Mayenne - la parole de l’enfant 1

1- PORTÉE ET LIMITE DE LA PAROLE

1-1 de la parole comme outil d’humanisation 

La communication peut se définir comme un processus de mise en commun d’informations et de connaissances.
 
Le monde animal est coutumier de ce mécanisme : il communique par des effluves chimiques (les chiens savent suivre une trace à l’odeur), par des pressions tactiles (l’araignée identifie les vibrations sur sa toile), par des signaux visuels (danse de l’abeille indiquant à ses congénères qu’elle a trouvé des fleurs à butiner : un cercle si c’est à moins de 100 mètres de la ruche, en huit si c’est plus loin, l'inclinaison de l'axe par rapport au soleil indiquant la direction du butin, et la rapidité de la danse précise la distance), enfin par des sons (cris d’alerte, chant d’amour…).
L’homme utilise ces mêmes sens pour communiquer. Les phéromones jouent un rôle essentiel dans l’attirance amoureuse, mais aussi dans le rite de convivialité (le rapprochement des visages lors d’une embrassade était initialement destiné à identifier dans l’odeur de l’autre des signes éventuels d’agressivité ou d’hostilité). La symbolique d’entrée en relation par le serrage des mains s’origine, au travers du contact tactile, dans l’identification d’une intention pacifique. Le regard est aussi essentiel pour identifier l’interlocuteur ou la situation à laquelle on est confronté. Certains chercheurs affirment que 55% du message capté par notre interlocuteur est directement lié à notre communication non verbale : expressions du visage, postures, gestes, bruits divers, choix vestimentaires, coiffure, position du corps, maquillage, mimiques… Les messages non-verbaux, du fait qu’ils sont émis et perçus par des centres nerveux très archaïques, sont exprimés en toute inconscience. A ce titre, ils peuvent trahir notre pensée et s’inscrire en contradiction avec ce que nous disons. On peut prendre l’exemple du clignement des yeux. Normalement, on cligne des yeux une vingtaine de fois par minute, et chaque mouvement des paupières dure un quart de secondes. Si ce mouvement de clignement ou de battement des paupières s’accélère, cela peut être le signe d’un trouble, d’une excitation, d’un stress... ou d’une poussière dans l’œil !
Mais l’espèce humaine a particulièrement développé la communication verbale sous une forme unique dans tout le règne animal : la parole.
Ce mode de transmission d’information qui est devenu une modalité essentielle de l’existence humaine  présente bien des vertus qui vont au-delà du simple outil fonctionnel.
La première de ces vertus tient dans l’existence propre de la parole. Les mots ne sont pas soudés aux choses, ni à celui qui parle. Même s’il existe 2.796 langues parlées et 350 qui sont écrites, chacune d’entre elle s’appuie sur un code symbolique autonome par rapport aux individus et aux situations.
La seconde particularité de la parole relève de la prise de distance qu’elle permet par rapport au monde : l’univers exprimé ne se limite pas au seul ressenti. Même si les émotions jouent un grand rôle dans l’expression, les mots permettent d’aller bien au-delà.
Enfin, la parole permet de vivre dans le passé (par l’actualisation des ses souvenirs) et dans le futur (par l’anticipation de ses actions). Là où il y a parole, il y a progrès pour l’être humain, tant dans ses capacités à prendre en main son destin qu’à changer le monde.
Dans les sociétés primitives, on parlait aux objets, aux animaux et aux esprits, autant qu’aux hommes. L’individu était le porte-parole ou l’interprète du discours de la communauté.
L’une des grandes évolutions du monde moderne est d’avoir placé la parole au centre, de faire des humains ses seuls destinataires et d’avoir permis à l’individu d’en devenir l’auteur.
Trois innovations que l’on retrouve dans la démocratie (l’argumentation est devenu un idéal de la communication), l’émergence de l’individu (considéré comme sujet unique, doté d’une parole unique, enracinée dans une intériorité propre) et bien entendu le recul de la violence (la mise en scène publique de la parole a pour vocation de remplacer l’affrontement).
 
Pour autant, le simple fait de parler ne constitue absolument pas une garantie de non-violence : il est des silencieux paisibles et des bavards capables d’une cruauté inouïe. La parole peut tout autant servir à s’exprimer, convaincre et informer (ce sont même là ses trois formes : expressive, argumentative et informative) qu’à mentir, manipuler ou désinformer.
 

1-2  Parole manipulatrice

La différence entre l’animal et l’être humain, c’est que le premier se limite à s’exprimer, alors que le second cherche avant tout à convaincre. Il existe deux façons d’obtenir de quelqu’un qu’il fasse ce qu’on voudrait le voir faire : le rapport de force ou la persuasion. Si la première méthode fut longtemps dominante, la seconde est de plus en plus valorisée, conséquence de la crise d’autorité que l’on connaît dans toutes les sphères de la société. D’outil d’argumentation et de sens, la parole peut alors très vite devenir machine à manipuler.
Dès l’antiquité, une école philosophique, le sophisme, prétend être en capacité de défendre avec un talent égal une cause et son contraire.
Mais, ce n’est qu’à partir des XIX et XXème siècles que la propagande et les techniques de manipulation atteignent leur plein essor.
La propagande s’appuie sur de multiples biais pour modifier la réalité dont elle se prétend être l’interprète : simplification des arguments pour les rendre plus assimilables, grossissement des faits (en les défigurant au besoin), amplification des affects (séduction, esthétisation, recours à la peur), recherche d’un effet fusionnel (répétition  inlassable du message, hypnose et synchronisation).
La psychologie sociale a étudié des modalités de communication quotidienne qui s’inscrivent dans la même dynamique manipulatrice. Elle a mis en évidence toute une série de mécanismes cognitifs : les cadrages menteurs (affirmations fausses présentées comme véridiques), cadrage abusif (amalgame et généralisation non fondées), cadrage contraignant (enfermement dans un schéma mental dont on peut plus sortir), effet de primauté (mémorisation en priorité de l’information que l’on perçoit en premier), effet de halo (généralisation à partir d’un seul élément, la perception venant privilégier ensuite ce qui confirme la première impression), heuristique de représentativité (évaluer une situation particulière à partir de ce qui la fait ressembler aux situations plus générales), dissonance cognitive (la comparaison avec ce que l’on connaît ou ce que l’on s’attend à trouver prend le pas sur ce qu’il y a de spécifique, d’original et d’unique dans chaque cas particulier), biais motivationnel (céder à la contamination du croire par le désir),  heuristique de  disponibilité (prise en compte des  seules informations disponibles).
 
Trois illustrations nous permettront de mieux comprendre les pièges de la parole :
▪       Ne vous est-il jamais arrivé de vous emballer pour une paire de chaussures en promotion en vitrine ? Une fois entré dans le magasin, votre taille n'étant plus disponible, on vous propose un modèle aux qualités identiques quoiqu'un peu plus cher. Résultat, vous sortez avec un produit que vous n'auriez jamais acheté autrement. C’est "l'amorçage" : prise de décision à partir d'une information partielle qui entraîne une persévération d'une décision bien plus coûteuse.
▪       Un représentant qui commence par vous faire signer un certificat de bonne santé qui ne vous engage à rien. Une fois le document paraphé, vous voilà entraîné dans une spirale aboutissant à l'établissement d'un contrat d'assurance vie. Cette deuxième illustration correspond au procédé dit de "pied-dans-la-porte" : il s'agit de faire précéder une requête coûteuse par une première bien moins coûteuse. .
▪       Un copain qui connaît de graves difficultés financières et qui vous demande de lui avancer 15 000 Euros. Devant votre refus poli mais ferme, il vous demande au moins 500 francs que vous lui donnez immédiatement,  Euros trop heureux de vous en tirer à si bon compte. Cette troisième attitude est appelée, la "porte-au-nez" : le refus de la première requête prédispose à l'acceptation d'une seconde.                    
 
Y a-t-il une fatalité à la manipulation ? Non. La parole n’est en elle-même ni bonne, ni mauvaise : elle donne une chance à deux intelligences d’en venir aux mots plutôt qu’aux mains. Le pouvoir de la parole est justement de permettre de s’opposer à la parole du pouvoir. Si elle est forte, ce n’est pas en tant que telle, mais au travers du couple qu’elle forme avec celui qui la reçoit. D’où l’importance de d’apprendre à l’utiliser avec pertinence.
 
Deux principes permettent de contrer sa mauvaise utilisation. C’est d’abord l’écoute active qui est devenue un élément déterminant de l’art de convaincre : l’émetteur doit anticiper la réception de son message persuasif et l’intégrer à sa conception même. « La parole nous a été donnée non pour parler mais pour écouter » affirmait Valère Novarina. Et puis, la parole est ce qui nous lie autant à nous qu’aux autres. La symétrie qui s’établit dans cette relation fait de cet autre le seul juge de ce que l’on lui dit et de ce dont on essaye de le convaincre.
 
 

2- LE MENSONGE ET L’ENFANT

2-1 De quelques arrangements avec la vérité

Toutes les cultures ont toujours stigmatisé le menteur qui se joue de la confiance et de la naïveté de son interlocuteur.
Et pourtant, si l’on en croit la psychologue Claudine Biland nous mentons tous, tout le temps, au rythme moyen d’une fois et demi à deux fois par jour !
Si cette pratique universelle est à ce point banalisée, c’est sans doute que la plupart des gens préfèrent ne pas savoir. C’est même là un devoir pour ne pas blesser autrui, choisir de dire la vérité pouvant avoir des conséquences encore plus redoutables. Imaginer un monde sans mensonges est bien plus terrifiant que le contraire : les gens qui disent tout ce qu’ils pensent sont bien peu fréquentables…
L’être humain possède une grande capacité à cacher son état réel et de fabriquer un état fictif.
Dans 25 % des cas, le mensonge est altruiste (pour préserver l’autre). Dans les 75% autres, il est égoïste (donner une bonne image de soi, éviter une punition, un conflit, une rupture, obtenir un avantage…).
Pour qu’il y ait mensonge, il est nécessaire que soient réunies trois conditions : une connaissance assez exacte du réel, une volonté de vouloir dissimuler la vérité et une imagination suffisante pour construire la fable et préparer les parades éventuelles. 
Bien mentir est tout un art : il faut savoir contrôler avec précision la totalité des mouvements émis, pour ne pas éveiller les soupçons, tout en ne paraissant pas guindé. Le bon menteur est celui qui prépare son forfait, réfléchit vite, sait être prolixe, possède une excellente mémoire, gère bien ses émotions et s’avère un comédien de qualité.
Par contre, celui qui est très émotif et possède une haute conscience morale s’avèrera un piètre praticien. Si chacun d’entre nous utilisons bien plus souvent le mensonge qu’il ne le pense, il l’identifie plus difficilement qu’il ne le croit. 
Détecter correctement le mensonge est, à n’en pas douter, un art aussi délicat que le mensonge lui-même. Il faut renoncer aux stéréotypes courants. Les différences comportementales entre celui qui ment et celui qui est de bonne foi sont si peu nombreuses, discrètes et furtives qu’il est complexe de les distinguer : détourner le regard, bégayer et buter sur les mots ne sont pas des indices significatifs, se retrouvant autant chez l’un que chez l’autre. Sans compter les mécanismes d’induction. La suspicion crée un état de stress et de nervosité chez celui qui doute. Chacun a tendance, par intersynchronie, à imiter son vis à vis. L’interlocuteur va donc adopter, en miroir, le même comportement que celui qui l’interroge et donner lui l’impression de connaître un trouble particulier. Ce qui sera alors interprété, à tort, comme la preuve de son mensonge...
Pour confondre un menteur, mieux vaut cultiver la suspicion, taire ce que l’on sait et multiplier les questions, faire répéter les propos de celui qu’on suspecte et comparer son attitude présente à celle qu’il adopte habituellement. Sans garantie pour autant, de réussir à distinguer à coup sûr, le vrai du faux.
 

2-2 Pourquoi l’enfant ment

Avant 7 ans, l’enfant ne sépare pas le subjectif de l'objectif, distingue difficilement le vrai du faux, ne discrimine pas la réalité de la fable, le monde réel du monde imaginaire. Il vit dans un univers magique où affirmer une chose, c’est la rendre vraie, et au contraire, la nier permet de la faire disparaître. « L’enfant en fonction de son égocentrisme inconscient est spontanément porté à transformer la réalité en fonction de ses désirs » affirmait Piaget.
L’intention de tromper n’apparaît que vers 5-6ans, il commence alors à élaborer des histoires pour ne pas être puni. Mais il confond encore l’erreur et le mensonge.
Il ne les distingue totalement que vers 7 ans, période où s’éveille sa conscience du bien et du mal.
Au hit-parade des raisons qui poussent l’enfant à tordre la vérité, la peur d’être puni, le plaisir d’imaginer en jouant avec les mots et le désir d’être important aux yeux des autres arrivent en tête. Mais progressivement vont se glisser les motivations qui sont aussi celles des adultes : l’intérêt, la cupidité, la haine, la vengeance, la passion, la défense, le sacrifice, le besoin de se valoriser…
Un enfant équilibré, aimé, heureux, vivant dans un milieu harmonieux, compréhensif, peut être amené à mentir pour se préserver d’un désagrément. Dès lors qu’il a vécu des situations de stress, de souffrance, de trahison, le mensonge peut devenir un mécanisme de défense, identifiable par lui à un réflexe de survie.
La démarche éducative doit à la fois reconnaître l’universalité du mensonge et la nécessité de le combattre. Un monde sans mensonge est aussi utopique qu’un monde sans conflit. Ce sont là les produits de nos pulsions. Ce n’est pas pour cela qu’il faut s’y résigner.
 
 

3- RÉVÉLATION DE MALTRAITANCE : L’ENFANT DIT-IL LA VÉRITÉ ?

3-1 De l’incrédulité à la sacralisation

Durant des siècles, pour ne pas dire des millénaires, les maltraitances perpétrées par les adultes sur les enfants ont constitué un sujet tabou.
Il n’émergeait dans la mémoire des hommes qu’au travers des récits mythiques (cf les agressions sexuelles de Loth sur ses propres filles avec la bénédiction divine relatées par l’ancien testament) ou des contes (« Peau d’âne »).
L’aveuglement collectif a été long et pesant. Le réveil n’en a été que plus douloureux. Quand, au milieu des années 80,  le rideau s’est levé sur l’inceste et les enfants victimes d’agressions sexuelles ou de mauvais traitements, cela a provoqué une sorte de tétanisation chez les professionnels, ébranlés dans la certitude qu’il s’était bâti depuis des années. Ce n’est pas qu’ils n’étaient pas confrontés à des plaintes ou des révélations, mais ils n’y croyaient pas. Combien de travailleurs sociaux, de psychologues, de juges ont du se souvenir des situations dont ils avaient été témoins et qu’ils n’avaient pas pris en compte.
C’est que, jusqu’alors, la parole de l’enfant était considérée comme peu fiable. Ainsi, au début du siècle, à l’occasion d’un procès en Belgique pour un meurtre qui n’avait eu pour seuls témoins des enfants, un célèbre psychanalyste flamand démontra à la barre que le témoignage de ceux-ci ne pouvait pas avoir la moindre crédibilité.
Aujourd’hui, dans la mouvance de la reconnaissance des droits de l’enfant, on accorde, à juste titre, crédit à cette parole. Mais, tout  se passe comme si on était passé d’un extrême à l’autre : de « l’enfant ment », on préfère aujourd’hui « l’enfant dit toujours la vérité. »
Cette conversion collective s’est faite sans aucune nuance. On peut évoquer l’effet de balancier si cher à notre fonctionnement hexagonal qui nous fait souvent réagir en miroir en adoptant la position exactement inverse de celle adoptée jusqu’alors et qui relève de la même logique totalitaire (celle d’une réponse absolue qui ne mérite aucune nuance) : déni et aveuglement auparavant, conviction qu’il ne peut jamais et à aucun moment il y a avoir le moindre doute aujourd’hui.
Que cherche-t-on à réparer ainsi ? Quelle culpabilité voulons-nous soulager ? Notre intransigeance actuelle ne viendrait-elle pas compenser la lourde responsabilité qui pèse sur nous quant à notre incapacité pendant des années à défendre les enfants victimes ? Nos graves erreurs du passé ne justifient pas que nous en commettions d’autres : « mieux vaut un adulte condamné par erreur qu’un enfant victime non cru » n’hésitent pourtant pas à affirmer certains.
Alors, oui : osons donc le dire, il peut arriver que l’enfant ne dise pas ce que les adultes considèrent comme étant la « vérité ». Ces fausses allégations d’abus sexuels  représentent une infime minorité des révélations qui sont évaluées, selon les études réalisées dans le monde anglo-saxon, dans une proportion allant de 1 à 5 % des cas.
Elles ne viennent donc en aucun cas invalider la réalité massive des agressions existantes. A la question : l’enfant dit-il la vérité ou ne la dit-il pas, on ne peut répondre d’une manière univoque.
   

3-2 La vérité de l’enfant

Dans l’immense majorité des cas les propos de l’enfant correspondent à la révélation de ce qu’il a subi.
Mais il arrive parfois que la confusion s’empare de son témoignage. Car ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce qu’il exprime, c’est avant tout, sa souffrance et son mal-être.
On le constate en permanence dans nos professions : un enfant qui va mal ne trouve pas forcément les mots adéquats pour le dire. Il utilise parfois comme seul moyen d’expression, les passages à l’acte. Les voies qu’il emprunte alors peuvent être auto agressives (somatisation, tentative de suicide, anorexie ou boulimie...) ou hétéro agressives (délinquance, violence contre autrui, attaque des liens sociaux...).
Ce mode de fonctionnement n’est pas différent quand l’enfant est victime d’agression physique ou sexuelle. Combien de situations de maltraitance ont été découvertes alors que ce qui était évoqué initialement, c’était une dépression ou encore des agressions dont l’enfant ou le jeune se rendait lui-même coupable ?
Quand elle finit par révéler ce qu’il subit, la victime dénonce souvent directement ses tortionnaires. C’est le cas le plus fréquent.
Mais elle peut aussi désigner une tierce personne, par peur des représailles des vrais auteurs ou simplement pour éviter de leur nuire.
Car ce qu’elle désire avant tout, n’est pas tant se venger, que de retrouver une relation saine et ordinaire avec les auteurs qui sont dans 80 % des cas les êtres qu’elle chérit le plus au monde : ses parents.
Sans compter que la perte de repères due à l’agression subie provoque le brouillage de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas : quand ceux qui sont sensés protéger se transforment en persécuteurs, le moindre geste affectueux d’un adulte peut devenir suspect. Il lui arrive aussi parfois de revenir sur ce qu’elle a vécu, quand elle se rend compte des conséquences de ce qu’elle a déclenché (incarcération de l’agresseur qui est un proche que la plupart du temps il aime, éclatement de sa famille qui le rend responsable de ce qu’elle endure...). C’est bien cette réalité complexe qui est à la source des circonvolutions que peuvent suivre ses déclarations.
Peut-on dire alors que l’enfant ment ou doit-on plutôt comprendre qu’il essaie de dire sa vérité à lui ?
Une attention particulière doit être accordée aux révélations des adolescent(e)s. Non qu’une suspicion systématique doive là aussi, dorénavant, accueillir leur révélations. Mais un certain nombre de caractéristiques peuvent plus particulièrement expliquer les cas, à cet âge, d’affabulations quand celles-ci se présentent (et elles restent, malgré tout, très minoritaires).
Le réveil des pulsions, à la puberté, peut provoquer des désirs sexualisés à l’égard de certains adultes : c’est le beau professeur ou l’animatrice si sympa dont on tombe facilement amoureux quand on a 15 ou 16 ans.
Il y a aussi une sensibilité nouvelle à des situations de proximité physique qui peuvent faire naître des gênes bien plus rapidement que chez le petit enfant. Certaines prises nécessaires en gymnastique au sol, par exemple, ont pu dans les collèges et les lycées, faire regarder avec suspicion des enseignants de sport.
Et puis, il y a cette opposition à l’adulte, cette contestation de son autorité, cette recherche des limites qui peut amener la (le) jeune à chercher très loin la confrontation, y compris en utilisant une arme qui semble l’affaiblir tout particulièrement : faire courir à son égard des rumeurs sur des gestes déplacés.
Mais, là encore, ce n’est pas tant l’adolescent(e) qu’il faut incriminer, c’est plutôt la psychose qui s’est emparée du monde des adultes qui en est venu à considérer tout mâle comme un pédophile en puissance.
 
 

4- POUR UN RECUEIL RESPECTUEUX DE LA PAROLE DE L’ENFANT

4-1 Les biais qui empêchent d’entendre ce que dit l’enfant

La question qui se pose est bien de savoir si l’on dispose ou non des moyens pour essayer d’objectiver un tant soit peu les données livrées par un enfant qui fait une révélation.
La première chose sur laquelle plusieurs études nous éclairent, ce sont ces biais qui peuvent contribuer à fausser le recueil des déclarations de l’enfant.
Le premier d’entre eux tient dans la particularité même de l’enfance. L’être humain n’atteint sa pleine maturité que très tardivement. La longue période de l’enfance est marquée par des traits particuliers qu’on ne peut ignorer quand on a affaire à un jeune public. L’enfant n’a pas toujours confiance et peut se montrer réticent vis à vis d’un adulte qu’il ne connaît pas, surtout quand celui-ci va l’interroger sur les atrocités qu’il a subies. Cela peut gêner sa communication. Ses capacités linguistiques sont en outre, selon son âge, limitées. Il n’a pas vraiment l’habitude de demander à l’adulte de reformuler quand il n’a pas compris ce qu’il lui a dit. Il pourra répondre oui ou non à une question posée en des termes non adaptés à son âge, sans que cela corresponde vraiment à ce qu’il pense.
Autre élément : sa mémoire est moins apte à gérer et à hiérarchiser à la fois les informations récentes et celles qui sont plus anciennes. Cette mémoire fonctionne plus encore que chez l’adulte, sur une logique de scénario : remémorer un événement revient à reconstituer un tout à partir d’éléments épars, selon une idée que l’on se fait dans le présent de ce qui a du se dérouler dans le passé.
Autre caractéristique importante : l’enfant est en position de dépendance à l’égard de l’adulte. Il peut être spontanément amené à se conformer à ce qu’il imagine être le désir de celui-ci et lui confirmer ce qu’il sent qu’il veut qu’il dise.
Enfin, sa suggestibilité est forte : tout propos inducteur peut contaminer définitivement son récit.
Ces limites cognitives et linguistiques que nous venons de souligner ne sont pas évoquées ici pour décrédibiliser la parole de l’enfant, mais pour souligner l’importance pour l’adulte d’adopter des attitudes très vigilantes : si sa bienveillance ainsi que sa profonde humanité sont indispensables, sa capacité d’observation et d’écoute attentives ainsi que sa proximité de l’univers et du mode de fonctionnement de l’enfant le sont tout autant.
 
Ces comportements requis chez l’intervenant constituent le second biais auquel il faut porter une attention toute particulière.
Plusieurs facteurs peuvent venir déstabiliser ses capacités d’évaluation.
La dimension affective joue, en la matière, un rôle essentiel. Il n’est pas évident de gérer les difficultés d’ordre émotionnel qui peuvent assaillir l’intervenant confronté à l’horreur d’un enfant maltraité. La nécessité d’une stricte neutralité s’impose (qui n’interdit pas pour autant l’empathie, bien au contraire), l’enfant captant très facilement chez son interlocuteur les moindre attitudes de gène, d’angoisse, de rejet, de doute, de dégoût ou de désintérêt. 
Il n’est pas forcément plus facile de se décontaminer par rapport aux préjugés ou aux idées reçues qui sont particulièrement prégnant sur ces sujets particulièrement douloureux. La plupart des adultes que nous sommes avons tendance à croire à ce que nous voulons ou à ce que nous avons besoin de croire. Plus nous adhérons à une théorie explicative, plus nous nous y attachons de façon indélébile. Chaque enfant réagit à sa façon, en fonction de ses propres mécanismes de défense, de ses ressources personnelles, de ses émotions et de ses sentiments : entre celui qui se renferme sur lui-même et celui qui raconte ce qui s’est passé exactement, en livrant tous les détails, il y a toute une palette de situations possibles, y compris des récits qui ont pu subir des déformations liées à des confusions, des symbolisations, des contaminations, voire dans des cas assez exceptionnels, des mensonges.
 La difficulté tient pour beaucoup dans le fait que dans ce genre de situation, malheureusement, tout est possible. L’aspect en apparence peu crédible de ce qui est relaté n’est pas suffisant pour conclure qu’il est peu probable que cela aie eu lieu. Il faut donc faire preuve à la fois d’une grande ouverture d’esprit et de beaucoup de disponibilité. On doit envisager toutes les hypothèses possibles en ne privilégiant d’emblée aucune : ni celle d’une  agression, ni celle d’un malentendu, d’une fabulation ou d’un mensonge (même si cette dernière possibilité représente un très faible pourcentage de probabilité).
La seule attitude professionnelle véritablement respectueuse de la parole de l’enfant consiste à essayer de comprendre le point de vue de la victime, plutôt que de vouloir à tout prix imposer face à son vécu, le schéma explicatif dont on est convaincu. Tout cela demande une solide formation, une supervision et un équilibre personnel indispensable.
 

4-2 les critères de crédibilité

La parole ne sera pas forcément le seul support (ni le premier) utilisé par l’enfant. L’intensité du stress émotionnel qu’il a subi au cours de l’abus peut réduire fortement la possibilité qu’il puisse aborder ce qu’il a vécu par le biais d’une pensée structurée et surtout disponible.
Mais, ce n’est pas parce que l’enfant ne dit rien qu’il n’a rien à dire. Il peut le dire d’une toute autre façon. C’est le rôle joué par les symptômes. L’enfant peut mettre en place des manifestations qu’il investit comme autant de systèmes de vigilance et de stratégies de survie. On a été tenté d’en établir une liste et de l’utiliser comme signal d’alerte. Toutefois, nombre de ces signes de mal-être ne sont pas spécifiques à une situation d’agression. Ils peuvent se produire en présence de bien d’autres circonstances.
Ainsi, des fugues, des conduites régressives, du repli sur soi, des troubles du sommeil, des troubles de la concentration de la mémoire ou du fonctionnement intellectuel qui ne constituent pas un signal particulier. Il en va de même pour les jeux sexuels spontanés.
Une étude a démontré que sur une population de 200 enfants non abusés, 50% de l’échantillon ont adopté des comportements sur des poupées sexuées qui pourraient faire croire à un abus antérieur.
La prudence est donc de rigueur.
La recherche s’est aussi tournée vers l’élaboration de critères fiables et rationnels pour analyser la parole de l’enfant. 
L’une des méthodes mises au point s’appelle « l’analyse de validité de la déclaration » (« Statement Validity Analysis »). Première précaution avant toute présentation c’est d’affirmer que cette méthode, pas plus qu’une autre, ne constitue une panacée. Ce n’est pas non plus un détecteur de mensonge.
Elle permet juste d’envisager la probabilité de la véracité du récit recueilli. Elle est construite à partir de la conviction qui veut que ce qui a été vécu véritablement sera décrit différemment que ce qui aura été inventé. 
Une grille a donc été élaborée comportant 19 critères.
Cette grille s’attache tout particulièrement à rechercher des éléments que l’on trouve plus rarement dans un récit construit artificiellement : la référence à des complications inattendues survenue au cours de l’abus (7) : un téléphone qui sonne, quelqu’un qui frappe à la porte ... Il en va de même pour des détails inusités (8) : éléments étranges ou inhabituels décrits avec réalisme comme le port de chaussettes de couleur différente ou une particularité physique de l’agresseur.
Mais aussi des détails périphériques (9) : élément extérieurs à l’abus comme un bruit dans l’appartement voisin, un orage etc.... Dans la même catégorie, on retiendra des détails non compris, mais rapportés de façon exacte (10) : l’enfant qui prend les gémissements de l’abuseur pour une souffrance ; mais aussi des incidents extérieurs (11) : propos tenus sur un sujet étranger à l’agression elle-même.
Autre ressort : des facteurs qui pourraient apparaître au premier abord comme preuves de non fiabilité et constituant au contraire une preuve de haute crédibilité : les corrections spontanées (14) : l’enfant modifie son récit ; les aveux de blanc de mémoire (15) : l’enfant ne se souvient pas de certains détails ; les doutes à propos de sa propre déclaration (16)  n’apparaissent quasiment jamais dans un récit fabriqué puisque son auteur cherche à lui donner la forme la plus parfaite et la moins hésitante possible. Ici, ils montrent une véritable authenticité, ce qui a été vécu ayant pu être mémorisé dans une certaine confusion.
Certaines circonstances particulières décrites renforcent la crédibilité : la description précise des interactions, faits et gestes (5) : le rappel des conversations tenues par l’agresseur (6) ; la référence à son propre état psychologique (12) : ce que l’enfant a ressenti au moment des faits ; ainsi qu’à celui de l’agresseur (13).
Les caractéristiques générales du récit sont aussi étudiées : sa cohérence globale (1), son déroulement spontané (2), les détails en quantité suffisante qu’on y trouve (3), ainsi que son enchâssement contextuel : le fait de le placer dans un contexte spatio-temporel (4).
 
Selon la méthode SVA, plus un récit répond à ces critères (avec un minimum de 8) plus il a de chance d’être crédible. Encore faut-il que l’entretien se fasse le plus proche possible du témoignage initial et respecte des modalités du récit libre (l’enfant est invité à parler sans être dirigé par des questions trop précises), le moins inducteur possible (questions ouvertes et non suggestives) et respectueux de son rythme (en excluant toute pression et contrainte)...
Cette méthode n’est en aucun cas fiable à 100%. Elle ne constitue aucune garantie. Elle permet de prendre de la distance avec sa propre subjectivité et sa propre émotion et d’apporter un certain nombre d’élément d’objectivité. On mesure assez facilement l’exigence de qualification qu’implique l’utilisation d’une telle approche. Les services de police et de gendarmerie ont spécialisé des intervenants en leur apportant une formation adaptée. Il n’en va pas de même pour les travailleurs sociaux qui ont à gérer ce genre de situation bien moins fréquemment.
 
 

5- CROIRE À CE QUE DIT L’ENFANT OU CROIRE EN CE QU’IL DIT ?

5-1 La vérité de la justice

Nous avons évoqué chez l’enfant des capacités linguistiques limitées qui l’amènent à acquiescer même s’il n’a pas compris la question, l’immaturité de sa mémoire (surtout s’il est très jeune) moins apte qu’un adulte à gérer et à hiérarchiser à la fois les informations récentes et celles qui sont plus anciennes, sa forte suggestibilité qui implique que tout propos inducteur peut contaminer définitivement son récit, l’habitude qui lui a été inculquée, pendant des années, de ne pas contredire l’adulte (ce qui le fait répondre automatiquement oui aux questions posées...).
L’ensemble de ces éléments n’implique aucunement que son propos ne soit pas fiable. Il démontre simplement la nécessité d’une solide formation de la part des enquêteurs. Le désastre du procès d’Outreau en démontre la criante obligation.
Ce qui est en cause ici, ce n’est absolument pas l’enfant, ni ce qu’il révèle, mais la capacité des enquêteurs qui recueillent sa parole à suivre un protocole exigeant, à se détacher de leurs propres émotions, de leurs préjugés et de leur système explicatif pour être vraiment à l’écoute de ce que dit l’enfant et non pas d’entendre ce que eux adultes ont de toute façon décidé d’entendre.
La parole ainsi recueillie est ensuite transmise à la justice qui va devoir établir la  vérité judiciaire.
Rappelons tout d’abord, qu’une part considérable (jusqu’à 80%) des affaires de révélation d’agressions sexuelles sont classées sans suite. Cela ne signifie pas que l’enfant a menti, mais que l’enquête n’a pas permis de réunir les éléments de preuves suffisants, mis à part la parole de l’enfant contre la parole de l’agresseur présumé. Quand ces plaintes arrivent malgré tout en jugement, tout est mis en œuvre pour que le verdict de culpabilité ou d’innocence corresponde à la vérité. Les garanties que l’Etat de droit propose devraient a priori le permettre : principe du contradictoire faisant une large place à la défense, possibilité de faire appel en seconde instance, vérification de la légalité en cassation, recours possible auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
La justice étant humaine donc faillible, on sait qu’il arrive trop souvent que des coupables soient relaxés et des innocents condamnés.
Etre « blanchi » par un tribunal ne signifie pas pour autant qu’on n’a pas commis les actes pour lesquels on a été mis en examen. Et inversement, l’on peut faire de nombreuses années de prison pour un crime que l’on n’a pas commis.
 

5-2 Quelle attitude pour les professionnels du social ?

La loi fait obligation du signalement : « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13. » (Article 434-3 du code pénal).
 
Ségolène Royal, alors ministre est l’auteure d’une circulaire qui précise face aux révélations d’agression sexuelle dans les établissements de l’éducation nationale qu’ : « il doit être clair pour tous que si l'enfant a dénoncé de tels agissements, il ne s'agit plus d'une rumeur ; il s'agit d'accusations précises et circonstanciées évoquées plus haut. Il n'appartient à personne au sein de la communauté scolaire, de valider d'une quelconque manière, la parole de l'enfant. En revanche le rôle de la mission ordonnée est de dégager tous les éléments objectifs ne s'apparentant plus à la rumeur ou au témoignage indirect. Dès lors que les éléments portés à la connaissance des inspecteurs apparaissent cohérents, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur une quelconque culpabilité de la personne ainsi soupçonnée, à laquelle s'attache la présomption d'innocence, il convient d'aviser immédiatement et selon les mêmes modalités, le procureur de la République et de prendre la mesure administrative appropriée, en liaison avec la Justice (…)Ainsi, dès qu'un élève a confié à un membre de l'Education nationale des faits dont il affirme avoir été victime, il appartient à ce fonctionnaire d'aviser immédiatement et directement le procureur de la République, sous la forme écrite et transmise, si besoin est, par télécopie. »
 
Après de décennies de déni, un tel systématisme a provoqué une vague de dénonciations aléatoires.
 
Pour ce qui est des accusations non fondées en direction d’adultes qui, après enquête, s’avèrent juridiquement non coupables, on ne dispose pas de statistiques globales. Seuls existent les chiffres proposés en 2002, par la Fédération des autonomes de solidarité. Cette association  qui regroupe 718.000 adhérents parmi les personnels de l'enseignement public et laïc, aide les professionnels qui sont confrontés aux aléas de la vie professionnelle ou privée. Entre 1996-1997 et 2002, 486 dossiers lui ont été transmis concernant des affaires de mœurs. 201 d’entre eux n’étaient pas encore clos au moment où ces éléments ont été rendus publics. Parmi les 285 qui l’avaient été, 26 avait donné lieu à condamnation, 3 à un suicide, 165 avaient été classés sans suite et 43 s’étaient traduits par une relaxe.
 
On peut faire dire aux chiffres tout ce que l’on veut. Ce n’est pas parce que sur les 208 dossiers clos, 73% n’ont donné lieu à aucune condamnation judiciaire, que cela signifie forcément que les personnes mises en cause étaient forcément innocentes. On connaît trop ces situations d’agression sexuelle où, faute de preuve ou parce que la parole de l’enfant s’oppose à la parole de l’adulte ou encore parce que la petite victime a fini par se rétracter, la justice ne peut pas trancher. Néanmoins, on conviendra qu’il y a, au moins, de quoi s’interroger. Que les adultes responsables d’atteintes inacceptables portées aux enfants soient poursuivis, stigmatisés et condamnés ne fera pleurer dans aucune chaumière. Mais quid des mises en cause qui se sont avérées erronées ? Peut-on se contenter des les comptabiliser dans les pertes et profits ?
 
De telles procédures ont amené à geler ce qui constitue l’essence même des professions d’aide : donner du sens.
Les travailleurs sociaux et les psychologues usent et abusent de l’interprétation des passages à l’acte et des comportements.
Tel enfant est particulièrement perturbé ces temps-ci : n’est-ce pas en rapport avec sa dernière visite chez ses parents qui se serait mal passée ?
Tel usager vient d’échouer une fois de plus à un essai professionnel : n’est-ce pas la conséquence de la névrose d’échec qui le poursuit depuis des années ?
Tel parent ne s’est pas rendu à la rencontre avec les enseignants : n’est-ce pas en continuité avec la phobie scolaire qu’il a connue quand il était lui-même enfant ?
Ces interprétations font le quotidien de nos professions. Ces hypothèses sont parfois fécondes. A d’autres moments, elles tombent complètement à côté. Mais, peu importe, elles constituent un outil utile.
Il est pourtant une circonstance où cette méthodologie bloque : c’est lorsqu’un enfant ou un adolescent révèle une agression dont il est victime. Là, ce n’est jamais pour dire autre chose que ce qu’il dit. Il n’y a plus de place pour la moindre tentative de compréhension du sens caché : seul compte la procédure judiciaire.
Quand un(e) jeune s’oppose avec véhémence à un adulte, on sait que la plupart du temps ce n’est lui qui est visé mais le cadre et les limites dont il est porteur. Il le fait aussi pour essayer de le déstabiliser ou vérifier sa solidité. Tout cela est connu : on sait bien que c’est une des façons de se construire.
Mais quand il (elle) évoque un attouchement, il n’y a jamais de second degré : cela veut dire qu’il y a forcément eu attouchement. Au prétexte que pendant des années on cherchait surtout à interpréter la révélation de l’enfant comme produit de ses fantasmes, aujourd’hui, on s’interdit de lui attribuer tout sens.
Les professionnels de l’aide doivent réhabiliter leur capacité de compréhension qui semble s’être congelée ces dernières années dès qu’on aborde la question des agressions faites à l’enfant. L’obligation de signalement ne doit pas paralyser leurs compétences d’analyses. Ils doivent les redéployer avec audace et circonspection entre le Charybde de la réduction exclusive des révélations de l’enfant à des messages cachés et le Scylla de leur traitement au pied de la lettre.
Francis Mahé, Président d’honneur de l’AFIREM affirmait récemment : « Qu’est-ce que cela veut dire quand un travailleur social dit à un enfant : ‘’je te crois’’ Cela veut dire adhérer sans preuves. Certes il n’a pas besoin de preuves puisque ce n’est pas son job. Si la procédure se met en route, il y aura des gens qui vont chercher des preuves et qui peuvent disqualifier le ’’je te crois’’. Je préfère ‘’je t’ai entendu, ce que tu me dis est d’une importance considérable pour toi, je sais que tu souffres. D’autres personnes vont être chargées de chercher des preuves. Si elles n’en trouvent pas, cela ne voudra pas dire que rien ne s’est passé. Je serai quant à moi toujours là pour t’accueillir.’’ Je crois que c’est beaucoup plus sain de dire cela à un môme que de dire ’’je te crois’’. »
Cela rejoint cette réflexion d’un autre professionnel posant comme principe que l’on peut croire tout en ne croyant pas l’enfant. Le « je te crois » = « j’entends ta souffrance et tes difficultés » se distinguerait alors du « je ne crois pas ce que tu me dis » = « les détails que tu me donnes ne sont peut-être pas exacts, mais ce qui compte pour moi, c’est que tu ailles mal et que je sois là pour t’accompagner »
 

Jacques Trémintin - Janvier 2008

 
Bibliographie
« Psychologie du menteur » Claudine BILAND, Odile Jacob, 2004, 256 p.
« Manipulé, moi ? Jamais ! Influence et manipulation dans la vie quotidienne » Fernand Ettori et Pascal Genot, First éditions, 2006, 303 p
« La parole manipulée »  Philippe Breton, La découverte, 1997, 220 p
▪ « Eloge de la parole » Philippe BRETON, La découverte, 2003, 192 p
« Petit traité  de manipulation à l’usage des honnêtes gens »  R.V. JOULE et J.L. GEAUVOIS, PUF Grenoble, 1992, 229p
« La soumission librement consentie », Robert Vincent JOULE & Jean-Léon BEAUVOIS, puf, 1998, 214 p

 
 
L’analyse de la validité de la déclaration (Statement Validity Analysis)
Caractéristiques générales de la déclaration
1-  Cohérence (consistance interne, tenue globale du récit)
2-  Verbalisations spontanées (propos surgissant de façon désordonnée et non pré-construite)
3-  Détails en quantité suffisante (quantité d’éléments apportés)
Contenus spécifiques de la déclaration
4- L’enchâssement contextuel (contexte spatio-temporel du récit)
5- Description d’interactions (relatation des gestes posés par l’abuseur et la victime)
6- Rappel des conversations (relatation des dialogues entre l’abuseur et la victime)
7- Référence à des complications inattendues (événements survenus qui ont compliqué l’action de l’abuseur.
Particularités du contenu      
8- Détails inusités (éléments étranges et inhabituels)
9- Détails périphériques (éléments extérieurs à l’abus)
10- Détails non compris, mais rapportés de façon exacte (l’enfant ne comprend pas certains éléments mais les décrit fidèlement)
11- Référence à des incidents extérieurs (éléments extérieurs à l’abus évoqués par l’abuseur)
12- Référence à ses propres états psychologiques (l’enfant décrit ce qu’il a ressenti au moment de l’abus)
13- Attribution d’un état psychologique à l’abuseur (l’enfant décrit ce qu’il a perçu de l’état et des ressentis de l’abuseur)
14- Corrections spontanées (l’enfant modifie son récit)
15- Aveu de blancs de mémoire (l’enfant ignore certains détails)
16- Doutes à propos de sa propre déclaration (l’enfant n’est plus sûr de certains détails)
17- Désapprobation de sa propre participation (l’enfant émet une certaine culpabilité)
18 - Le fait d’excuser l’abuseur (l’enfant trouve des raisons à l’abuseur)
Eléments spécifiques concernant le délit
19- Caractéristiques spécifiques du délit (l’enfant décrit une chronologie déjà répertoriée).