marqué l’opinion publique : l’affaire d’Angers qui démontra les failles du dispositif de signalement. Il existait bien diverses expériences locales venant renouveler les pratiques en protection de l’enfance, mais elles n’avaient aucune base légale. Le projet de loi a été préparé dans une recherche d’approche globale, de regard croisé, d’analyse pluridisciplinaire, mais aussi avec la volonté de défendre les intérêts de l’enfant. Pour favoriser cette synergie il fallait déterminer un pilote. Le choix a été fait de conforter le président du Conseil général, ce qui n’est pas sans risque d’évincement des autres acteurs. Finalement, le projet de loi a été décliné en trois axes : la prévention, l’information et notamment son partage et la prise en charge, Fabienne Quiriau développant succinctement chacune de ces dimensions. Fabienne Quiriau reviendra sur la mouvance parallèle des deux lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance, dont l’esprit respectif s’oppose et la cohabitation n’est pas toujours évidente. Elle rappellera le combat qu’il a fallu mener au moment des votes parlementaires, pour éviter certains amendements qui voulaient instaurer un dépistage précoce ou la suspension des allocations familiales. Le texte final sera bien moins pire qu’il aurait pu être, concluera-t-elle.
Ce fut ensuite à Fabienne Le Texier, substitut du Procureur de la République en charge du parquet des mineurs au TGI de Nancy de prendre la parole. Elle en convient d’emblée : la protection de l’enfance a une mauvaise image auprès de l’opinion publique. Sa lenteur, son opacité, le manque de collaboration des ses acteurs sont autant d’éléments permettant d’expliquer cette perception négative. La nouvelle loi apporte toute une série d’orientations nouvelles, telle la possibilité d’un partage de l’information entre professionnels. La loi de Philippe Bas, fera-t-elle remarquer, donne une possibilité, là où la loi Sakozy rend obligatoire la transmission de ces mêmes informations au maire. Parmi les autres innovation, Fabienne Le Texier notera l’introduction de la souplesse dans la pris en charge, notamment en ce qui concerne la durée de l’accueil. Elle regrettera toutefois que le législateur ait maintenu le terme de placement pour désigner la séparation d’avec le milieu familial. Enfin, elle notera que si le Président du Conseil général se voit confier le pilotage du dispositif, le parquet se voit quant à lui chargé du rôle de contrôle de l’action de celui-ci. Il sera nécessaire qu’une articulation s’établisse entre l’un et l’autre, au travers de protocole qui reste à élaborer. On pourrait en la matière s’inspirer de la Moselle qui a conçu depuis quelques années déjà une Cellule Enfance Maltraitée qui s’est montré efficiente.
Laurent Gebler, vive-président du TGI de Libourne et ancien juge des enfants au TGI de Nancy, prendra la suite de sa collègue du parquet, en évoquant les lignes qui sont en train de bouger au sein de la justice de mineurs. Il en veut pour preuve la loi de 2002 prévoyant, par expérimentation, l’attribution systématique des mesures au Conseil général, celui-ci ayant la charge de trouver un lieu d’affectation pour l’enfant. Puis il y a eu la loi portant réforme de la protection de l’enfance en mars 2007. Sans oublier l’appel de Rachida Dati, nouveau ministre de la justice, à tester, dans des juridictions volontaires, la séparation du traitement de l’enfance en danger de celle de l’enfance délinquante. Qu’est-il en train de se passer ? Pendant longtemps les pratiques éducatives ont été fondées sur un paternalisme judiciaire, l’autorité un peu mythique du juge des enfants. Quant aux pratiques judiciaires, elles ne vérifiaient jamais l’utilité de leur intervention. Il était manifestement plus facile d’entrer dans une mesure d’assistance éducative, que d’en sortir. Pourtant, le code civil précise bien que le magistrat se doit de rechercher l’adhésion des familles. La nouvelle culture de la subsidiarité pose comme principe de confier aux parents la responsabilité de protéger leur enfant. Le Conseil général est chargé de les aider à assumer ces fonctions. Ce n’est qu’en cas d’échec à la fois de la famille et des services de prévention, que l’autorité judiciaire sera concernée. On a pu, jusque là, adresser aux services sociaux le reproche de faire du chantage au signalement. La logique de la contractualisation qu’on veut opposer, présente elle aussi ses effets pervers : il faut que les personnes soient d’accord et contentes de l’être dans une dynamique de collaboration loyale et ouverte. Or, la collaboration n’exclut pas toujours une situation de danger. La nouvelle loi sur la protection de l’enfance n’est pas allée suffisamment loin pour ce qui concerne la confusion totale entre ceux qui signalent et ceux qui accompagnent et qui aident. Il eût fallu introduire un tiers autre que le Conseil général pour proposer à la famille un lieu où être entendue par un autre interlocuteur que celui qui la met en accusation.
Stéphanie Moukha, avocate au barreau de Nancy, s’étonnera que la loi de mars 2007 n’aborde à aucun moment la place de l’avocat : on proclame les droits de l’enfant, mais on ne donne pas les moyens à celui-ci de les rendre effectifs. Mais, son propos sera surtout très critique à l’égard de la loi Sarkozy. Pourquoi n’avoir pas conçu une seule loi sur l’enfance s’interrogera-t-elle, tant l’enfant délinquant a aussi besoin d’être protégé ? Elle fustigera longuement la contrainte faite aux professionnels d’avoir à informer le maire de situations familiales à problème. Drôle d’évolution juridique, conclura-t-elle, qui fait peser le doute sur les magistrats et charge les Conseils généraux et les maires de lourdes responsabilités : qu’adviendra-t-il, en cas de problème ?
Jacques Lepetit, représentant de la FN3S, terminera cette table ronde, en s’interrogeant sur la déstabilisation des pratiques qu’implique, pour les services d’investigation, la nouvelle loi. Peut-on être sûr de la préservation des missions confiées jusque là ou doit-on en douter s’interrogera-t-il notamment ? Sommes-nous trop frileux, en hésitant à présenter nos services aux Conseils généraux, continuera-t-il ? Choisissant d’être résolument optimiste, Jacques Lepetit en appellera à la valorisation de l’expérience et de l’expertise accumulées depuis des décennies pour penser que personne ne saurait négliger tout le savoir-faire ainsi accumulé.
Les questions issues de la salle feront une large place à l’inquiétude montante chez les professionnels : les travailleurs sociaux ne risquent-ils pas de devenir partie prenante dans le contradictoire au même titre que l’avocat ou le parquet ? Le secret que l’on veut nous faire partager ne risque-t-il pas de s’étendre bien au-delà des professionnels du social ? La loi de 2007 qui étend les prérogatives de la protection de l’enfance le fait à moyens constants, l’intervenante donnant l’exemple d’une ville de la région parisienne qui pour 200.000 habitants ne compte que deux médecins de PMI et deux travailleurs sociaux de l’ASE. Et enfin, un participant en appellera à la méfiance contre un gigantesque marché de dupe que constituent des lois qui privilégient de plus en plus le tout le répressif et le contrôle social.
Compte-rendu rédigé par Jacques Trémintin