Interventions
JAMAC - 2003 - Intervention
Compte rendu
J’exerce le métier d’éducateur dans un service qui s’appelle l’Aide Sociale à l’Enfance. En général, personne ne connaît l’Aide Sociale à l’Enfance, sauf quand on précise que c’est l’ancienne DASS, ou encore l’ancienne Assistance Publique. Là, tout le monde en a entendu parler, puisque même dans les fictions ou les films on parle encore de ces administrations qui ont pourtant été remplacées par l’Aide Sociale à l’Enfance depuis 1964. Mon travail consiste à intervenir auprès des enfants de la naissance jusqu’à 18 ans et même au-delà. Depuis une dizaine d’années, nous avons été confrontés à un certain nombre de situations de maltraitance ou d’abus sexuels envers des enfants que nous prenons en charge. Nous sommes amenés à gérer ces situations en recueillant le témoignage de l’enfant, et en signalant au procureur de la république. S’il y a vraiment une situation de danger, l’enfant peut nous être confié, à charge pour nous de trouver un endroit où l’accueillir. Notre travail ensuite consiste aussi à retisser les liens progressivement avec la famille. C’est vrai que mon entrée par rapport à cette situation sera du côté de la protection de l’enfant. Pour autant, je me retrouve face à l’association JAMAC, dont j’ai fait connaissance il y a quelques temps qui se place sur un autre angle. Mais, je crois que nous pouvons avoir des convergences dans nos approches mêmes si elles ne sont pas identiques.
Avant de vous faire mon intervention, je vais vous proposer comme introduction une situation qu j’ai vécue, il y a de cela quelques années.
Je m’occupais alors d’une adolescente de 15 ans que nous avions fait accueillir dans un foyer socio-éducatif, parce qu’elle avait adopté des comportements extrêmement difficiles. Dans ce foyer, elle a évoqué auprès d’une de ses copines être victime d’un certain nombre de comportements douteux de la part de son père, qui lui faisait essayer des soutiens-gorge, qui se masturbait même devant elle dans la salle de bain. Les enfants, quand ils font des révélations, ils ne le font pas forcément directement, c’est par petits bouts. La copine n’a pas pu garder ça pour elle, elle en a parlé à l’éducateur, qui en a parlé à l’équipe. L’établissement a ensuite fait un signalement. J’en ai été informé parallèlement. Les parents ont été entendus par la gendarmerie pendant 24 heures. Le père est resté un peu plus longtemps. Il n’a rien reconnu. Puis l’affaire s’est terminée par un classement sans suite, comme ça arrive malheureusement trop souvent, parce que c’était la parole de l’enfant contre la parole du père. Moi, j’avais une relation très très forte avec la famille que je suivais depuis pas mal de temps. Aussitôt sorti de la garde à vue, le couple m’appelle. Je suis allé les rencontrer. D’emblée je leur ai dit : « moi, je ne suis pas juge, je ne suis pas enquêteur, je ne suis pas là pour vérifier si votre fille a dit vrai ou pas, je suis là pour l’accompagner. Si elle n’a pas dit vrai, il y a de toute façon un problème, parce que le fait qu’elle ait évoqué cette situation montre qu’il y a une difficulté quelque part. » Le père a accepté d’aller voir un psychologue, la mère de son côté, aussi. Cette dame a fini par révéler qu’elle-même, quand elle avait l’âge de sa fille, avait été abusée sexuellement, mais qu’à l’époque, quand elle en avait parlé, on l’avait traitée de menteuse. Et à ce moment là, un doute m’est venu : la gamine a-t-elle dit la vérité ? Ou bien était-elle celle qui devait libérer ce secret de famille qui faisait que sa mère avait été violée plusieurs fois par son propre père mais n’avait jamais pu en parler. Y a-t-il eu effectivement des choses qui se sont passées avec son père ou est ce qu’elle a voulu ou pas, qu’un secret soit libéré ?
Son père est mort depuis d’un cancer. Cette jeune fille que j’ai revue, a maintenant 24 ans, elle a un petit garçon. Elle affirme aujourd’hui qu’elle a menti. Voilà. Je vous livre ça texto, je ne connais pas la vérité et je crois que personne ne saura jamais ce qui s’est véritablement passé, si ce monsieur a eu ou pas des comportements par rapport à sa fille ou si c’était l’occasion ou jamais pour cette adolescente de libérer sa mère de ce secret très lourd qui pesait sur ses épaules.
Toujours est-il qu’à partir de ce moment là j’ai commencé à être un petit peu torturé par la question. Aujourd’hui je reste souvent partagé par le doute, et m’interroge pour savoir comment faire pour essayer d’y voir plus clair ?
C’est justement l’objet de l’intervention que je vous ai préparée.
Pour un recueil respectueux de la parole de l’enfant
Un petit garçon est retrouvé couvert de brûlures de cigarettes.
L’enfant déclare qu’il a été ballonné avec du sparadrap et que sa mère lui tenait les mains pendant que son père le punissait en lui brûlant le corps avec le bout de cigarettes allumées. Le juge des enfants refusera de voir là le résultat de mauvais traitements. Son argumentation ? « Ce n’est pas de la maltraitance puisque c’est un acte isolé ». Quant à l’éducateur qui exerçait une mesure d’AEMO, il affirmera : « on connaît bien la famille, elle n’est pas capable d’avoir fait cela ». Il faudra la preuve de photos apportées au magistrat, pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’une crise d’eczéma comme le prétendent les parents.
Ce récit terrible ne date pas « d’avant », de l’époque où l’on se contentait d’affirmer que les enfants mentaient beaucoup, quand il se plaignait de recevoir des coups. Non, il a été rapporté par Geneviève Favre-Lanfray, docteur en droit et administrateur ad’hoc, lors des récentes journées d’Anthéa en mai 2003.
Le 19 mai 1998, Vincent Cottalorda, instituteur de son état, est interpellé par les gendarmes et mis en examen pour des faits de violence physique et d’agression sexuelle sur plusieurs enfants. Il est interdit de séjour dans son département. Le juge d’instruction saisi prend finalement une ordonnance de non-lieu, le 27 mars 2000, en s’appuyant notamment sur l’expertise qui décrit le témoignage d’un des jeunes témoins comme « rocambolesque » : « sur un plan strictement médico-légal l’abondance des violences physiques dénoncées par certains enfants contrastaient avec l’absence de toute constatation légale » et « sur le plan psychologique, il existait une réunion de plusieurs enfants dont le champ de perception sexuelle était perturbé par des comportements familiaux et que le milieu délétère semblait être situé plus au niveau familial ou environnemental qu’au niveau scolaire. »
Ces deux exemples semblent diamétralement opposés.
Le premier montre qu’il existe encore des circonstances où l’enfant n’est pas cru quand il révèle être victime de maltraitance.
Le second montre que sa parole peut être parfois prise au pied de la lettre, quand il se plaint, sans précaution aucune, provoquant la mise en accusation d’un adulte innocent.
En réalité, ces deux situations partagent en commun le manque de discernement des professionnels tant médico-sociaux que judiciaires : entre la persistance d’une certaine forme de déni et la trop grande précipitation, la souffrance de l’enfant n’a pas été prise en compte à sa juste mesure. Le résultat obtenu, c’est une victimisation secondaire : dans le premier cas, un enfant déjà martyrisé a subi les affres du doute et l’incrédulité de ceux qui étaient censés le protéger. Dans le second cas, un adulte a subi injustement l’infamie et le soupçon.
L’enfant qui parle ... ou qui ne parle pas
Certaines études font état de 50 à 80% de victimes qui ne révèlent jamais ce qu’elles ont subi. Le poids du passé pèse encore sans doute beaucoup. Pendant très longtemps, les agressions que subissaient les enfants au sein des familles ont été banalisées, voire niées, le récit qui en était fait étant considéré comme pur mensonge. La prise de conscience qui a émergé dans les années 1980 a provoqué une mobilisation des média et des milieux professionnels. La loi de 1989 a pénalisé la non-dénonciation de mauvais traitements à mineur de moins de 15 ans, les dispositifs de prévention et de protection se sont affinés, les condamnations en justice se sont multipliées. On ose croire (sinon espérer) que les cas d’aveuglement quant à la maltraitance des mineurs se fassent toujours de plus en plus rares.
Pour ce qui est des accusations non fondées en direction d’adultes qui, après enquête, s’avèrent judiriquement non coupables, on ne dispose pas de statistiques globales. Seuls existent les chiffres proposés en 2002, par la Fédération des autonomes de solidarité. Cette association qui regroupe 718.000 adhérents parmi les personnels de l'enseignement public et laïc, aide les professionnels qui sont confrontés aux aléas de la vie professionnelle ou privée. Entre 1996-1997 et 2002, 566 dossiers lui ont été transmis concernant des affaires de mœurs. 271 d’entre eux n’étaient pas encore clos au moment où ces éléments ont été rendus publics. Parmi les 295 qui l’avaient été, 79 avait donné lieu à condamnation, 3 à un suicide, 168 avaient été classés sans suite et 45 s’étaient traduits par une relaxe. On peut faire dire aux chiffres tout ce que l’on veut.
Ce n’est pas parce que sur les 295 dossiers clos, 73% n’ont donné lieu à aucune condamnation judiciaire, que cela signifie forcément que les personnes mises en cause étaient forcément innocentes. On connaît trop ces situations d’agression sexuelle où, faute de preuve ou parce que la parole de l’enfant s’oppose à la parole de l’adulte ou encore parce que la petite victime a fini par se rétracter, la justice ne peut pas trancher.
Néanmoins, on conviendra qu’il y a, au moins, de quoi s’interroger. Que les adultes responsables d’atteintes inacceptables portées aux enfants soient poursuivis, stigmatisés et condamnés ne fera pleurer dans aucune chaumière. Mais quid des mises en cause qui se sont avérées erronée ? Peut-on se contenter des les comptabiliser dans les pertes et profits ? Ou encore affirmer : « signalons, signalons, Dieu reconnaîtra les siens » ?
Les écueils au recueil respectueux de la parole de l’enfant (1)
La question qui se pose est bien de savoir si l’on dispose ou non des moyens pour essayer d’objectiver un tant soit peu les données livrées par un enfant qui fait une révélation.
On connaît plusieurs des biais qui peuvent contribuer à rendre ce recueil délicat.
Le premier d’entre eux tient dans la particularité même de l’enfance. L’être humain n’atteint sa pleine maturité que très tardivement. La longue période de l’enfance est marquée par des traits particuliers qu’on ne peut ignorer quand on a affaire à un jeune public. L’enfant n’a pas toujours confiance et peut se montrer réticent vis à vis d’un adulte qu’il ne connaît pas. Cela peut gêner sa communication. Ses capacités linguistiques sont en outre, selon son âge, limitées. Il n’a pas vraiment l’habitude de demander à l’adulte de reformuler ce qu’il n’a pas compris. Il pourra répondre oui ou non à une question posée en des termes non adaptés à son âge, sans que cela corresponde vraiment à ce qu’il pense.
Autre élément : sa mémoire est moins apte à gérer et à hiérarchiser à la fois les informations récentes et celles qui sont plus anciennes. Cette mémoire fonctionne plus encore que chez l’adulte, sur une logique de scénario : remémorer un événement revient à reconstituer un tout à partir d’éléments épars, selon une idée que l’on se fait dans le présent de ce qui a du se dérouler dans le passé.
Autre caractéristique importante : l’enfant est en position de dépendance à l’égard de l’adulte. Il peut être spontanément amené à se conformer à ce qu’il imagine être le désir de celui-ci et lui confirmer ce qu’il sent qu’il veut qu’il dise.
Enfin, sa suggestibilité est forte : tout propos inducteur peut contaminer définitivement son récit.
Ces limites cognitives et linguistiques que nous venons de souligner ne sont pas évoquées ici pour décrédibiliser la parole de l’enfant, mais pour souligner l’importance pour l’adulte d’adopter des attitudes appropriées : si sa bienveillance ainsi que sa profonde humanité sont indispensables, sa capacité d’observation et d’écoute attentives ainsi que sa proximité de l’univers et du mode de fonctionnement de l’enfant le sont tout autant.
Ces comportements requis chez l’intervenant constituent le second biais auquel il faut porter une attention toute particulière : il doit faire preuve à la fois d’une grande ouverture d’esprit et de beaucoup de disponibilité. Il doit envisager toutes les hypothèses possibles en ne privilégiant d’emblée aucune : ni celle d’un abus, ni celle d’un malentendu, d’une fabulation ou d’un mensonge (même si cette dernière possibilité représente un très faible pourcentage de probabilité).
Cela demande une solide formation, une supervision et un équilibre personnel indispensable.
Plusieurs aspects viennent déstabiliser les capacités d’évaluation.
La dimension affective joue, en la matière, un rôle essentiel. Il n’est pas évident de gérer les difficultés d’ordre émotionnel qui peuvent assaillir l’intervenant confronté à l’horreur d’un enfant maltraité. La nécessité d’une stricte neutralité s’impose (qui n’interdit pas pour autant l’empathie, bien au contraire) : l’enfant victime capte très facilement chez son interlocuteur les moindre attitudes de gène, d’angoisse, de rejet, de doute, de dégoût ou de désintérêt. Il n’est pas forcément plus facile de se décontaminer par rapport aux préjugés ou aux idées reçues qui sont particulièrement prégnant sur ces sujets particulièrement douloureux. La plupart des adultes que nous sommes avons tendance à croire à ce que nous voulons ou à ce que nous avons besoin de croire. Plus nous adhérons à une théorie explicative, plus nous nous y attachons de façon indélébile. Et pourtant, la seule attitude professionnelle véritablement respectueuse de la parole de l’enfant consiste à essayer de comprendre le point de vue de la victime, plutôt que de vouloir à tout prix imposer face à son vécu, le schéma explicatif dont on est convaincu. Chaque enfant réagit à sa façon, en fonction de ses propres mécanismes de défense, de ses ressources personnelles, de ses émotions et de ses sentiments : entre celui qui se renferme sur lui-même et celui qui raconte ce qui s’est passé exactement, en livrant tous les détails, il y a toute une palette de situations possibles, y compris des récits qui ont pu subir des déformations liées à des confusions, des symbolisations, des contaminations, voire dans des cas assez exceptionnels, des mensonges. La difficulté tient pour beaucoup dans le fait que dans ce genre de situation, malheureusement, tout est possible. L’aspect en apparence peu crédible de ce qui est relaté n’est pas suffisant pour conclure qu’il est peu probable que cela aie eu lieu.
L’analyse de crédibilité
L’intense stress émotionnel subi au cours de l’abus réduit fortement l’accès à la réalité du vécu par le biais d’une pensée structurée et surtout disponible. Ce n’est pas parce que l’enfant ne dit rien qu’il n’a rien à dire. Il peut le dire d’une toute autre façon. C’est le rôle joué par les symptômes, véritable système de vigilance psychique mis en place comme autant de stratégies de survie.
Toutefois, nombre de ces signes de mal-être ne sont pas spécifiques à une situation d’abus. Ils peuvent se produire en présence de bien d’autres circonstances. Ainsi, des fugues, des conduites régressives, du repli sur soi, des troubles du sommeil, des troubles de la concentration de la mémoire ou du fonctionnement intellectuel qui ne constituent pas un signal particulier. Il en va de même pour les jeux sexuels spontanés. Ainsi, une étude a démontré que sur une population de 200 enfants non abusés, 50% de l’échantillon ont adopté des comportements sur des poupées sexuées qui pourraient faire croire à un abus antérieur. La prudence est donc de rigueur.
La recherche de critères fiables et rationnels pour analyser la parole de l’enfant a permis la mise au point d’une méthode appelée « Statement Validity Analysis ».
D’origine nord-américaine, elle est utilisée en Belgique par « Parole d’enfants » (1) au cours des expertises de crédibilité que lui confie la justice. Cette association, bien connue du public français, pour les colloques qu’elle propose (2), a animé une session de formation à cette technique (3). Elle ne constitue pas une panacée, ni un détecteur de mensonge. Elle permet juste d’envisager la probabilité de la véracité du récit recueilli. Elle comporte 19 critères construits à partir de la conviction qui veut qu’un vécu véritable comporte des caractéristiques différentes par rapport à un témoignage fabriqué (voir encadré).
Cette grille s’attache tout particulièrement à des éléments que l’on trouve rarement dans un récit construit artificiellement : la référence à des complications inattendues (7), des détails inusités (8) ou périphériques (9), des détails non compris, mais rapportés de façon exacte (10), mais aussi des incidents extérieurs (11).
Autre ressort : des facteurs qui pourraient apparaître au premier abord comme preuves de non fiabilité constituent au contraire une preuve de haute crédibilité : les corrections spontanées (14), les aveux de blanc de mémoire (15), les doutes à propos de sa propre déclaration (16) n’apparaissent quasiment jamais dans un récit fabriqué puisque son auteur cherche à lui donner la forme la plus parfaite et la moins hésitante possible. Ici, ils montrent une véritable authenticité, ce qui a été vécu ayant pu être mémorisé dans une certaine confusion.
Des circonstances particulières sont aussi rarement rapportées dans une affabulation : la description précise des interactions (5), le rappel des conversations tenues par l’abuseur (6), la référence à son propre état psychologique (12) et à celui de l’abuseur (13) ou encore le fait d’excuser celui-ci (18). Les caractéristiques générales du récit sont aussi étudiées : sa cohérence globale (1), son déroulement spontané (2), les détails en quantité suffisante qu’on y trouve (3), ainsi que son enchâssement contextuel : le fait de le placer dans un contexte spatio-temporel (4).
Selon la méthode SVA, plus un récit répond à ces critères (avec un minimum de 8) plus il a de chance d’être crédible.
Encore faut-il que l’entretien se fasse le plus proche possible du témoignage initial et respecte des modalités du récit libre (l’enfant est invité à parler sans être dirigé par des questions trop précises), le moins inducteur possible (questions ouvertes et non suggestives) et respectueux de son rythme (en excluant toute pression et contrainte)...
On mesure assez facilement l’exigence de qualification qu’implique une telle approche.
Les services de police et de gendarmerie ont spécialisé des intervenants en leur apportant une formation adaptée.
Il n’en va pas de même pour les travailleurs sociaux qui ont à gérer ce genre de situation bien moins fréquemment.
Ne serait-il pas judicieux de concevoir des cellules médico-sociales spécialisées qui auraient pour fonction d’accueillir très rapidement les révélations des enfants, permettant ainsi un accompagnement efficace et bien moins traumatisant qu’il ne l’est parfois aujourd’hui.
Mais, cela impliquerait , comme c’est le cas en Belgique, que la judiciarisation ne soit pas la première étape après la révélation, mais que les professionnels du social reprennent leur place, celle de l’évaluation des difficultés et de l’orientation la plus adéquates.
Ce n’est pas ce que prévoit le dispositif prévu par le législateur.
Jacques Trémintin - Août 2003
(1) « L’enfant en questions –de la parole à l’épreuve du doute dans les allégations d’abus sexuels » Yves-Hiram Haesevoets, De Boeck Université, 2000
(2) « Parole d’Enfants » : 107 rue de Reuilly 75012 Paris tel. : 0800 90 18 97. Email : parole@swing.be
(3) « Mère surinvestie et père démobilisé : connivence autour d’une absence » novembre 2002, cf LS n°648
(4) « L’investigation psychosociale dans les situations de suspicion d’abus sexuels »
L’analyse de la validité de la déclaration
(Statement Validity Analysis)
A- Caractéristiques générales de la déclaration1- Cohérence
(consistance interne, tenue globale du récit )
2- Verbalisations spontanées
(propos surgissant de façon désordonnée et non pré-construite)
3- Détails en quantité suffisante
(quantité d’éléments apportés)
B- Contenus spécifiques de la déclaration
4- L’enchâssement contextuel
(contexte spatio-temporel du récit)
5- Description d’interactions
(relatation des gestes posés par l’abuseur et la victime)
6- Rappel des conversations
(relatation des dialogues entre l’abuseur et la victime)
7- Référence à des complications inattendues
(événements survenus qui ont compliqué l’action de l’abuseur)
C- Particularités du contenu
8- Détails inusités
(éléments étranges et inhabituels)
9- Détails périphériques
(éléments extérieurs à l’abus)
10- Détails non compris, mais rapportés de façon exacte
(l’enfant ne comprend pas certains éléments mais les décrit fidèlement)
11- Référence à des incidents extérieurs
(éléments extérieurs à l’abus évoqués par l’abuseur)
12- Référence à ses propres états psychologiques
(l’enfant décrit ce qu’il a ressenti au moment de l’abus)
13- Attribution d’un état psychologique à l’abuseur
(l’enfant décrit ce qu’il a perçu de l’état et des ressentis de l’abuseur)
14- Corrections spontanées
( l’enfant modifie son récit)
15- Aveu de blancs de mémoire
(l’enfant ignore certains détails)
16- Doutes à propos de sa propre déclaration
(l’enfant n’est plus sûr de certains détails)
17- Désapprobation de sa propre participation
(l’enfant émet une certaine culpabilité)
18 - Le fait d’excuser l’abuseur
(l’enfant trouve des raisons à l’abuseur)
D- Eléments spécifiques concernant le délit
19- Caractéristiques spécifiques du délit
(l’enfant décrit une chronologie déjà répertoriée)
Débat
Question : Si un signalement est fait au juge des enfants, est ce qu’il demande des expertises, de l’enfant, de l’adulte, et est ce que ces experts nommés ont connaissance du dossier avant l’expertise ?
Réponse de Maître Dissler : Un signalement est fait d’abord non pas au juge des enfants, mais au procureur de la république. Le procureur de la république prend des dispositions et peut demander un examen de l’enfant par un expert psychiatre. L’expert psychiatre a sommairement connaissance des termes du signalement. Cette expertise si elle est faite immédiatement est ce qu’on appelle une expertise sommaire, souvent verbale, ensuite retranscrite. Elle est ensuite communiquée au parquet afin qu’il prenne une décision, soit de poursuite, soit de désignation d’un magistrat instructeur s’il y a un doute. A ce stade, l’expertise ne porte pas sur la crédibilité de l’enfant. Ce ne sera que plus tard que le juge d’instruction peut désigner lui-même un expert.
Jacques Trémintin : Les services du procureur sont tellement débordés que la première chose qu’il fait c’est de diligenter des forces de police ou de gendarmerie qui vont être chargées de faire le tri. Elles vont aller interpeller le présumé coupable, la personne supposée agresseur. Elles vont ensuite entendre l’enfant. Depuis la loi de 1998, il est obligatoire de filmer et d’enregistrer sa déposition, à condition que l’enfant aie donnée son accord. Il peut aussi être accompagné par la personne de son choix. À la suite de cette procédure, les enquêteurs envoient un relevé de conclusions, et le procureur va décider soit de classer sans suite, soit de poursuivre la personne.
J’ai eu à suivre la situation d’une petite fille dont la mère se prostituait et la faisait participer à ses ébats. Elle a été entendue, son témoignage étant filmé. La mère et l’enfant n’habitant pas au même endroit, la justice a mis un an à transmettre le dossier d’une juridiction à l’autre. Elle a été convoquée chez un expert psychologue 1 an après. J’étais dans une colère monstre, 1 an pour faire 70 km ! L’idée, c’est quand même que l’expert ait accès à la cassette qui enregistre la petite fille. Je n’ai pas eu à connaître d’intervention d’expert psychiatre en amont. C’est souvent très très tard dans le cadre de l’instruction.
Question : Sur la question des révélations tardives qui prennent énormément de poids. Que faut-il en penser, quels sont les critères de crédibilité de ces révélations ?
Jacques Trémintin : Vous savez que le législateur français a décidé de faire une exception à la règle de droit commun, en prolongeant les délais de prescription à compter des 18 ans : 3 ans pour les délits (atteintes sexuelles), 10 ans pour les crimes (viols). Il était question récemment, d’un projet de loi pour annuler toute prescription en matière de maltraitance sur mineurs. L’argument de l’exception par rapport à cette prescription, c’est de permettre aux jeunes qui sont sous la coupe de l’abuseur, quand c’est un parent, de pouvoir s’exprimer à un moment ou à un autre, quand ils sont devenus autonomes. Des révélations tardives, il y en a eu une vague importante aux Etats Unis. On a appelé cela le syndrome des faux souvenirs, puisqu’un certain nombre de thérapeutes pas très ragoûtants, soit sous hypnose, soit sous la forme d’interprétation de rêves, ont réussi à faire émerger chez des adultes le souvenir d’abus commis par leurs parents alors qu’ils étaient enfants, ce qu’il avaient complètement oublié. Le fait de passer entre les mains d’un thérapeute a permis de faire émerger ces faux souvenirs. Cela a beaucoup été contesté. Il y a eu une grande vague de ces faux souvenirs, puis ça s’est un peu effondré.
Ceci dit, je me suis occupé d’un ado, dont la maman était décédé, alors qu’il avait 10 ans. Le papa l’avait confié pendant 15 jours à des gens de la famille. Son oncle qui l’avait accueilli a abusé sexuellement de lui pendant ce séjour. Ça se savait, mais personne ne disait rien. Quand j’ai commencé mon intervention, l’enfant avait 15 ans, et il m’a révélé ça tout d’un coup, 5 ans après, avec des détails extrêmement précis. J’ai transmis le signalement, l’oncle a été interpellé, il abusait aussi de son fils. Il a été jugé et condamné.
Il peut arriver qu’il y ait des délais importants entre les faits et la révélation, mais je ne saurais pas répondre s’il peut y avoir une modification importante dans la mémoire. Je pense qu’un enfant qui a vécu des choses très très traumatisantes, une agression sexuelle, peut l’enfouir au fond de sa mémoire, et puis au contraire, ça peut rester tellement vivace qu’il peut s’en souvenir comme si ça s’était passé la veille. A un moment ou à un autre il peut s’autoriser à révéler et à aller trouver quelqu’un, un magistrat ou un policier. Chaque situation est unique. Ce n’est pas parce qu’il le révélera 10 ans après que ce sera forcément moins crédible.
Question: Est ce que vous avez eu quelquefois des enfants qui font des déclarations de maltraitance sexuelle et qui cachent le véritable auteur, c’est à dire qu’il leur est impossible de dénoncer l’auteur véritable, qui lâchent des bribes de soi disant agression sexuelle ailleurs, avec d’autres personnes. Est ce qu’il peut arriver par le biais d’une déclaration de cette nature d’en réalité découvrir quelque chose de totalement différent du départ ?
Jacques Trémintin : C’est ce que j’évoquais en tout début de mon intervention. Une jeune fille qui désigne son père, et où j’ai eu la conviction à un moment donné, qu’elle voulait, en fait, crever un abcès, comme si c’était l’enfant-symptôme qui voulait permettre à sa mère, enfin, de révéler ce qu’elle avait subi dans son enfance. Ce n’est qu’une hypothèse, et ce qui est terrible, c’est qu’on ne saura jamais.
En la matière, il faut rester extrêmement ouvert, faire preuve d’une grande ouverture d’esprit.
Mais, en même temps, il faut faire attention quand on oppose d’emblée de l’incrédulité à la révélation de l’enfant : cela peut cacher un aveuglement. Au moment d’une visite auprès d’une puéricultrice, une petite fille dont je m’occupais, s’est mise à se déshabiller, et a déclaré en désignant son sexe: « c’est comme papy qui joue ». Quand j’ai appris ce qu’elle avait dit, j’ai été très méfiant. Je connaissais le grand-père et j’avais sympathisé avec lui. Je n’étais pas très neutre. Je cherchais des explications. J’étais en alliance avec lui parce que je ne voulais pas croire que ce monsieur qui me semblait si sympathique avait pu faire cela ! … La confrontation à la maltraitance ou à l’abus sexuel bouleverse énormément. Professionnellement la première fois où j’ai été confronté à ce genre de situation, c’était une fratrie de quatre enfants, tous tous placés en famille d’accueil. J’insistais auprès du père pour qu’il prenne ses enfants. C’était au cours de ces visites qu’il les agressait sexuellement l’un après l’autre. J’ai été très très mal quand je l’ai appris. Aux vacances suivantes, sur la plage, je voyais des pères avec leurs enfants en train de jouer, de les prendre dans leurs bras, et tout de suite j’étais en train de me dire : et si c’était un abuseur ?
De la salle : C’est de l’inconscient dont on parle. Les analyses, où en est la justice actuellement, on est encore bien loin de quelque chose de correct.
Jacques Trémintin : On est dans une espèce de sursaturation, et on ne prend pas les moyens, c’était aussi l’objectif de cette intervention, on ne prend pas les moyens de prendre de la distance, de prendre du recul, d’essayer d’aborder le témoignage, la parole de l’enfant en la respectant, non pas en lui plaquant un schéma tout fait d’avance, mais en essayant d’imaginer des alternatives, des possibilités multiples. C’est bien le fonctionnement du rationalisme à la française. Nous aujourd’hui, car on est tous cartésiens, on est tous dans une logique du « ou », et non pas du « et ». On est de droite « ou » on est de gauche, on est pour « ou » on est contre. Le discours que je tiens là, un certain nombre de collègues vont s’en emparer en disant : tu fais le jeu des abuseurs sexuels. Je dis « mais non ». Je prétends qu’il y a aujourd’hui une quantité scandaleuse d’enfants qui sont abusés sexuellement, qui sont maltraités, et malgré les campagnes cela ne baisse pas, « et » , « et » je pense qu’il y a parfois des adultes qui sont accusés à tort. Mais ça n’est pas soit l’un, soit l’autre. Moi je ne suis ni dans le camp de ceux qui disent : « tous les enfants disent la vérité », ni dans le camp de ceux qui disent : « les enfants ils racontent des blagues ». La plupart des enfants disent ce qu’ils ont vécu, et puis, dans certaines circonstances et dans certaines conditions, l’enfant peut voir son discours déformé, stratifié par plusieurs biais. Je suis dans l’un « et » dans l’autre. Je n’ai pas à choisir mon camp.
Les cas de mensonges, c’est 1 à 3%. Mais, il y a aussi des enfants qui voient leurs paroles mal interprétées. Leur parole est prise en compte par les adultes d’une façon maladroite, très suggestive, leur parole n’est pas respectée pour ce qu’elle est. Et on les engrange dans une procédure judiciaire où ils vont se retrouver dans une position d’accusateur, et où ils sont coincés par rapport à un adulte qui au départ n’était pas forcément désigné. Il y a ça, et il y a aussi des situations où il y a des adultes qui abusent. Ce que je dis là ne vient pas invalider qu’en France il y a beaucoup d’enfants qui sont maltraités et abusés. C’est l’un « et » l’autre. Je ne choisis pas de camp.
De la salle: Sur les critères qui sont donnés, une réflexion qu’on a dans JAMAC, c’est qu’un enfant de 2 ans, ce n’est pas un adolescent de 14 ans, ce n’est pas un enfant handicapé mental ou même un adulte handicapé. Les critères qui sont donnés sont des critères qui ne correspondent pas pour expertiser une parole d’adulte, mais l’enfant étant par définition en transition, en évolution, il ne devient pas adulte entre 18 ans moins un jour et 18 ans plus 1 jour. Je ne sais pas comment est faite l’application de ces critères, mais j’imagine qu’on ne tient pas compte seulement d’un critère, mais à partir d’un faisceau, et que la maturité de l’enfant est prise en compte. C’est un problème qui ne semble pas être traité par la justice ou au moins par un certain nombre d’expertises rapides. C’est à dire que ce n’est pas la parole « de » l’enfant, mais c’est la parole « d’un » enfant, de cet enfant qui a 4 ans ou de cet adolescent qui a 12 ans ou de cet adulte handicapé dont on estime l’âge mental à… C’est compliqué. J’imagine qu’il y a des réflexions qui avancent là-dessus, mais plutôt que parler de la parole de l’enfant, il y a une vraiévolution à faire sur la parole d’un enfant.
Jacques Trémintin : Derrière chaque enfant qui à un moment ou à un autre dépose sa plainte, sa souffrance, il faut non pas aller chercher des critères généraux, mais aller chercher son individualité, sa particularité. Derrière une victime, il y a un être humain. C’est ça qui me crispe un petit peu dans la procédure de la loi de 89. Nous, les professionnels qui avons la responsabilité d’accueillir et d’accompagner des enfants en souffrance, d’essayer de les percevoir dans leur globalité, d’essayer de piger les problématiques familiales dans lesquelles ils sont, qui peuvent amener tel comportement ou telle attitude, on fait appel à nous et on travaille très bien quand on a affaire à des enfants délinquants, à des enfants qui sont en situation de souffrance, de carence affective, mais dès lors qu’il y a un soupçon d’abus sexuel, là on arrête tout. On va faire entendre un enfant par la gendarmerie ou la police, qui va essayer d’établir une vérité judiciaire, et une fois qu’elle a été établie, soit on classe sans suite, soit on poursuit l’abuseur. A ce moment là, on nous redonne l’enfant. Mais il y a une espèce de court-circuitage de ce travail qu’on on essaye de faire. Actuellement il y a 26 enfants ou jeunes adultes que je suis, il y a 26 cas complètement différents.
Je reprends l’exemple de ce qui se passe en Belgique, où il y a une plus grande panoplie de réactions. Lorsqu’il y a une situation de maltraitance ou d’abus sexuel, il y a une évaluation pour laquelle sont sollicitées des associations comme « Parole d’enfant ». Et ensuite il y a une panoplie de possibilités qui sont offertes, dont celle de faire passer l’abuseur en justice parce que l’on estime que c’est nécessaire pour permettre à l’enfant de se réparer. Mais il y a des enfants, malheureusement victimes de quelqu’un qui est très proche, qui n’en ont rien à faire que leur père ou leur grand-père aille en prison. Ils ont envie que leur père, leur grand-père…le redevienne. Au moins, ouvrons le débat. Dans une situation précise, il peut être important pour que l’enfant se reconstruise que l’abuseur soit jugé. Dans d’autres situations, ce n’est pas forcément indispensable ...
La loi de 89, c’est la prime au pervers. Celui qui est capable d’imposer la terreur à son enfant, d’établir une situation véritablement de secret, de tromper tout le monde, il va passer à travers les mailles du filet.
Encore un exemple. J’ai eu à m’occuper d’une famille où le père était le chef de clan, il avait fait un enfant à sa fille. Pour cet enfant son grand-père est son père. Puis, il y a eu un autre enfant qui est arrivé dont on peut imaginer que le grand père est aussi le père. Il est tellement procédurier, il a fait tellement régner la terreur qu’il y a 12 ans on a eu ordre de laisser tomber cette famille. Et bien on a retrouvé la petite fille qui a 8 ans maintenant, abusée sexuellement, handicapée mentale profonde.
Moi je suis partagé par le doute. Il n’est pas question pour moi de dire qu’on a trouvé la grille d’interprétation qui va nous servir pour établir la vérité. L’idée c’est de s’appuyer sur des outils.
De la salle : Il est impossible d’obtenir d’un juge d’instruction une enquête sociale, de voisinage, alors qu’on pourrait avoir pleins d’éléments.
Question : Ne peut-on pas imaginer que la victime soit délirante elle-même ? De façon soit volontaire, soit involontaire, due à une certaine influence ? On ne tient aussi absolument pas compte de l’évolution générale des enfants, de leur précocité. On ne s’étonne pas de voir des enfants qui imitent des adultes en faisant les starlettes, un enfant d’aujourd’hui n’est pas comme un enfant d’il y a 20 ans. Il peut calquer des images qu’il reçoit des médias. J’ai des doutes sur ces 19 critères.
Jacques Trémintin : D’accord sur les responsabilités que prend la société quand elle présente la pédophilie comme la pire des horreurs qui ait pu jamais exister et qui existera jamais (il y a 20 000 enfants qui meurent dans le monde chaque jour de faim ou de maladie, mais ça ne gêne pas grand monde) et à côté de ça, cette même société utilise le corps de l’enfant dans la publicité sur les murs de nos villes, dans des revues qui ne sont pas forcément des revues pornographiques. Il y a là une vraie contradiction.
Deuxième chose, les critères que je vous ai présentés ne sont pas des critères absolus. Aucun de ces critères ne peut en lui-même déterminer à coup sûr si l’enfant dit la vérité ou pas. C’est une tentative pour y voir plus clair, mais en aucun cas ce n’est un détecteur de mensonge. C’est plutôt : qu’est ce que l’on peut déterminer dans le discours de l’enfant qui nous donne l’impression que ce serait plutôt une affabulation, ou non. L’idée c’est qu’un récit construit est différent d’un récit spontané.
De la salle : Je crains bien qu’il n’y ait pas de critères. Les gendarmes qui se sont précipités sur mon affaire, à partir des témoignages d’enfants, ont eu l’impression qu’enfin ils avaient quelque chose de croustillant à se mettre sous la dent. J’ai travaillé 21 ans en IME, avec des élèves difficiles qui m’ont raconté des bobards d’une crédibilité parfaite et qui se sont avérés faux après.
Jacques Trémintin : Vous évoquez la précocité des enfants, qui est un facteur permettant de s‘interroger sur l’innocence de l’enfance qui aurait peut-être disparu. Moi, j’évoquerais un autre facteur intervenant dans l’erreur des adultes : la tétanisation. Tout se passe comme si les adultes, ayant été aveugles pendant des dizaines d’années, voulaient se racheter et rattraper leur aveuglement. D’où la transformation de l’agression de l’enfant en véritable sacrilège et le renoncement à un minimum de prudence. C’est quelque chose qui bouscule tout le monde, sa propre histoire, sa propre sexualité, et qui ne rend pas forcément compétent pour faire face (moi y compris) à ce genre de situation.
Question : Dans quelle mesure est ce que c’est la parole de l’enfant, ou dans quelle mesure c’est la parole des parents ou leur interprétation? Quand on voit des enfants de 3 ou 4 ans…
Jacques Trémintin : C’est pour cela qu’il serait important d’entendre aussi l’entourage, d’entendre la famille. C’est aussi le problème souvent dans les situations de divorce, on le sait de plus en plus maintenant, avec des scénarios qui commencent à être un peu mieux compris. Il arrive que dans les situations de guerre dans un couple qui divorce, l’un des deux parents essaye de se venger de l’autre en utilisant l’enfant, et puisse monter une accusation. Il y a 3 ou 4 ans, une mère a été condamnée par un tribunal pour dénonciation mensongère. Parfois le bâton est tordu dans l’autre sens, et, parce qu’on est en situation de divorce, systématiquement la justice ne veut pas entendre l’enfant. Les situations sont diverses. Là comme pour toute autre situation, il faut avoir l’esprit ouvert sur différentes hypothèses et sur différentes alternatives, ne pas imposer un schéma explicatif automatique.
De la salle, Maître Dissler : Je voulais faire une remarque sur l’inflation des textes législatifs, particulièrement en matière de sexualité. Nous avons vécu une période transitoire, une période dans laquelle un certain nombre de gens impliqués à gauche, notamment des femmes, qui après avoir lutté dans le mouvement pour la libération de la femme, avoir lutté pour l’avortement, ont peut être réalisé tardivement que les enfants n’avaient pas été suffisamment pris en compte, et le mal qui était fait aux enfants non seulement dans le monde mais dans la société toute proche de nous n’avait pas été pris en compte. Donc on a eu, tard, un texte de loi en 89, des circulaires sur la manière dont il fallait appliquer les textes de loi, puis récemment ce texte du Code de Procédure Pénale sur l’audition de l’enfant. Puisque les adultes peuvent avoir des limites dans leur rapport à l’enfant, il fallait que ce soit langage induit soit évité et que directement la personne fasse un signalement au procureur qui déléguait sous la forme d’enquête préliminaire les services de gendarmerie ou de police pour procéder à une audition filmée de l’enfant. Ce texte du Code de Procédure Pénale a été écrit uniquement dans le sens du droit des victimes. C’est à dire que l’enfant a le droit d’accepter ou de refuser d’être filmé. Alors quel parti peut en tirer par exemple la personne mise en cause ? Si l’enfant n’a pas été filmé, si la gendarmerie n’avait pas le matériel nécessaire, quelle est la sanction ? On peut évoquer une nullité. Moi je l’ai fait à Draguignan, il y a deux ans et demi, en disant l’enfant, c’était un enfant handicapé mental, l’enfant n’a pas été filmé, et le procureur n’a même pas été avisé (puisqu’il faut aviser le procureur de la position de l’enfant par rapport à cet article du code). La chambre d’Aix en Provence a répondu par écrit : « ce texte n’a été fait que pour l’enfant ». Ce texte ne peut pas profiter à la personne mise en examen.
Il y a eu une inflation de texte, mais des textes qui ont été faits d’une certaine manière, et on n’en a pas mesuré toute la portée. Le législateur, c’est l’assemblée nationale, ce ne sont pas toujours des spécialistes.
Ce que je veux dire, c’est que nous sortons d’une période transitoire où un certain nombre de gens ont pris conscience d’un certain nombre de difficultés qui frappaient notre société. C’est aussi transitoire pour JAMAC. L’utilité d’une telle association, c’est de pouvoir confronter des expériences différentes, que ce soit par des professionnels, que ce soit par des personnes touchées par ce type d’affaire.
De la salle : J’aurais quelques remarques à faire sur la question des critères. Je ne partage pas le point de vue exposé dans une question de dire : des critères il n’y en a pas et tous les repères que l’on peut avoir sont remis en cause. Ça me paraît défaitiste. Je ne vois pas comment on peut avancer sur ce genre d’affaires si on ne travaille pas à partir d’un certain nombre de choses. Je pense que ces critères ont un intérêt. Leur application dogmatique est ultra dangereuse, et leur examen critique a un intérêt s’il se fait à partir de la pratique. C’est comme ça que l’on peut avancer.
Pour moi, JAMAC essaye de dire : c’est par la confrontation de différents point de vue, pas de façon dogmatique, pas de façon idéologique, qu’on avancera. Il y a quelques années, on cherchait un intervenant pour JAMAC , et on nous avait orientés vers une personne, experte, que j’ai eu au téléphone. On a discuté, et pour elle, tout était lu dans le sens de la perversion de l’accusé : il crie son innocence, c’est qu’il est pervers, il a un comité de soutien, c’est qu’il l’est encore plus. Là, il ne peut pas y avoir de débat possible.
En se référant à quelque chose, on a le danger de s’y référer dogmatiquement. Je ne vois cependant pas comment on peut avancer autrement. Je suis pour aller à la confrontation. Autrement, on s’en remet au « bon sens ». À un moment ou à un autre, le « bon sens » interviendra. Il me paraît préférable qu’il intervienne à partir de bases élaborées, plutôt qu’il n’intervienne qu’en tant que tel. L’exemple classique, il vaut mieux partir pour une expédition polaire avec le matériel adéquat qu’avec des vêtements d’été et des cartes des lacs italiens, même si dans les deux cas le bon sens aura à intervenir.
Depuis de début de JAMAC, on essaye de faire avancer l’idée d’une évaluation interdisciplinaire avant d’enclencher l’engrenage judiciaire. L’évaluation elle sera ce qu’elle sera, personne ne peut garantir que l’évaluation permettra de tout élucider. Mais si elle existe, et si ce genre de chose se donne les possibilités d’évoluer par des bilans de ces évaluations etc…, de façon non dogmatique, je pense que ce sera un grand progrès. Par l’étude critique de ce qui se fait, à partir du moment où l’étude critique est acceptée et c’est là le problème qu’on rencontre, mais c’est à partir de l’évaluation critique des procédures employées que l’on pourra avancer. Un cadre évaluatif qui se donne les moyens d’évoluer à partir de l’expérience qu’il peut avoir.
Jacques Trémintin : Moi ce que je remets en cause, c’est la judiciarisation d’entrée. Je ne suis pas sûr que ce soit pertinent pour l’enfant, encore moins pour la personne que l’on va chercher à son boulot ou chez lui, menottes aux poignets, et qu’après on ramène parce que l’enquête a abouti à un classement sans suite.
Ce que j’ai voulu présenter, c’est l’existence d’outils, et je ne suis pas persuadé que ces outils sont connus par le public français. Ça existe ailleurs, et je propose de les faire connaître pour dire qu’on peut sortir de la procédure actuelle, de la précipitation qui ne sert ni l’enfant, ni l’adulte s’il s’avère innocent.
Question : À donner ces outils d’expert au public, ne donne-t-on pas aussi des outils pour se préparer à ce type d’expertise ?
Jacques Trémintin : Je crois assez peu qu’un adulte, et a fortiori un enfant puisse tenir très longtemps même en connaissant les critères. Chassez le naturel, il revient au galop. L’abuseur manipulateur et pervers, lui ça peut lui servir, mais l’enfant, ça me paraît plus difficile. Il y a quand même 19 critères. Mais c’est un effet pervers possible que vous soulignez. Je vois cela du côté des enfants qui ont été dans cette situation et je ne les imagine pas… Mais on peut tomber sur des ados calculateurs, on peut l’imaginer.
De la salle : Je pense au cas d’une femme qui était prof qui avait accusé de tortures, d’actes de barbarie sur une adolescente de 14 ou 15 ans. La jeune fille a monté une histoire monstrueuse, elle a quand même été crue pendant 4 ans. Libé disait qu’elle avait inventé un mauvais porno.
Jacques Trémintin : Je serais assez curieux, si ces déclarations ont été enregistrées, qu’on les soumette rétrospectivement à « Paroles d’enfant » et qu’on leur demande une analyse de crédibilité. Pour autant, là aussi on n’est pas dans le tout ou rien. Jusque et y compris si un certain nombre d’adolescents ont cette capacité de monter un scénario qui tienne en s’appuyant perversement sur ces critères, ça n’invalide pas pour autant pour l’ensemble des témoignages. En aucun cas je veux que vous sortiez de cet échange avec l’idée qu’il pourrait exister une liste de critères miraculeux qu’il suffirait de comparer à un récit d’un enfant abusé pour en sortir la certitude qu’il a menti ou non. Vous avez évoqué l’un des travers, et je suis sûr qu’il y en a d’autres. Et même dans la façon dont sont constitués ces critères il y a des choses à rediscuter.
On se trouve aujourd’hui dans une situation de restriction budgétaire, donc on ne va pas dans le sens de donner les moyens au juge ou au procureur de faire bien leur boulot, donner les moyens à des experts de pouvoir prendre leur temps. Je le regrette, car je pense qu’il y a trop d’enjeux, trop de souffrances humaines du côté des enfants comme du côté des adultes, et on devrait la prendre plus sérieusement.
De la salle : J’avais une remarque à faire sur ce que disait Jacques Trémintin, quand il disait qu’après tout le traitement judiciaire ou pénitentiaire n’est pas forcément le mieux approprié pour l’enfant. C’est un point qui va plus loin que le champ de réflexion de JAMAC. Nous on ne rentre pas en tant qu’association sur ce point là, on en reste aux procédures autour de est ce que ces faits se sont passés ou pas. Après la façon de traiter la chose, c’est du ressort d’un éventuel groupe de pilotage, prenant en compte les divers paramètres, reconstruction de l’enfant, sanction etc…
De la salle : Autant je suis d’accord en ce qui concerne l’évaluation avant judiciarisation intempestive. Autant, en ce qui concerne quelqu’un qui aurait abusé un enfant de façon avérée, je ne le suis plus du tout qu’on se pose la question de savoir si c’est bien ou non, pour ne pas casser le lien avec l’enfant, de le punir. Là je ne me pose pas la question, parce que ce lien il est fondé sur une mésentente de ce qu’est un lien social.
De la salle : On est tous d’accord sur un point, c’est qu’avant d’engager des procédures judiciaires, il faut employer d’autres démarches que celles d’aujourd’hui.
De la salle : Mais il faut prendre des mesures de sauvegarde aussi.
Jacques Trémintin : Là aussi, il ne faut pas être dans le « ou », dans le « soit on prend des mesures de précaution, soit on n’en prend pas ». Cette cellule qui reçoit peut mettre en placement provisoire, mettre l’enfant en protection. Ça n’exclut pas cela, mais ça donne des moyens de se tromper le moins possible, sans être une garantie absolue.
Question : Est ce que vous aussi vous vous référez à la circulaire Allègre-Royal en tant qu’éducateur ? Parce que nous c’est un de nos problèmes.
Jacques Trémintin : Non. En Loire Atlantique nous avons un protocole qui a été signé par l’Éducation Nationale, la DISS, l’hôpital… qui nous contraint à un certain nombre de règles de fonctionnement qui ne sont pas très éloignées de cette circulaire, puisque dès l’instant où l’on a une suspicion, on fait un signalement en essayant de réunir les professionnels qui sont concernés. Une fois que c’est entre les mains du procureur et des services de gendarmerie on a ordre de ne plus avoir contact ni avec l’enfant ni avec la famille, pour ne pas venir perturber « l’effet de surprise ».
Au terme de ce débat : L’intervention de Jacques Trémintin est une intervention de quelqu’un qui est dans une certaine position dans la façon dont arrive la parole de l’enfant, entrée qui est différente de la nôtre, puisque nous abordons la question à partir d’enseignants ou éducateurs accusés et qui se disent innocents. Quand on parle d’évolution des procédures administratives et judiciaires, il faut que l’on intègre que ces procédures évolueront en tenant compte du problème global, notamment de la façon dont les enfants se confient aux éducateurs. C’était intéressant que l’on ait cet éclairage, cet aspect de la chose, et on a pu se rendre compte que ce n’est en rien contradictoire avec ce que l’on peut avancer à JAMAC.
Jacques Trémintin – Septembre 2003