Les jeunes et la prison

Les jeunes et la prison

La prison a pour ambitions de décourager les délinquants et de les inciter à s’intégrer. Si elle n’a réussi ni l’une, ni l’autre et ce malgré le doublement de la population carcérale et du temps moyen d’incarcération en vingt ans, elle reste le lieu de l’humiliation, de l’infamie et du déni de la dignité humaine. Craint à juste titre par certains jeunes, traitée avec désinvolture par d’autres qui y voient un défi à relever, voire un signe de reconnaissance, l’animateur se doit d’avoir un discours argumenté sur cette réalité.

Que ce soit en cellule d’arrestation, en centre de détention, dans une prison ou en institution fermée, on estime à plus d’un million le nombre d’enfants privés de liberté à travers le monde. Pour l’immense majorité d’entre eux, les raisons qui les conduisent à cette situation sont soit dérisoires, soit scandaleuses : vagabondage, mise en danger, troubles physiques ou psychiques ou encore immigration clandestine, comportement trop difficile, appartenance à un groupe minoritaire, otages pour contraindre des membres de leur famille à se rendre aux autorités ... En réalité pas plus de 5 à 10% de ces enfants sont emprisonnés pour des motifs graves (1). En France, en 2004, le nombre de mineurs incarcérés était en diminution : 751 au 1er  juillet contre 895 mineurs au 1er  juin 2002. Il s’agit presque uniquement de garçons (30 jeunes filles seulement). La durée moyenne d’incarcération est de deux à trois mois. Bien que notre pays s’honore d’être à l’abri de ces détentions arbitraires si fréquentes partout où l’Etat de droit est absent, la distinction entre mineurs en danger et mineurs dangereux, qui s’était quelque peu estompée depuis quelques années, tend à revenir en force. Les campagnes contre l’enfance menaçante deviennent aussi agressives que celles en faveur de la protection de l’enfance menacée. Avec à la clé, la menace de l’emprisonnement comme protection ultime d’une société qui manifeste une peur anxieuse à l’égard de sa propre jeunesse. On ne saurait aborder la question de la prison par le petit bout de la lorgnette. Il nous faudra pour mieux saisir le présent, comprendre ce qui l’a précédé et pour décoder le particulier de l’emprisonnement des mineurs, l’articuler avec la globalité du phénomène carcéral.

 

Relégation ou réhabilitation ?

Longtemps, les conditions d’existence furent dures et sans pitié : épidémies, famines, guerres ravageaient les populations, au point parfois de les décimer. L’espérance de vie ne dépassait pas 26 ans. La mortalité infantile était terrible, moins de la moitié des enfants atteignant l’âge adulte. Ces circonstances permettent d’expliquer la fragilité de la valeur de la vie. A la cruauté des mœurs correspondait la rudesse des sanctions. La justice s’exerçait selon des principes qui peuvent, à juste titre, nous sembler d’une infinie brutalité. Le mis en cause était torturé afin qu’il avoue sa culpabilité (la terrible « question »), la coutume voulant qu’il soit libéré s’il résistait et persistait à proclamer son innocence, malgré les souffrances infligées. L’ordonnance royale de 1610, qui restera en vigueur jusqu’à la Révolution, hiérarchisait les châtiments : le bannissement, l’amende honorable, le fouet, la galère et la mort. Mais de prison, point. Si certains détenus politiques (on se souvient du mystérieux « masque de fer ») sont embastillés, c’est là une exception. L’incarcération restait alors pour l’essentiel un lieu de rétention provisoire, en attendant de passer en jugement ou de subir sa peine. Mais elle n’avait pas le statut de punition en tant que telle. Les principes révolutionnaires vont réformer radicalement cette vision de la justice. Il ne s’agit plus de punir les corps, mais de tenter de corriger les âmes. C’est le code criminel révolutionnaire (premier code pénal) qui, en 1791, place l’enfermement carcéral au coeur du système répressif, avec deux objectifs : châtier et intimider les délinquants d’un côté, favoriser leur réinsertion de l’autre. A peine proclamés, les principes des constituants insistant sur la nécessaire réhabilitation vont être bien malmenés (2).

 

Née sous une mauvaise étoile

En 1801, soucieux de dégager plus de moyens pour ses dépenses militaires, Napoléon commence par réduire drastiquement le budget dévolu aux prisons. Puis, en 1810, il instaure le système de la prison manufacture gérée par des entrepreneurs privés et surveillée par des gardiens payés par l’Etat. Réduits à l’état d’esclaves subissant une discipline de fer, l’arbitraire des surveillants et les pires privations, les captifs y endurent une mortalité quatre à cinq fois supérieure à celle de la population libre. Ce régime durera jusqu’en 1890. En 1885, une loi est venue encore aggraver la situation des prisonniers : elle organise la déportation des multirécidivistes au bagne de Guyane. C’est délibérément alors que l’on envoie à ce qu’on sait être une condamnation à une mort quasi certaine. « La France n’hésite pas à verser le sang de ses soldats pour accroître sa grandeur. Pourquoi hésiterait-elle à sacrifier la vie de ces hommes tarés pour atteindre le but utile  du développement des colonies ? Je dirais plus, la mort est dans ce cas une demi réhabilitation pour le condamné qui le subit en travaillant au profit de son pays » affirme ainsi en 1891, devant l’Assemblée nationale, le rapporteur de la loi ! La prise de conscience de l’inhumanité du sort réservé aux  bagnards émerge progressivement dans les premières décennies du XX ème siècle, notamment grâce à des campagnes de presse (dont celles du célèbre Albert Londre). Elle va s’accélérer notablement au retour des camps de concentration nazis.

 

Un espoir …

Le personnel politique qui accède alors aux responsabilités a été traumatisé par l’expérience concentrationnaire et veut débarrasser le système carcéral français de tout ce qui peut lui ressembler. La commission de réforme nommée en 1945 par le gouvernement provisoire proclame que « le traitement infligé au prisonnier, hors de toute promiscuité corruptrice, doit être humain, exempt de vexation et tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration » De fait, de nombreuses modifications interviennent dans les années qui suivent. Le recours au bagne est tout de suite aboli. Puis viendra en 1958 toute une série de réformes. D’abord, la création du Juge d’application des peines chargé de gérer l’incarcération du détenu, faisant ainsi sortir l’administration pénitentiaire de sa toute-puissance. C’est ensuite l’entrée dans le monde carcéral des services socio-éducatifs destinés à préparer la réinsertion des détenus. C’est encore les mesures de sursis avec mise à l’épreuve permettant d’éviter l’incarcération immédiate qui complètent les modalités déjà existantes aménageant la peine (régime de semi-liberté intervenu en 1948, des permissions de sortie en 1949 et les réductions de peine mises en place en 1972). Bien d’autres changements vont rendre le quotidien carcéral moins stigmatisant : fin du port du costume, de l’obligation au silence ou des cheveux rasés, possibilité d’acheter certains biens de consommation, location de télévision dans les cellules... Au point, qu’une certaine opinion publique a pu railler ce qu’il a été convenu d’appeler des prisons « trois étoiles ».

 

… vite déçu

En fait de luxe, les conditions d’incarcération constituent encore, dans beaucoup de cas, des aberrations inhumaines et dégradantes. En 2000, Véronique Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé depuis 1993, publie un ouvrage qui fait l’effet d’une bombe (3). Elle y décrit un univers impressionnant de brutalité, de violence et de mépris pour la condition humaine. C’est d’abord une odeur intenable où se mêlent le moisi, le salpêtre, le tabac, la sueur et l’urine. C’est aussi une saleté épouvantable, la crasse partout, les carreaux cassés, la vétusté, des détritus au sol, des bêtes diverses (gros rats, cafards, souris). C’est encore les murs des cellules suintant d’humidité des chasses d’eau déglinguées débordant de moisissure verte, une nourriture infecte servie toujours froide et souvent remplie de mégots ou de cafards. Maladies de peau, affections respiratoires, stress, folie … les détenus n’ont parfois comme seule perspective que d’en finir en se pendant, s’ouvrant les veines ou se tranchant la gorge. La question posée par Véronique Vasseur est claire : quand la privation de liberté cessera-t-elle d’être synonyme de conditions de vie sordides ? Quand l’incarcération ne sera-t-elle plus synonyme de déchéance ? Une commission d’enquête est alors constituée à l’unanimité par les députés, bientôt suivis par les sénateurs. Le  rapport parlementaire titrera sur « l’humiliation de le République ». Une grande réforme pénitentiaire est annoncée. Le nouveau gouvernement issu des présidentielles de 2002 lui préférera la construction de 28 nouvelles prisons de 13.200 places, dont 400 pour les mineurs. 

 

Du côté des mineurs

Pendant longtemps, les enfants ont été soumis au même régime que les adultes avec qui ils partageaient les mêmes cellules. C’est en juillet 1791, que le nouveau code criminel révolutionnaire évoque pour la première fois les notions qui constitueront la base de la justice des mineurs : rechercher si l’enfant a agi avec discernement, tenir compte de l’excuse de minorité, faire coexister des peines et des mesures éducatives, séparer les mineurs des adultes … Ces nobles intentions ne se concrétiseront que bien plus tard. Un premier établissement carcéral réservé aux enfants ouvre en 1836 : la Petite Roquette (4). Il accueille des mineurs de 8 à 20 ans condamnés pour la plupart, pour de crimes sordides : l’un a écopé de deux ans de détention pour « vol d’un lapin et de deux canards », l’autre a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour « incendie d’une récolte de froment et d’orge ». Mais il y a aussi ceux qui, sur simple requête de leur père, sont incarcérés de 3 à 6 mois : c’est le trop fameux droit de correction paternel qui subsistera jusqu’en 1935. Chaque gamin est enfermé dans une cellule. Il s’y repose, y travaille, s’y alimente et s’y instruit. Il n’en sort que pour le parloir, la promenade quotidienne et la messe. Isolement absolu et silence sont les maîtres mots. La moindre incartade est punie de suppression de parloir, de promenade et de pitance, voire de cachot. L’établissement fermera en 1865, suite à des révoltes répétées. Opposés à cette enfermement stérile, des esprits réformateurs avaient proposé une solution alternative : « la régénération par la terre ». Une première colonie agricole ouvre en 1839, cinquante autres suivront bientôt.

 

De petits esclaves bon marché

 La loi du 5 août 1850 officialise ces structures qui sont chargées d’élever les jeunes détenus « en commun, sous une discipline sévère, appliqués aux travaux de l’agriculture, ainsi qu’aux principales industries qui s’y rattachent. » Leur gestion fut confiée à l’initiative privée. Certains philanthropes tentèrent alors de créer de véritables lieux d’accueil comme la mère Marie-Euphrasie Pelletier, fondatrice du Bon Pasteur à Angers, qui recommandait de ne jamais frapper les enfants et de les traiter avec bonté ou comme Auguste Frédéric Demetz fondateur de La Mettray qui mettait en avant l’importance de la vie affective dans la formation de la personnalité. Mais, très vite, des propriétaires, voire des aventuriers virent là une occasion inespérée de valoriser leur domaine ou de faire cultiver des terres arides par une main d’œuvre bon marché. Autant dire que les conditions de vie s’avérèrent très vite infernales : sous-nutrition, hécatombes sanitaires, brutalités multiples, sévices tant physiques que moraux (5). Ce terrible système va durer presque cent ans avec la complicité de l’Etat et d’une opinion publique qui trouve que, décidément, on dépense encore trop d’argent pour cette racaille ! Les révoltes éclatent dans ce qui est dénoncé par la presse comme des « bagnes pour enfants ». La volonté de réforme finit par s’imposer. A compter de 1938, l’administration pénitentiaire fait entrer des instituteurs aux côtés des gardiens.  « Les pupilles de La motte Beuvron participent à la destruction des cages de fer où on les enfermait le soir » titrait ainsi Paris-Soir à la fin des années 1930.

 

La fin des bagnes d’enfants

Comme pour les adultes, le traitement de la délinquance des mineurs va se trouver notablement modifiées à la suite des horreurs vécues pendant la seconde guerre mondiale. En 1945, dans la foulée de l’ordonnance du 2 février, le ministère de la justice crée une direction spécifique appelée « éducation surveillée ». Celle-ci met alors en place un Centre d’Observation destiné à étudier la personnalité du mineur mis en cause, afin de proposer au magistrat la mesure éducative la mieux adaptée. La discipline et l’ordre y règnent. Les adolescents y sont soumis à une investigation poussée : examen médical, psychologique, psychiatrique, enquête sociale, évaluation scolaire et professionnelle, analyse de comportement, les moindre moments de vie quotidienne sont l’occasion de jauger la personne et de la placer dans la case qui lui correspond le mieux. Cette observation minutieuse permettait de classifier le jeune délinquant à partir de catégories qui pour nous paraître aujourd’hui aussi ridicule que choquante, n’en constituaient pas moins à l’époque une avancée considérable : « accidentel », « cas social », « subnormal », « arriéré intellectuel»,  « instable et fugueur », « dangereux avec malignité », « psycho-névrotique curable » ou « psychiatrique peu curable ». C’est bien à partir de cette évaluation que le jeune était orienté vers l’une des huit institutions publiques d’éducation surveillée réparties sur tout le territoire. Ces internats sont encore marqués par la tradition pénitentiaire (les 200 jeunes qu’ils accueillent portent l’uniforme et se rassemblent chaque matin pour saluer la montée du drapeau).

 

Retour à la case prison

Mais les pratiques vont évoluer au cours des années. Les grands internats ferment les uns après les autres et sont remplacés par des petits foyers d’hébergement éparpillés au cœur des villes. L’enfance délinquante étant perçue comme avant tout victime, l’intervention des travailleurs sociaux prend une orientation nouvelle : priorité est donnée à  l’accompagnement au cœur du milieu naturel du jeune. C’est ce qu’on appelle l’action éducative en milieu ouvert (AEMO). Les professionnels pénètrent dans les familles et tentent de réagir au mieux face aux difficultés parfois lourdes qui sont autant d’obstacles à l’insertion scolaire et professionnelle des jeunes. La conviction qui s’impose alors, c’est qu’il faut répondre aux causes de la délinquance et non à ses seules conséquences. On est entré dans une culture de prévention. Cette approche ne va pas suffire à réguler la montée de la délinquance des mineurs. Bien des facteurs permettent de l’expliquer. On soulignera notamment l’aggravation de  la précarisation, l’accélération d’une insécurité sociale massive qui touche plus particulièrement les nouvelles générations. L’avenir que la société leur propose est paradoxale : une offre inégalée de  biens de consommations, mais une difficulté toujours plus grande à y accéder. Certains jeunes, refusant de se résigner à ce marché de dupe choissent de s’approprier par leurs propres moyens ce qui leur est refusé. Le monde des adultes répondra par l’accroissement de la répression, et la menace d’incarcération brandie à toutes les sauces (même pour ceux qui stationnent dans les halls d’immeuble !).

 

Justice restaurative ou justice distributive ?

S’il est légitime et nécessaire que la société demande des comptes à ceux de ses membres qui ne respectent pas les règles de vie collective, elle ne doit pas pour autant les traiter en déchets irrécupérables. C’est bien leur éducabilité et la possibilité de leur réinsertion qui doivent être retenues. Si l’activité criminelle a décru depuis 150 ans, passant de 5.000 condamnations en 1850 à 2.500 dans les années 1990 (la population s’étant multiplié dans le même temps par 1,8), parallèlement, l’institution judiciaire s’est trouvé littéralement engorgée par des atteintes liées à la délinquance dite de masse. Si sa gravité a décru (98,81% est dirigé contre les biens avec seulement 0,021% de crime de sang), sa visibilité a explosé, tout comme l’impuissance à la contenir (classement sans suite atteignant 8 plaintes sur 10). Cela a pesé directement sur le sentiment général d’insécurité (29% des français considéraient les juges trop indulgents en 1980, 40% en 1984, 72% en 2002). N’y a-t-il pas là une place pour une nouvelle forme de justice qui loin de se contenter d’être distributive (en se limitant à attribuer des peines en fonction des infractions commises) se voudrait restaurative ? Il s’agirait alors d’offrir, d’une façon qui soit globale et durable, à la victime une réparation, au délinquant une (re)socialisation et à la société une restauration. Cela implique une prise en charge complètement différente des conflits qui ne s’inspire pas de la seule vengeance. Il est toujours affligeant de constater que lorsque quelqu’un a subi un dommage, il n’a de cesse que d’obtenir la punition du responsable ou d’un responsable.

 

Réparer plutôt que châtier

Que l’affliction de la victime doive être prise en compte est indiscutable. Mais la conviction qu’elle ne puisse être entendue qu’à partir du mal infligé au coupable relève de l’antique loi du Talion (pour un œil crevé, on peut crever un œil, pour un bras cassé, on peut casser un bras etc…). D’autres traditions ont eu cours qui vont d’Athènes jusqu’aux XIV ème - XV ème et qui privilégiaient le face à face des victimes et des auteurs, de nombreuses techniques d’échange et de compensation animées par des apaiseurs, des conciliateurs et autres arbitres permettant alors la reconnaissance du préjudice subi et le bénéfice de réparations (6). On retrouve cet esprit dans les mesures judiciaires alternatives : le travail d’intérêt général institué en 1983 (40 à 210 heures au profit d’une collectivité, en lieu et place d’une peine d’emprisonnement), la

médiation-réparation (proposée aux mineurs depuis 1993) ou la médiation pénale (proposée aux adultes depuis 1996) qui consistent, avant jugement, en une activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime ou dans l'intérêt de la collectivité. Il serait bien entendu illusoire d’imaginer que tous les conflits puissent être ainsi résolus. Mais, au final, il y a bien deux cultures qui s’opposent. Il y a d’abord celle de la répression qui semble fort bien se porter ces temps derniers. L’illustration emblématique de ce modèle, ce sont les USA avec leur record de violence et de détenus. Et puis il y a celle qui privilégie la prévention, l’accompagnement social et la médiation, bien plus mal en point, aujourd’hui.  Des milliers de mesures d’assistance éducative, pourtant ordonnées par des juges pour enfants, restent en souffrance, par manque de moyens pour les appliquer. 250.000 personnes condamnées sont prises en charge par seulement 2.000 travailleurs sociaux des services de probation judiciaire. Quant à la médiation, il suffit de constater la faible fréquentation des services chargés de gérer les séparations familiales, pour mesurer l’attrait de nos concitoyens pour la querelle. Des prisons pleines à craquer, des existences ravagées, la vengeance plutôt que la réconciliation : ce n’est pas une fatalité, c’est un choix de vie, un choix de société, c’est un choix éthique.

 

Jacques Trémintin – Janvier 2005

 
(1)      « Enfants privés de liberté- Droits et réalités » Geert Cappelaere et Anne Grandjean, éditions Jeunesse et Droits, 2000
(2)      « A quoi servent les prisons » Laurent Mucchielli, Sciences Humaines n°26, mars 1993
(3)      « Médecin-chef à la prison de la santé » Véronique Vasseur, Le  cherche midi éditeur, 2000
(4)      « Enfants perdus, enfants punis » Yves Roumajon, Poche Pluriel, 1991
(5)      « Les enfants du bagne » Marie Rouanet, Payot, 1992
(6)      « Victimologie- De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale » Robert Cario, L’Harmattan, 2000
 
 

 

L’indignation sénatoriale

« La commission d'enquête a visité le quartier des mineurs des prisons de Lyon. La situation qu'elle y a constatée est véritablement une « humiliation pour la République ». Les locaux sont terriblement dégradés, le surpeuplement y est parfois tel que la commission a rencontré un mineur couchant sur une paillasse à même le sol. Toutes sortes de trafics y prospèrent, la séparation entre majeurs et mineurs étant virtuelle. Les efforts d'un personnel pénitentiaire très méritant ne peuvent suffire à compenser une telle situation. Le quartier des mineurs des prisons de Lyon est plus digne d'un roman de Charles Dickens que de la France du vingt-et-unième siècle. »

Rapport de la commission sénatoriale

 

Prison quatre étoile ?

« Souvent, j'entends des jeunes parler du placard comme si c'était des vacances tranquilles : tu regardes la télé, tu manges, tu dors, tu vis bien quoi. Si tu crois à ces conneries et que tu te retrouves un jour au placard, dans ce trou à rats, tu risques d'être déçu. Enfermé entre quatre murs, tu vas comprendre ce que c'est que la souffrance. C'est horrible, tout ce qui se passe en prison. Non seulement tu es privé de ta liberté mais il peut t'arriver les pires cauchemars que tu n'aurais jamais pu imaginer. Si tu as du courage et de l'espoir, tu ne penses qu'à une chose : sortir de ce trou pour ne plus y revenir. Si tu crois que la prison c'est le Club Med, et bien tu n'as rien compris. La prison, c'est vraiment la misère, c'est l'enfer, tu ne vis plus, tu es obligé de te soumettre à plus fort que toi et, ton seul droit, c'est de fermer ta "gueule". Personne ne lèvera le petit doigt pour toi, personne ne se souciera pour ta souffrance. »

 Fayçal, 18 ans (http://www.avvej.asso.fr/)

 

Côte d’alerte dépassée ?

Entre 1980 et 1999, le nombre de suicides en détention est passé de 39 à 125, soit une augmentation de 200%.

Aujourd’hui, on compte :

- 3 tentatives de suicide par jour.
- 3 décisions de grève de la faim par jour.
- 1 suicide tous les 3 jours.
- Les personnes incarcérées se suicident 7 fois plus que les personnes libres.
- Il y a 10 fois plus d’auto agression en prison qu’en milieu libre.

- 60% des personnes incarcérées qui se suicident sont en attente de jugement. 
- 1/3 des suicides ont lieu dans le premier mois de la détention. 

D’après: « Le suicide en prison, logiques sociales » Nicolas Bourguoin, L’Harmattan

 

 

« Espérer rééduquer, aujourd’hui encore, par la contrainte ou par la seule force de l’exemple ne peut qu’être voué à l’échec : des milliers d’éducateurs ont expérimenté, en France et ailleurs, qu’il fallait lâcher, au contraire, ce modèle, pour en inventer un autre. Le lent travail de remédiation et de réparation qui est à élaborer ne saurait se régler à coups de séquences brèves et répétées d’enfermement. L’enfermement ne conduira jamais des jeunes qui n’ont pas bénéficié des conditions de maturité subjectives souhaitables à la liberté de comportement espérée. Il ne fera au contraire que durcir leur tendance à agir leur souffrance » Jean Lavoué, Directeur général de l’ADSEA du Morbihan, (in « La demande de justice en protection de l’enfance » L’Harmattan, 2004)

 

 

 

Fiche n°1 : Ce que la prison devrait être

Il existe en France trois Centres de Jeunes Détenus (CJD) à Aix-Luynes, Bordeaux-Gradignan et Fleury-Mérogis. Ces établissements peuvent recevoir des mineurs et de jeunes majeurs de 18 à 21 ans. Par ailleurs, 51 établissements, essentiellement des maisons d’arrêt, disposent de quelques cellules ou de quartiers de mineurs. Destinés à recevoir soit des jeunes mis en cause pour faits graves en préventive, soit des jeunes condamnés à des peines de prison ferme, les modalités d’enfermement devraient respecter des règles précises réservées aux mineurs. Suivons Mathias, âgé de 16 ans, qui vient de franchir le mur d’enceinte d’une maison d’arrêt. Un sas ne permet à la grille qui donne sur la cour intérieure, de s’ouvrir que lorsque la lourde porte donnant sur l’extérieur s’est refermée. Extrait du fourgon, l’adolescent est aussitôt amené, dûment entravé, au greffe. On commence par vérifier ses empreintes (afin d’éviter toute erreur d’identité). Puis, il doit remettre ses objets personnels (il les retrouvera à sa sortie). Enfin, on lui attribue un numéro d’écrou. Mathias subit une fouille à corps. Il doit se mettre à nu et on pourra même vérifier qu’il n’a rien dans l’anus. Cette procédure sera appliquée (dans les faits plus ou moins systématiquement selon le zèle du surveillant chargé de l’appliquer) après chaque parloir ou sortie de l’établissement. L’adolescent est ensuite conduit à sa cellule. L’article D89 du Code de Procédure Pénale (CPP) préconise, qu’eu égard à son âge, il bénéficie d’une cellule individuelle. C’est là un avantage non négligeable quand on sait que nombre de détenus de plus de 21 ans s’entassent à deux, quatre voire cinq personnes là où seules deux places sont initialement prévues. Cette pièce comporte un lit, une table, une chaise, un WC et une fenêtre lui permettant de bénéficier de la lumière naturelle. Mathias pourra décorer sa cellule comme il le souhaite. Il pourra suivre une formation (des instituteurs assurent un enseignement adapté, des moniteurs une formation professionnelle pour les longues peines), avoir des activités de loisirs (bibliothèque, ateliers socio-culturels, théâtre …), ou sportives (terrains de sport, salle de musculation …). Il pourra louer une télévision dans sa cellule, s'approvisionner en produit divers (hygiène, alimentaire, loisirs…) auprès de ce qu’on appelle la « cantine » de l’établissement. Il est prévu qu’il se rase deux fois par semaine et se douche une fois. Certains établissements permettent un rythme plus important. Il est fréquent qu’un jeune puisse obtenir du surveillant qu’il le laisse séjourner quelques temps dans la cellule d’un autre détenu. Les visites au parloir se font au rythme de trois fois par semaine (selon les places). Il bénéficiera en outre au minimum d’une heure de promenade à l’air libre chaque jour. En cas de transgression du règlement, des sanctions peuvent être prises par le tribunal interne (appelé prétoire). Les mesures disciplinaires possible sont la suppression de cantine, de tabac, de visites, de télévision ou la restriction du droit de correspondance. La punition la plus sévère est l’isolement de jour et de nuit dans sa cellule ou une cellule dite disciplinaire (plus facilement appelée le mitard disposant d’un lit en béton, la literie étant enlevée le matin et redonnée le soir). Cette dernière mesure est toutefois interdite pour les moins de 16 ans et limitée à 15 jours pour les détenus de 16 à 18 ans.

 

 

Fiche n°2 : ce que la prison est trop souvent

L’Observatoire International des Prisons fait régulièrement le point sur l’état des lieux de l’emprisonnement des mineurs en France. L’article 11 de l’ordonnance du 8 mai 1945 (qui est le texte fondateur du traitement de l’enfance délinquante) affirme que cette incarcération doit s’effectuer d’une manière séparée des adultes. Ce principe est rarement respecté pour ce qui concerne les adolescentes, pour qui il n’existe pas de quartier spécifique. Le Code Procédure Pénale prévoit aussi une cellule individuelle pour les moins de 21 ans. Cela est rarement le cas, du fait même de la surpopulation carcérale. La circulaire de l’administration pénitentiaire en date du 4 février 1994 précise même qu’il est « impératif de veiller à ce que plus de deux mineurs ne soient pas placés dans la même cellule. » Les conditions d’hygiène s’avèrent notoirement insuffisantes dans de nombreux établissements vétustes. Le détenu reçoit, à son arrivée, qu’il soit mineur ou non, un savon, un rouleau de papier hygiénique et un flacon de shampooing, dotation qui ne sera pas renouvelée quelle que soit la durée de son séjour. Il lui revient à cantiner pour s’approvisionner (s’il n’a pas d’argent, tant pis pour lui). La réglementation prévoit que « le régime alimentaire des détenus de moins de 21 ans doit être amélioré par rapport à celui des adultes ». De fait, la nourriture reste bien souvent de mauvaise qualité et est souvent servie froide. Là encore, le cantinage est la seule solution pour améliorer un ordinaire le plus souvent insatisfaisant. Les activités socio-culturelles et sportives sont aléatoires. Ainsi, à la Maison d’arrêt de St Paul à Lyon, il n’y a pas de terrain de sport alors que le CJD de Fleury-Mérogis est doté d’un terrain de basket, de volley, de hand-ball, un gymnase, un mur d’escalade et une salle de musculation. Quant aux activités scolaires ou socioculturelles, la plupart des établissements manquent cruellement de moyens matériels et humains, et les mineurs restent la plupart du temps inactifs, n’ayant alors pour seule possibilité que de rester enfermés dans leur cellule 21 heures d’affilé devant la télévision. Il est fréquent que l’infirmerie reçoive des jeunes portant des traces de coups, hématomes, ecchymoses, plaies par lames de rasoir au niveau du visage, du cou, de membres et du thorax. Les nouveaux arrivés sont systématiquement bizutés : agressions, coups, rackets. Les seules interventions des personnel de surveillance se situent au niveau du conseil de laisser à la fouille les vêtements de marque (Nike, Reebook, Lacoste, …). La première chose qu’il doit décliner, à son arrivée, c’est sa pointure : ses chaussures sont susceptibles de lui être volées dans les tout premiers jours par ses co-détenus. Les faibles doivent payer leur tribut aux plus forts. Il est ensuite affranchi des codes qu’il se doit de respecter. II en va ainsi de l’approvisionnement en produits psychotropes de toutes sortes. Et puis, il y a la violence qui peut surgir à tout instant. Dans les cours de promenade tout d’abord : en cas de bagarre, le personnels ne se risquant pas à y pénétrer. Cela se passe aussi dans la salle de douche : le bruit assourdissant et la buée favorisant les règlements de compte et empêchant toute surveillance efficace. Mais l’insécurité a aussi gagné les salles d’attente des parloirs. Résultats : de nombreux jeunes sont terrorisés et se replient sur eux-mêmes, refusant de sortir de leur cellule, renonçant à l’école, à la formation professionnelle, aux activités sportives et même à la cour de promenade. Lorsqu’ils sont agressés, ils refusent de porter plainte par crainte des représailles pendant ou après l’incarcération. N’est-il pas paradoxal que la société incarcère de plus en plus souvent des jeunes pour des problèmes de violence et qu’elle les laisse sans réagir devenir victimes des mêmes crimes et délits à l’intérieur de la prison, sous le regard d’adultes qui n’interviennent pas et laissant sans suite judiciaire la plupart du temps les actes commis ?

 

 

Fiche n°3 : quelles alternatives à la prison ?

Peut-on éviter la prison pour les jeunes délinquants ? Il y a ce qui relève du mythe répressif : faire peur ou conditionner (les visites de prisons aux écoliers ou les camps militaires à régime disciplinaire...). Il y a ce qui relève bien plus de la prévention et est porteur d’espoir : soutenir les familles financièrement (en évitant de les laisser dans la plus grande précarité économique), les accompagner dans leur tâches éducatives (plutôt que de les stigmatiser en les rendant systématiquement responsables de tout), aider les enfants à changer leur attitude vis à vis de la violence (plutôt que de valoriser en permanence les attitudes violentes), déjudiciariser les conflits de faible importance (plutôt que de multiplier les occasions d’incarcération), proposer aux jeunes délinquants en mal de sensations fortes des défis extrêmes... Mais on ne pourra jamais éviter totalement certains passages à l’acte délictueux ou criminels. Pour ceux dont l’incarcération apparaît inévitable (parce que multirécidivistes et dans une toute-puissance que rien ne semble pouvoir arrêter), cela passe par une prise en charge individualisée à partir de petits groupes avec comme support l’acquisition de règles de base de la vie en collectivité, d’abord pour eux-même, mais aussi pour les autres. Ce n’est pas là une utopie, tel que le montre l’organisation du quartier des mineurs de la prison de Vilepinte. Composée de vingt-cinq places réparties sur deux niveaux, toutes les activités scolaires, culturelles, sportives, ludiques ou de promenade se font par groupe de six jeunes maximum. L’incarcération suit une progression en trois étapes allant du moins au plus autonome. Le passage d’une phase à l’autre dépend du comportement du jeune. En cas, d’incident, il peut il y avoir rétrogradation (en plus des sanctions classiques). Chaque semaine, un point est fait sur la situation et l’évolution de cinq jeunes. Un bulletin d’information est alors adressé aux magistrats, à la famille et aux éducateurs. Une équipe stable constituée de quatre surveillants, de deux enseignants et d’une conseillère d’insertion de probation assure le suivi. Le personnel est choisi sur la base du volontariat. Les gardiens qui ont investi ce nouveau rôle sont fréquemment l’objet des attaques de leurs collègues qui leur reprochent de jouer aux assistantes sociales et de travailler dans des conditions particulièrement confortables qu’eux-mêmes sont très loin de partager (les moyens qui leur sont attribués étant retirés au reste de l’encadrement carcéral).

 

 

 

Bibliographie

►        « Jeunes reclus, souvenirs de galères et d’éducation active » François Rimaire, érès, 1999

François Rimère est l’un de ces jeunes instituteurs stagiaires envoyés en 1938 au cœur même des bagnes d’enfants pour tenter d’impulser le nouveau credo basé sur la rééducabilité des mineurs incarcérés. Ce qu’il constate est accablant : la nuit, les enfants sont enfermés dans des cages. Avant de pénétrer dans leur cellule, ils revêtent une chemise de toile raide et roulent leurs vêtements qu’ils placent dans une pièce à part où ils sont enfermés à clé. La salle où ils passent la nuit empeste l’urine. La tradition veut qu’un plus grand de 16 ans prenne sous sa protection un plus jeune de 14 ans. S’instaure entre eux une relation se situant entre la recherche affective mutuelle et la prostitution. L’intervention de ces jeunes éducateurs est très mal perçue. Elle provoquera la résistance farouche tant des gardiens qui y voient une menace sur leur autorité, voire leur emploi, que des jeunes caïds qui craignent pour leurs privilèges.

►        « Ados derrière les barreaux » René Mouysset, Fayard, 1998

Visiteur de prison, l’auteur nous invite à aller à la rencontre de plusieurs jeunes criminels : Laurent condamné pour viol, José pour avoir assassiné de quarante coups de couteau celle à qui il demandait refuge pour la nuit, Grégory, complice d’un viol en réunion. De tous ces gamins perdus, la responsabilité se divise en trois explique René Mouysset : une part revient à l’enfant. Ce n’est pas un animal ou un bébé tétant sa mère, mais un être humain devant assumer ses responsabilités. Une autre part revient à la famille et aux proches qui n’ont pas su comprendre, prévenir ou sont directement à l’origine d’une haine ou d’une incapacité à gérer des frustrations, en tout cas d’un échec dans cette alchimie de sévérité et de miséricorde que constitue toute éducation. La troisième revient à la société qui reproche à juste raison les actes de violence aux jeunes, tout en leur fournissant toutes les recettes avec abondance de détails.

►        « En prison avec des ados- Enquête au cœur de l’école du vice » Edouard Zambeaux, Denoël, 2001

A raison de 7.000 mineurs incarcérés par an, les « sauvageons » sont en permanence entre 700 et 900 dans une cinquantaine d’établissements pénitentiaires. Si cette mise à l’écart protège la société de nouveaux passages à l’acte, elle ne fait que préparer ceux  qui surviendront plus tard. Les principes de justice qui ont présidé à l’enfermement d’un jeune sont quotidiennement bafoués tout au long de son séjour en prison : racket, consommation de stupéfiants, arbitraire des décisions administratives, conditions de vie déplorables etc ... Rien d’étonnant donc si 75% des jeunes incarcérés retournent un jour en prison. Comment remédier à cette réalité affligeante ? La question des moyens est sans doute essentielle. Avec ses 1,67% du budget de la nation, la justice constitue le parent pauvre de l’Etat. Mais, il y aussi la pesanteur administrative à réagir face aux conditions d’incarcération parfois inqualifiables. Sans oublier ces gardiens pas formés et peu préparés à faire face à des adolescents, et qui ne cherchent qu’une seule chose : ne pas être ennuyés.

►        « Centre fermé, prison ouverte. Luttes sociales et pratiques éducatives spécialisées » Yann Le Pennec, L’Harmattan, 2004

Yann Le Pennec fait remonter la généalogie des centres fermés contemporains à l’ordonnance royale de 1684 qui crée au sein de l’Hôpital général une section spéciale permettant de tenir les jeunes de moins de 25 ans séparés des mendiants, vagabonds, malades et vieillards qui y étaient enfermés. Tous les établissements qui ont succédé depuis ont fermé suite aux révoltes qui y ont éclaté. Comment expliquer l’échec de tous ces lieux ? Parce qu’ils sont fondés sur le modèle de la contention et de la ségrégation impliquant une concentration de violence. Et l’auteur de dénoncer la dérive qui consiste à faire du délinquant une problématique individuelle et psychologique, en passant à coté de la question de l’emploi, de la violence du chômage de masse et de la précarité, autant de dimensions collectives et sociétales qui, pourtant, imprègnent largement la question.