Vie privée/vie professionnelle
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Quel adulte qu’il soit enseignant, animateur, entraîneur sportif, éducateur, n’a pas été interpellé, à un moment ou à un autre, par un enfant sur sa vie privée ? Entre celui qui s’étend avec complaisance sur ce qui relève de son intimité et celui qui a élevé une séparation totalement hermétique et étanche pour la protéger, il y a toute une graduation. Si nombre de professionnels ont trouvé la réponse qui leur convient, bien d’autres s’interrogent sur ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Ce que nous allons tenter d’éclairer dans le dossier de ce mois-ci.
Le 15 mars 2003, au théâtre de la Ville à Paris, un quintet dirigé par le violoniste Fabio Bondi finit son concert sous les applaudissements. Incitée par les rappels, la formation décide de jouer un morceau supplémentaire. A la surprise générale, Fabio Bondi se le dédie, en expliquant : « c’est mon anniversaire ». Les applaudissements du public, touché par cette confidence, redoubleront. Le concertiste s’est présenté ce soir-là sous ses deux identités : un instrumentiste de grand talent et un homme qui souhaite partager un moment intime. L’espace public et la vie privée se sont rencontrés, le temps d’une confidence (1). Cette anecdote singulière et émouvante est tout à fait symbolique de deux univers qui, après avoir été longtemps fusionnés, ont divorcé, avant de connaître un bien curieux rapprochement.
De l’invention de la sphère privée…
L’idée même de vie privée est une acquisition récente. Pendant longtemps, il n’a quasiment existé qu’un espace public. Il n’y avait alors de place ni pour la sphère intime, ni pour l’identité personnelle. Seule comptait l’appartenance au groupe de référence qui décidait de tout. La tradition et des conventions rigides ne laissaient aucune place aux choix personnels. C’est à compter du XVIIIème siècle qu’apparaît la cellule familiale, telle qu’on la connaît aujourd’hui, sous la forme de ce cercle regroupant les parents et les enfants. Un espace se crée qui se distingue de la parenté, du voisinage et du reste de la société. Au siècle suivant, le mouvement s’amplifie : l’organisation spatiale de l’habitation familiale évolue. Alors qu’auparavant, tout le monde couchait dans la même pièce … voire le même lit, la chambre conjugale se sépare de celles des enfants. Ce qui est en train d’émerger progressivement, c’est le processus d’individualisation. En même temps que la notion d’individu, ce qui s’impose c’est la reconnaissance d’une place pour les libertés individuelles. La communauté va de moins en moins pouvoir imposer au sujet le cours de sa vie. Il devient possible à tout un chacun d’orienter son existence comme il le désire. Cette constitution d’un destin individualisé s’accompagne de l’élaboration d’une sphère privée qui échappe au regard extérieur et qui est protégé par le principe de la confidentialité. La notion de vie privée constitue l’un des fondements de la modernité et de la démocratie.
… à sa protection
Cette évolution se retrouve tant au travers du droit international que national. Ainsi, la déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’ONU en 1948 précise dans son article 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » Quant à la législation française, l'article 9 du Code civil affirme ainsi que « chacun a droit au respect de sa vie privée », les articles 226-1 et suivants du code pénal punissant de peines d’« un an d'emprisonnement et 45.000 € d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui ». Notre tradition hexagonale nous distingue de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. Là où la presse française s’est toujours refusé de révéler l’existence de Mazarine, la fille « naturelle » du Président Mitterrand, les Etats-Unis ont cru bon de déclencher une procédure de destitution à l’encontre du Président Clinton, parce que celui-ci n’avait pas voulu répondre publiquement d’une relation sexuelle avec une stagiaire ! Si, dans l’hexagone, on cherche surtout -comme pour n’importe quel autre citoyen- à préserver la vie privée d’un dirigeant politique, aux USA, on essaie avant tout de contrôler sa moralité. Avec le risque, de ce côté de l’océan, d’un gouffre entre ce que vit un élu et les valeurs qu’il défend sur la place publique et outre-Atlantique, la dérive d’une insupportable intrusion dans l’intime.
Du brouillage des frontières…
L’émergence et la protection de la sphère privée constituent donc non seulement l’un des piliers principaux du processus d’individualisation mais se situe en outre au cœur de la modernité. L’émancipation de la pression du groupe et l’affirmation de la personnalité sont à ce prix. Pourtant, on a connu ces dernières années une évolution des plus curieuses. Certes, les frontières entre ce qui est du domaine public et ce qui relève de la sphère intime ont toujours été poreuses et les usages ont pu faire passer tel ou tel domaine de l’existence d’un bord à l’autre (1). Ainsi, de la sexualité qui, longtemps taboue et enfermée dans la sphère personnelle, est devenue progressivement un sujet qui pouvait être abordé en dehors du couple, jusque et y compris en s’exposant aux yeux de tous. En 1983, l’émission télévisée « Psy schow » défraya la chronique, en n’hésitant pas à étaler devant des millions de téléspectateurs un couple de garagistes, Monsieur révélant un problème d’éjaculation précoce et Madame avouant une relation adultère ! Dans la même période, l’attitude face à la mort a notablement changé. Le deuil était accompagné traditionnellement de rites visibles et ouverts sur l’extérieur, certaines civilisations n’hésitant pas à prévoir des « pleureuses » pour rendre l’affliction encore plus spectaculaire, voire tapageuse. Dorénavant, c’est d’une manière discrète que l’on gère la mort d’un proche, chacun étant appelé à respecter ce qui est devenu petit à petit du ressort d’un vécu individuel.
… au dévoilement envahissant de la vie privée
Mais, ce qui est nouveau depuis quelques années, c’est la transformation de la vie privée en sujet de prédilection de la presse, de l’édition, de la télévision et de la radio, chacune rivalisant pour la mettre en scène. De la vedette de la chanson ou de l’écran jusqu’au plus anonyme des citoyens, on ne compte plus les témoignages qui s’étalent, allant au plus profond de l’intimité, portant à la connaissance de millions de témoins les malheurs, les souffrances et les secrets honteux dévoilés sans pudeur, ni retenue. Au-delà d’un phénomène d’édition ou de la presse people, si l’on veut illustrer cette curieuse tendance, il suffit d’évoquer le téléphone portable qui implique, très souvent, une exhibition de l’intimité. Même si l’on commence à voir des tentatives pour s’isoler et communiquer discrètement avec son interlocuteur, il est quand même fréquent, dans une rame de TGV par exemple, d’apprendre tout des soucis personnels d’un passager ou de l’organisation du week-end à venir de tel jeune, informations exposées sans hésitation, ni gène apparente. Au-delà de la dénonciation des pulsions d’exhibitionnisme de ceux qui se prêtent à de tels déballages et du voyeurisme de ceux qui y assistent, on ne peut que constater une évolution qui correspond à une véritable mutation des modalités d’articulation entre la vie publique et la vie privée. « Aujourd’hui, cette distinction vacille, les frontières se brouillent, les territoires se chevauchent » On assiste en fait à une « publicisation du privé » (1).
Mieux connaître pour se construire
Est-ce à dire que l’animateur devrait se mettre à suivre l’air du temps, en étalant ses problèmes de couple, l’histoire de son enfance ou le traitement médical qu’il suit ? Le lecteur se doute bien que ce n’est pas sur cette voie que nous lui proposons de s’engager. Fidèle à l’esprit de l’éducation populaire, le professionnel ne doit pas se contenter de subir passivement les évolutions du monde, en se contentant, tel un témoin passif, de se laisser entraîner par les tendances du moment. Sans vouloir prétendre à lui seul changer la donne, il peut résister, en adoptant l’attitude éducative qui relève de ses ambitions. Quelle peuvent-elles être en la matière ? L’enfant qui questionne son animateur sur sa vie privée ne fait pas forcément preuve d’une curiosité malsaine. On peut émettre l’hypothèse qu’il tente ainsi de donner une dimension humaine à celle ou celui qui lui fait face. Ce professionnel auquel il est confronté n’est pas seulement une machine bien huilée qui sait gérer un groupe, le dynamiser, lui proposer des activités, l’initier à des jeux … En essayant de découvrir comment il est comme citoyen, comme conjoint, comme enfant de ses parents et éventuellement comme parent des enfants, il peut vouloir vérifier comment l’adulte qui lui fait face se comporte quand il a quitté son costume officiel. Tout enfant et encore plus tout adolescent se construit, en cherchant à se confronter aux modèles qui l’entourent, pour s’y identifier … ou pour s’en éloigner. C’est aussi en comprenant comment fonctionne aussi l’animateur qu’il trouvera sa propre voie.
Etablir un pont avec l’humanité de l’autre…
Le premier domaine dans lequel il est possible d’utiliser consciemment et délibérément sa vie privée dans ses actes professionnels concerne la pédagogie. Exposer des aspects de sa sphère intime peut permettre de combler quelque peu le fossé entre l’intervenant et son public. Il n’est pas question de tomber dans une démagogie qui laisserait croire que tout le monde serait sur un pied d’égalité. Le fondement même de la professionnalité, c’est que l’animateur possède quelque chose de plus qui permet de répondre aux besoins de ceux qui lui font face. Néanmoins, il reste toujours des dimensions qui peuvent être partagées. Mais, comment établir un lien de connivence, de réciprocité ou d’échange, si on se limite strictement à la dimension technicienne de la relation. Au contraire, partir de son propre vécu permet parfois de comprendre ce que vit l’autre. On peut, par exemple, dédramatiser une difficulté à assimiler un geste technique (en évoquant ses propres embarras dans des domaines qu’on ne maîtrise pas). Aborder sa propre expérience personnelle, tout en reconnaissant que chaque vécu est singulier et ne peut être toujours comparé, permet de montrer que l’on vit les mêmes fonctionnements physiques et psychiques (et que donc l’on peut éprouver des ressentis identiques). Dévoiler un tant soit peu sa vie intime permet de dépasser la stricte logique utilitaire ou financière (en démontrant qu’on est là aussi, pour trouver au travers de l’activité partagée du plaisir, de la plénitude et la réalisation de soi-même).
… et sa propre humanité
L’une des autres dimensions qui peuvent être concernées par l’irruption de la vie privée dans la vie professionnelle relève de ses limites. On sait ce qu’on attend de l’animateur professionnel. Le profil requis pour exercer dans ce métier de relations humaines est assez précis : la motivation (le goût pour l'animation), des qualités relationnelles (capacité d’écoute et d’observation), une forte réactivité (un esprit d'initiative, une capacité d’innovation et d’adaptation), des qualités intellectuelles (une aisance orale et rédactionnelle, une grande créativité, une grande curiosité intellectuelle) et surtout de la disponibilité. Et pourtant, il arrive dans ce métier, de passer par des moments de démotivation, d’être suffisamment fatigué pour ne pas présenter toute l’attention requise, de ne plus savoir comment rebondir, de se trouver momentanément en panne d’idées … ou d’être pressé de renter chez soi. Cet état peut provenir du travail (malgré tous les efforts, le succès escompté n’est pas au rendez-vous ou la demande n’est pas celle qu’il souhaitait) ou de la vie privée (période personnelle un peu difficile ou simple volonté de profiter un peu de sa famille). L’animateur doit pouvoir partir de ses inévitables fragilités et faiblesses pour redonner à son action toute sa dimension humaine parce que faillible. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, reconnaître les moments de doute ou de défaillance que l’on traverse, loin d’affaiblir sa crédibilité, la renforce en redonnant toute sa valeur à l’individu.
Au cœur du métier d’animateur
Charte de qualité, normes Iso, garantie sans défauts … notre société est de plus en plus exigeante à l’égard des services rendus aux consommateurs. Le technicien doit se présenter sous un visage idéal. La professionnalité se mesure aux acquis de la personne, et à sa capacité à les utiliser dans une situation donnée. Si le résultat obtenu est essentiel dans le secteur commercial, il s’accompagne dans le domaine des relations humaines d’un savoir-être incontournable. Il ne s’agit pas de vendre une marchandise, mais avant tout de proposer une forme d’épanouissement individuel et de créer du lien social. A vouloir se cantonner dans un haut degré de technicité et de compétences, on peut en arriver à rendre inaccessible le professionnel et à creuser le fossé qui le sépare de son public. Instiller derrière le masque du savoir-faire et les vertus d’une qualification reconnue un tant soit peu d’imperfection nécessite de montrer que derrière un salarié expérimenté et apte à accomplir la tâche pour laquelle il est payé, se trouve un homme ou une femme avec ses grandeurs et ses faiblesses, son engagement professionnel mais aussi sa vie personnelle et intime. Ce n’est pas une machine, mais un être humain. S’il ne faut donc pas élever un haut et épais mur entre son métier et sa vie privée, il revient ensuite à chacun(e) d’entre nous de choisir ce qu’il apparaît pertinent ou non de livrer.
(1) « Les nouvelles frontières de la vie privée » Sciences Humaines n°140, juillet 2003
Tout, vous saurez tout
La société Intelius a été créée aux États-Unis en 2003 un site internet, permettant de connaître un maximum de détails sur la vie privée de n'importe quelle personne : ses factures, ses commandes sur catalogue, ses abonnements, les enregistrements de propriété immobilière... Pour 7,95 dollars il est possible de connaître sa vie privée : mariage, divorce, nombre d'enfants, déménagements, numéro de sécurité sociale, revenu, valeur de son bien immobilier, surface de sa maison, nombre de pièces et même le mode de chauffage. Pour 49 dollars, il est possible de connaître l'historique complet de sa vie. Intelius a connu un succès considérable : 30 millions de connections, chaque mois, 760% de progression depuis sa création, 40 millions de dollars de chiffre d'affaires. (d’après Wikipedia)
Biométrie et vie privée
Dans un avis en date du 31 mai dernier, le Comité national d’éthique a mis en garde contre les dérives d’une biométrie qui pourrait bien venir menacer la vie privée. Grâce aux progrès des techniques d’identification, l’individu moderne peut être suivi à la trace dans ses moindres déplacements : surveillé par des caméras, localisé par son téléphone portable, suivi à la trace par les puces contenues dans ses différentes cartes (bancaires, de transport…), son quotidien a de moins en moins de secret pour qui s’intéresse à lui. Et encore, l’identification biométrique n’a pas fini de progresser : la voix, l’iris, les empreintes digitales, les traits de son visage, même la façon de frapper son clavier sont les bases de données qui sont potentiellement constituables. Personnalités, comportements, goûts personnels pourront bientôt faire l’objet d’une exploitation commerciale, sécuritaire et pourquoi pas politique.
Variation vie privée vie publique en école primaire
Lydie est institutrice. Cette année elle a pris sa fille Lucille dans sa classe. Elle a l’habitude de laisser un temps, en début de journée, pour permettre à ses élèves de s’exprimer sur l’actualité ou sur ce qu’ils ont vécu en famille. Ce lundi matin-là, Lydie donne la parole à sa fille qui vient de lever la main : « maîtresse, je suis allée me promener hier dimanche, avec ma mère : on est allé faire une grande ballade en forêt. » Un moment surprise par cette annonce qui la place en tant qu’institutrice face à une information qui la concerne en tant que mère, Lydie aura bien garde de faire le moindre commentaire. Elle passera la parole à un autre élève qui a levé à son tour la main. Ce n’est pas le parent qui écoutait alors Lucille mais la maîtresse. Son enfant a voulu se placer sur le même plan que ses petites copines, en relatant ce qu’elle a vécu en famille, s’adressant non à sa mère, mais à son enseignante.
« Etablir clairement une séparation entre vie professionnelle et vie privée constitue un premier pas important. Aussi est-il souhaitable, en dehors du temps de travail, de ne pas fréquenter trop souvent ses collaborateurs ou des personnes travaillant dans le même domaine, et d’éviter de s’investir dans des problèmes en relation avec sa profession. Les relations personnelles et familiales intimes constituent probablement le meilleur moyen d’ouvrir et d’agrandir son univers. Développer et entretenir ces relations demande, et crée en retour, des engagements émotionnels et des moments de disponibilité qui empêchent l’individu de se laisser dévorer par son travail. L’importance des liens personnels intimes demeure capitale et incontestable pour éviter le syndrome du burn-out. »
« Intervention en situation de crise » Donna C. Aguilera, Masson, 2005
Lire Interview : Gaignard Lise - Privé/Professionnel
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°81 ■ sept 2007
Fiche n°1 : Quand la vie professionnelle percute la vie privée
Nous nous sommes intéressés ici à l’irruption de la vie privée dans la vie publique. Nous aurions tout autant pu aborder l’inverse, à savoir comment la vie publique peut envahir la vie privée. Dans un livre témoignage, Philippe Philonenko, décrit son instrumentalisation progressive par son employeur, une chaîne de supermarchés, qui l’a amené à ne plus lui laisser aucune place pour sa vie personnelle. Il raconte notamment comment en pleine nuit, une explosion due au gaz réveille brutalement les habitants de son immeuble, contraints à se regrouper à l’extérieur à peine habillés, dans le petit matin froid. Sa seule obsession fut alors de faire bouger le camion de pompier qui bloquait la sortie du parking. Il ne pensait qu’à la tâche qui l’attendait : il est déjà 6h45 et il lui fallait recadrer son rayon pour 9h00 ! Le travail, rien ne comptait d’autre que le travail, au point de ne plus voir son enfant grandir, le dimanche étant consacré à dormir pour tenter de récupérer. (« Au carrefour de l’exploitation ” Grégoire Philonenko, Desclée de Brouwer, 1997). Le temps de travail des animateurs est le plus souvent sans commune mesure avec les 35 heures officielles pour lesquelles il sont rémunérés. Cela concerne en premier la présence continue dans les colonies de vacances qui sont aux antipodes des règles du Code du travail (elle le feraient qu’elles devraient arrêter de fonctionner). Mais nombre d’animateurs professionnels doivent eux aussi se montrer souples quant à leurs horaires. Comment dans ces conditions concilier l’engagement professionnel avec une vie privée ? Pendant longtemps, les activités au service des autres ont pu être assimilées à une vocation qui impliquait de ne regarder, ni le temps consacré, ni les efforts déployés. Un équilibre doit pouvoir être trouvé entre la disponibilité demandée au professionnel et la souplesse accordée par l’employeur dans l’emploi du temps. Chacun doit pouvoir y trouver son compte.
Fiche n°2 : Idée reçues sur la protection de la vie privée
« Un directeur de CVL n’a pas le droit d’informer les familles sur l’orientation sexuelle d’un animateur.»Vrai. La vie privée inclut différentes composantes : la vie familiale, la vie sentimentale, les loisirs, la santé, les moeurs, les convictions philosophiques et religieuses, les circonstances de la mort, le droit à l’image. A ce titre, tout ce qui relève de la vie intime des encadrants ne peut faire l’objet de la moindre divulgation.
« Il n’est pas possible de donner à l’équipe d’animation les raisons du décès d’un parent»
Faux : Le droit de protection s’éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit.
« On peut évoquer ce qui s’est passé au cours d’un séjour de CVL »
Vrai : Les activités professionnelles ne font pas partie de la vie privée. Mais il n’est pas possible de révéler des éléments de la vie privée d’une personne à l’occasion de la vie professionnelle.
« Grave ou anodin, il n’est pas possible d’informer l’équipe du moindre élément de la vie privée d’un enfant »
Faux : La jurisprudence évolue prenant de plus en plus en compte la gravité des informations divulguées, même si elles font partie de la sphère privée.
« Le Directeur doit obtenir l’accord des parents pour informer l’équipe d’une situation de divorce que lui révèle une mère »
Vrai : Ayant droit au respect de sa vie privée, toute personne est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même les limites de ce qui peut en être rendue publique. Cela signifie que toute divulgation d’un élément de la vie privée d’une personne suppose une autorisation. Ce qui n’est pas prévu par l’autorisation n’est pas autorisé.
« Une fois l’autorisation obtenue, on peut renouveler l’utilisation de l’information »
Faux : chaque autorisation étant spécifique, il faut l’obtenir à nouveau si l’on veut réutiliser la même information dans d’autres circonstances.
« Communiquer sur un fait public ne nécessite pas d’autorisation préalable ».
Vrai et Faux : encore faut-il prouver que le fait privé est tombé dans le domaine public. Ce n’est pas parce qu’une information est de « notoriété publique » que cela autorise à la diffuser. Le fait public est une notion très subjective qui concerne les personnalités ayant une vie publique.
« Un enfant peut donner son accord à l’évocation d’éléments de sa vie privée »
Faux : Toute divulgation d'informations relatives à la vie privée d'un mineur suppose une autorisation préalable de son représentant légal.
« Chacun dispose du droit de contrôler l’usage que l’on peut faire de son image »
Vrai : Le Tribunal de grande instance de Paris a pu énoncer que « toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d'un droit exclusif qui lui permet de s'opposer à sa reproduction sans son autorisation expresse et spéciale, de sorte que chacun a la possibilité de déterminer l'usage qui peut en être fait en choisissant notamment le support qu'il estime adapté à son éventuelle diffusion » L’autorisation de la publication de l’image doit être expresse et spéciale et bien préciser la finalité de la diffusion, la nature des prises de vue et les supports.
« En l’absence de ses parents, un Directeur de CVL peut se substituer à eux, pour autoriser des journalistes à prendre une photographie de leur enfant en photographie »
Faux : seul le représentant légal du mineur peut donner cette autorisation.
(Librement adapté de « Protection de la vie privée et des données personnelles » Nathalie Mallet-Poujol Chargée de Recherche au CNRS)
Bibliographie
« Les territoires de l’intime, l’individu, le couple, la famille »Robert Neuburger, éditions Odile Jacob, (2000)
Une grande partie de notre existence est consacrée à acquérir une intimité. Cela concerne l’individu et son intériorité, mais aussi toutes celles et tous ceux avec qui il tisse des liens privilégiés : conjoint, enfants, parents, amis. Une fois acquis, il faut défendre ou au contraire partager ce territoire. Robert Neuburger, thérapeute spécialiste du couple et de la famille s’interroge sur ce qu'est l'intimité et comment cette dimension de l’être humain lui permet d’élaborer un espace privé de croyances, pensées, rêves, projets. Il aborde le processus qui amène l’enfant, puis l'adolescent à conquérir progressivement cet espace propre. Plus tard, l’intimité au sein du couple, puis de la famille, s’articulera avec le territoire personnel que chacun essaiera de préserver comme moyen de nous sentir unique et différent des autres.
« Les tyrannies de l'intimité »
Richard Sennett, le Seuil, (1995)
Aujourd'hui, le maître-mot est "authentique", non pas tant dans le sens premier de "fidèle à ses origines", mais dans celui, dérivé, de sans apprêt, sans fard, quasi transparent. C'est ainsi que nous sommes curieux de biographies détaillées : quel est le "vrai" caractère d'une star, d'un homme politique ? Nous nous surprenons même à voter moins sur un programme et une action passée, que pour ou contre un homme tel qu'à la télévision il a su ou non nous inspirer confiance. Tout à cette quête quelque peu narcissique, nous fuyons avec ennui l'étude des mécanismes sociaux "impersonnels", des "froides" statistiques, laissant ainsi à peu de frais le pouvoir aux élites qui nous gouvernent. Remontant au XVIIème siècle, Richard Sennett montre comment et pourquoi nous avons perdu peu à peu ce qu'il appelle l'"homme public", celui qui savait garder entière sa liberté derrière le masque de son rôle social. A refuser comme inauthentique l'épaisseur du tissu social, on se livre sans défense à la pire des oppressions. La communauté est destructrice, l'intimité tyrannique.
« L’intimité ou la guerre des sexes »
Georges Eid, L’Harmattan, (2001)
Si dans le passé tout le monde était interdit d'intimité : l'un par excès (l'homme libre de haut rang), l'autre par défaut (la femme, l'esclave et l'enfant), aujourd'hui chacun construit ses intimités comme il l'entend, dans la société des choix et des loyautés multiples. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les relations entre hommes et femmes sont en train de devenir complètement volontaires. Cet ouvrage apporte une véritable contribution à une théorie de l'intimité : la liberté, l'égalité et un minimum de fraternité.
« L'intimité surexposée »
Serge Tisseron, Hachette Pluriel, (2002)
Ce livre est une analyse nuancée du phénomène " Loft Story ". Spécialiste de la question de l'image, L'auteur montre à quels ressorts cachés renvoie le succès d'une telle émission, qu'on ne peut assimiler au seul voyeurisme : les jeunes qui se sont passionnés pour les aventures mises en scène dans le " Loft " sont aussi à la recherche de modèle de comportements. Mais ce succès révèle également une passion pour l'exposition de soi, ce que l'auteur appelle " l'extime ", qui n'est pas sans engendrer de nouvelles difficultés psychologiques. Le risque de manipulation est là aussi, loin des condamnations hâtives comme des engouements commerciaux, une réflexion de qualité sur un phénomène de société.
« L’absence de l’intimité »
Henri-Pierre Jeudy, éditions Circé, 2007
L’intimité existe-t-elle vraiment ? Ou, n’est-elle qu’une manière de présupposer que ce que nous ne disons pas aux autres reste le secret de nous-mêmes ? Il est vrai que l’étalage du Moi est devenu une pratique contemporaine à la mode. L’exhibition des choses intimes semble donner la preuve de notre singularité. Si la distinction entre vie privée et vie publique est repérable, l’intimité n’est pourtant pas visible, elle est notre intérieur, notre « espace du dedans ». C’est par opposition à ce qui est public que nous l’invoquons, comme une protection de nous-mêmes que nous organisons en posant des limites fictives aux autres, afin d’afficher notre liberté d’exister en dehors d’eux. Mais notre intimité, telle que nous l’imaginons, nous échappe, nous intrigue parce qu’elle est aussi l’autre de nous-mêmes. Et si les expressions de notre corps la dévoilent, souvent à notre insu, elle demeure un mystère.