JET ANAS - 2007 - Portées et limites du réseau

Evoquer la nécessaire collaboration entre les professionnels de l’action sociale est devenu au cours des dernières années un leitmotiv pour ne pas dire une litanie.
Pour évident et incontournable que cela puisse paraître au premier abord, il ne faut pas perdre de vue que le travail partenarial comporte sa part de lumière et sa partie obscure qu’il convient de percevoir dans toute sa complexité.
C’est ce que nous allons tenter de faire dans cette courte introduction.
Dans notre pays, les assistants de service social se sont pendant longtemps abreuvés à la méthodologie du casework, le travail social de Groupe ou d’Intérêt Collectif ayant beaucoup de mal à se frayer un chemin.
Pourtant, la nécessité de ne plus rester seul et d’adopter des démarches bien plus transversales s’est progressivement imposé à la suite du développement de plusieurs réalités concomitantes.
Citons rapidement l’émergence de nouvelles problématiques, telle la grande pauvreté par exemple face à laquelle chacun se sent impuissant tout seul dans son coin, mais aussi le brouillage d’un dispositif d’action sociale devenu au fil des années de plus en plus spécialisé, de plus en plus complexe et de plus en plus indéchiffrable, sans oublier le déploiement dans le secteur social de nouveaux métiers, avec le risque inhérent d’une dissolution des frontières professionnelles.
La nécessité du travail en réseau est donc devenu incontournable.

 

Forces du travail en réseau

L’une des premières formes prises par ce réseau a toujours existé : c’est le carnet d’adresse, la collaboration fructueuse qui crée un tissu relationnel sur lequel on peut s’appuyer, le service complémentaire demandé à une collègue.

Mais la vraie nouveauté de ce que l’on appelle le travail de réseau va bien plus loin. Ce dont il est question, c’est la constitution de ces regroupements de professionnels partageant tous le même projet ciblé et qui décident de mettre leur réflexion et leurs efforts en commun pour mieux répondre aux problèmes d’un usager. On se lie pour  se compléter, car on est convaincu que la problématique en cause dépasse de loin les capacités d’un professionnel isolé à y faire face seul.

Malgré l’intérêt évident d’une telle dynamique, elle a quelque mal à convaincre et à essaimer. Peut-être d’abord parce que, ne pouvant vraiment fonctionner que dans une logique horizontale, elle s’oppose diamétralement au fonctionnement vertical traditionnel des institutions. Le réseau est une réalité qui échappe complètement au contrôle des différents services impliqués. Il dérange les liaisons hiérarchiques et le mode de management classique.

L’enrôlement dans ses rangs ne peut donc passer que par l’intéressement préalable et la persuasion qu’il y a un intérêt à y adhérer. C’est pourquoi, le travail de réseau ne se décrète pas. Il peut juste être favorisé par le soutien de ce qui s’est déjà mis en place spontanément ou par la création des conditions favorables à son émergence.

Au final, le travail de réseau implique une culture professionnelle qui renonce à la recherche de la bonne solution ou de la bonne méthode, chacun cherchant à convaincre l’autre de la validité de son point de vue. Faire fonctionner un réseau implique l’abandon de toute volonté hégémonique visant à imposer une approche dominante. Entrer dans le réseau implique de laisser toute vision dogmatique à son seuil, au profit d’une concertation entre les différents angles de compréhension de la personne : aider à rechercher une solution et à mettre en œuvre des propositions, ce n’est pas les imposer, mais balayer le champ des possibles, repérer les limites des interventions de chacun et s’enrichir des connaissances et des expériences de tous.

Le réseau s’édifie sur la base d’une double condition. Chacun accepte de placer  ses propres pratiques professionnelles sous le regard critique et la conflictualité d’approches différentes. Mais personne ne doit se sentir instrumentalisé, ni subir une quelconque pression à se rallier un point de vue dominant et doit avoir la garantie de conserver la plénitude de ses missions et de ses légitimités.

Convenons qu’il s’agit là d’une démarche pas toujours facile à engager.

 

… et ses faiblesses

Comme toute méthodologie d’action, le travail en réseau porte en lui sa part obscure.

Cette coordination peut déboucher sur une forme abusive de contrôle social, faisant sortir l’usager de l’opacité à laquelle il a droit.

La force acquise par le réseau des intervenants peut affaiblir les réseaux primaires (familiaux, amicaux, de voisinage …).

Sans compter la dépendance de cette forme d’intervention à l’égard des personnes qui l’animent : qu’elles viennent à changer de poste et le réseau peut disparaître.

Autres caractéristiques peu propices à sa pérennisation, ce mode de fonctionnement se distingue par sa dimension largement informelle (il est appelé à disparaître en cas de non activation des liens) et la labilité des relations qu’il implique (aucun engagement ne peut durablement lier les partenaires).

Enfin, le travail de réseau implique la question du partage de l’information. Ce sujet  avait déjà fait l’objet d’un débat parlementaire au moment de la refonte du Code Pénal, en 1992. La crainte de voir le secret professionnel fragilisé a finalement convaincu le législateur de renoncer à ce partage. Sans valeur légale, cette pratique est néanmoins courante. Elle pose à l’évidence un problème éthique : comment articuler l’obligation du secret avec la transmission d’informations nécessaire pour mener à bien l’action au bénéfice des personnes aidées ? S’il faut systématiquement se poser la question de l’utilité et de la pertinence de ce que l’on dit de l’usager et à qui on le dit, on ne peut qu’appeler à la résistance face au travail en réseau institué par la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance qui fait du maire le dépositaire, par l’intermédiaire d’un coordinateur nommé par lui, des informations confidentielles sur les familles les plus en difficulté.

Le travail en réseau n’est qu’un support dans une boite à outils. Il doit pouvoir être affiné et taillé pour correspondre aux besoins des professionnels.

Les journées d’étude du travail 2007 sont placées sous la double réflexion de l’affirmation de l’identité professionnelle et du partenariat. L’occasion pour la profession de préciser ce qui constitue pour elle la portée et les limites du travail avec ses partenaires.

Les assistantes sociales du travail ont réussi depuis 90 ans à élaborer et à préserver leur identité qu’elles ne sont pas prêtes à voir remise en cause. Se distinguer pour mieux se reconnaître et s’articuler, voilà comment elles entendent trouver la juste distance. Ce n’est pas un refus du travail avec leurs partenaires, c’est le refus de la confusion.

Que ces deux journées soient fructueuses et fécondes.

Je vous remercie de votre attention !

 

Jacques Trémintin - 7 juin 2007