Les sectes

Doux-dingues ou fous dangereux ?

Les sectes sont devenues depuis quelques années un sujet récurrent pour les médias.
L’opinion publique identifie assez facilement ces mouvements aux notions d’escroquerie (cf l’excellent sketch des « Inconnus »), de drame familial (cf cet enfant envoyé par ses parents dans une école de la secte en Inde et rapatrié en France sur décision d’un Juge des Enfants), mais aussi aux mises-à-mort qui ont défrayé la chronique. Ainsi, (pour ne prendre que les épisodes les plus récents), en 1993, les 86 personnes tuées à Waco, Texas, lors de l’assaut par la police de la propriété des « Davidiens » de David Koresh, ou encore les massacres de l’Ordre du Temple Solaire perpétrés tant au Canada qu’en Suisse en 1994. Enfin, en 1995, l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo  dont s’est avéré responsable la secte millénariste Aun Shinri-Kyo.
Pourtant, la mouvance sectaire reste largement encore du domaine du surréalisme. Ses activités provoquent au pire la banalisation, au mieux une ironie plus ou moins méprisante. Il est vrai que les élucubrations proposées par ces groupes prêtent le plus souvent à rire. Plus les âneries défendues sont grotesques, plus on se sent à l’abri et peu concerné: « faut-il être naïf pour tomber dans de tels pièges ! » peut-on penser facilement. Et pourtant, les idiots du village ne sont pas les seuls concernés. Médecins, scientifiques, cadres supérieurs, avocats, travailleurs sociaux se laissent eux aussi prendre. Et ce au même titre que bien d’autres comportements tels l’alcoolisme, la toxicomanie ou la tentative de suicide. Tant qu’on n’a pas été touché de près par ces effets, on a l’impression que cela ne peut arriver qu’aux autres. Peut-être est-il temps de s’interroger sur ces mécanismes qui provoquent l’embrigadement et qui touchent de plus en plus de personnes.
 

Un avenir qui fait peur

L’évolution de notre société constitue un véritable terrain de prédilection pour les sectes de tout poil. Durant des millénaires, c’est bien le groupe qui a primé sur l’individu. Ce dernier voyait alors sa destinée programmée dès sa naissance sans qu’il ait la moindre question à se poser. Pour tout dire, son sort n’avait que peu d’importance: seule la survie de la communauté comptait. Et puis, à partir du moment où le sujet a commencé à émerger avec ses désirs propres, sa parole et sa volonté, la société est entrée dans une ère d’ incertitude, d’angoisse voire d’insécurité. Il n’est pas toujours facile de gérer sa liberté en étant plus ou moins livré à soi-même. On peut très rapidement s’enivrer de sa propre puissance. Dès lors, le retour dans le giron d’une structure totalisante et protectrice peut représenter une solution très rassurante. Le danger des sectes constitue dans cette logique un défi que doit relever la modernité pour proposer au citoyen un avenir humain qui fasse la juste place tant à la responsabilité qu’à la solidarité, à l’autonomie qu’à l’interdépendance, à l’individu qu’à la communauté. Et ce, afin de couper l’herbe sous les pieds des sectes. A ce niveau de notre raisonnement, il semble important de se poser la question:
 

Qu’est-ce qu’une secte ?

Les structures sectaires manipulatrices s’entendent à merveille pour brandir la liberté religieuse menacée et dénoncer la persécution dont elles seraient victimes en tant que « nouveaux mouvements religieux minoritaires ». Elles savent fort bien faire vibrer la corde sensible démocratique pour apparaître en situation de martyrs. Il est important de rappeler que ce qui importe n’est pas tant la valeur ou le contenu du message véhiculé. Comme l’exprime fort justement Bruno Fouchereau: « si le groupe ne cherche nullement à contraindre l’individu pour qu’il se conforme à un modèle unique d’être, mais qu’il l’invite, à travers ses différences, à communier autour d’un certain nombre de valeurs communes, là, on peut considérer que le travail d’éveil mystique sera accompli dans un total respect des droits inaliénables de tout être humain » (1). Une telle activité ne peut dès lors inspirer que respect et tolérance.
Il en va tout autrement des organisations qui annihilent la liberté de l’individu. On peut à cet effet citer une définition proposée par un congrès pluridisciplinaire tenu en 1985 dans le Wisconsin sur les « les sectes et les groupes coercitifs »: « Une secte coercitive est un mouvement totalitaire se présentant sous la forme d’une association, d’un groupe religieux, culturel ou autre qui exige de ses membres un dévouement total et une dévotion au groupe, plus qu’à toute autre personne. Ce mouvement emploie des techniques de manipulation, de persuasion et de contrôle destinées à remplir l’objectif du leader du groupe et qui provoquent chez les adeptes une dépendance totale au groupe, au détriment de l’entourage familial et social ». (2)
Totalitaire, dévotion, manipulation, dépendance... autant de termes qui permettent, en matière d’équilibre, de santé et de liberté de l’individu de proposer...
 

... un seul critère: la dangerosité

Le père Trouslard, prélat de l’Eglise Catholique explique bien son propre cheminement, et la façon dont il a accepté pendant très longtemps, ce qu’il considérait, lui, l’adepte d’une religion majoritaire, comme des croyances minoritaires. Et puis, la dangerosité des sectes s’est imposée à lui à partir de trois caractéristiques.
La manipulation mentale est la première de celles-ci. Plusieurs techniques sont utilisées afin d’asservir l’individu.
Technique cognitive tout d’abord. Le matraquage intensif du système idéologique prôné permet de saturer les canaux d’information et ainsi non seulement de neutraliser toute expression d’esprit critique, mais aussi d’imposer les nouvelles normes et références.
Technique comportementale ensuite, consistant à réaménager tout le système relationnel antérieur de l’adepte et ce par la recomposition de tous les aspects de sa vie. Alimentation, sommeil, sexualité, travail, loisirs,... sont ainsi codifiés selon des règles nouvelles visant à rompre avec le mode de vie passé.
Technique affective et émotionnelle enfin, sous forme d’une empathie et d’ une séduction de la part du groupe qui visent à remplacer les liens là aussi antérieurs. L’isolement sensoriel vient à cet effet renforcer le processus de déstructuration: lumière permanente (bougies, lampes à huile allumées constamment), réduction de l’espace vital et intime, saturation des informations olfactives (brûleurs de parfum, encens), privation de sensations gustatives par ingestion d’aliments identiques (bouillies de céréales par exemple).
La seconde caractéristique du groupe sectaire, c’est bien la destruction de la personne, à qui on demande une soumission absolue et dont l’autonomie est totalement niée. De nombreuses pathologies d’ordre psychologique se développent alors le plus souvent: dépression, anxiété, névroses, psychoses ... Le tissu familial et social est alors décrit par la secte comme profondément négatif, l’adepte étant  contraint à la rupture et à l’isolement à son égard. « Peu à peu, le moi groupal prend la place du moi des participants en même temps que l’image paternelle du gourou prend la place de l’idéal du moi de chacun des adeptes » explique encore Jean-Marie Abgrall (3).
Dernière caractéristique, l’escroquerie tant intellectuelle, que morale et financière. Le caractère aberrant des doctrines proposées par ces groupes n’est guère à démontrer. Quand l’Ordre du Temple Solaire recommandait de laver cinq fois une salade qui sortait du jardin de l’Ordre et sept fois, « en lui donnant de l’amour » quand on l’avait achetée chez un commerçant, cela donne envie de hurler de rire... Sauf, quand on sait comment cela s’est terminé ! Les sectes savent accepter avec bienveillance les dons, les héritages et autres contributions financières de leurs adeptes pour qui -le bonheur n’ayant pas de prix- ne regardent pas à la dépense et se retrouvent très vite ruinés.
 

Attention: terrain miné !

Le mal-être crée un marché potentiel fantastique: la demande de produits « new-âge » a été multiplié par 7 entre 1982 et 1988 et par 3 entre 1988 et 1994 et selon un sondage deux millions de personnes se déclarent prêtes en France à dépenser au moins 1000F par an pour « être mieux dans leur peau ». Et c’est bien là tout le problème. Cette recherche légitime peut abaisser toutes les méfiances. Personne n’est vraiment à l’abri. Pas plus d’ailleurs les travailleurs sociaux que les autres. J’ai souvenir d’une intervention au sein d’une formation initiale d’assistants sociaux d’une association « habitat et santé ». Un brave homme, ancien agriculteur reconverti, expliquait comment l’état de santé et l’énergie mentale étaient pour une grande part déterminés par la qualité « biotique » de son habitat. L’orateur, « Conseiller en Géobiologie » de son état, se proposait d’expertiser l’emplacement de votre lit ou du terrain que vous envisagiez d’acheter pour construire, et ce afin de déterminer les courants telluriques, failles géologiques, gisements remblais ... à l’origine de maux allant de la simple migraine jusqu’aux cancers mortels. Il garantissait ainsi une meilleure santé par simple déplacement du lit ou le choix de matériaux de construction « sains » ... Le plus gênant ne fut pas tant les démonstrations douteuses de cet intervenant que la crédulité et l’absence de toute réaction ou pour le moins du moindre esprit critique de la part d’un public destiné à accompagner les populations en difficulté vers plus d’autonomie et de dignité !
 
(1) p. 106, in:Bruno Fouchereau: « La mafia des sectes- Du rapport de l’Assemblée Nationale aux implications des multinationales », Filipacchi, 1996, (248 p.)
(2) cité p.127, in: Jean-Marie Abgrall: « La mécanique des sectes », Payot, 1996, (338p)
(3) p.89 in: Jean-Marie Abgrall, opus citatum.
 
 

État des lieux sur les sectes

 
En fin d’année 1995, la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur les sectes rendait son rapport (1) après avoir procédé à vingt auditions et avoir sollicité le concours de diverses administrations dont la Direction des Renseignements Généraux.
Ce document est-il annoncé dans l’introduction « décevra ceux qui se seraient attendus à y trouver des révélations ou des anecdotes inédites ». Il constitue toutefois un état des lieux des plus intéressants pour le non-initié. Et c’est à ce titre qu’il est présenté ici.
 

Secte ou pas secte ?

Ce n’est pas la nouveauté de la doctrine, le petit nombre des adhérents ou l’excentricité qui caractérisent un mouvement sectaire. Après tout, nombre d’Eglises aujourd’hui reconnues, ont pris naissance dans l’hostilité, la méfiance, voire la persécution de leurs contemporains.
Non, ce qui différencie l’activité d’une secte, c’est bien son mode de fonctionnement basé sur la déstabilisation psychologique, la manipulation mentale, le rejet de tout esprit critique et le danger encouru par l’adepte du point-de-vue de sa santé, de sa liberté et de ses relations familiales. Quelques soient les objectifs officiellement affichés, on cons-tate une emprise et un pouvoir sur le sujet soumis le plus souvent à des exigences financières exorbitantes.
Ce qui est en cause, c’est donc bien l’embrigadement totalitaire qu’il prenne un aspect métaphysique ou religieux. Il ne s’agit pas d’amalgamer tous les engagements de type associatif ou militant mais bien d’opposer un certain nombre de comportements et d’attitudes qui sont en tous points antagonistes. A la libre association répond le groupe coërcitif aux convictions, des certitudes incontournables; à l’engagement, le fanatisme; au prestige d’un chef, le culte d’un gourou; à la décision volontaire, un choix totalement induit; à la re-cherche d’alternatives, la rupture avec les valeurs de la société démocratique; à l’appartenance loyale, l’allégeance inconditionnelle;à l’habile persuasion, les manipulations programmées; au langage mobilisateur, le néo-langage pour initiés; à l’esprit de corps enfin, la discipline d’un groupe fusionnel.
 

Un phénomène en expansion

On estime aujourd’hui à 172, les organisations de type sectaire. On arrive au chiffre de 800 si l’on englobe la nébuleuse des « filiales ». 80% regroupent moins de 500 adhérents et 35% moins de 50.
Le chiffre des adeptes atteindrait 160.000, sans compter les 100.000 sympathisants. Le nombre des premiers a augmenté de 60% depuis 1982, celui des seconds de 100%.
Cet accroissement ne peut se résumer à une simple manipulation de personnalités fragiles. Il est pour beaucoup lié à la crise des valeurs que connaît notre société. Fa-ce à l’incertitude, au doute, les sectes offrent une explication globale rassurante. Il y a un vide laissé par des besoins insatisfaits et l’effondrement des institutions traditionnelles (idéologies, sciences, religions officielles ...) que vient remplir la certitude et la vision totalitaire du groupe sectaire.
Si on ne peut définir une personnalité-type ou un profil prédestiné pour l’adepte, il semble évident que les difficultés personnelles et familiales, ainsi que les souffrances aiguës constituent un terreau fertile. Pour autant, il est important de rappeler que « les sectes ne sont pas un filet qui s’abat sur des gens, mais une nasse dans laquelle ils se rendent ».
 

Une proposition de classement

Il y a au départ des mécanismes communs à toutes les sectes relevant de la manipulation mentale. Pour autant, les thèmes qu’elles utilisent sont très diversifiés. Le rapport propose un classement en 13 critères.
Il y a d’abord par ordre d’importance numérique les groupes du « nouvel âge  » (49) annonçant l’entrée de notre monde dans une nouvelle ère.
Puis viennent les « orientalistes » (19) qui s’inspirent (en les déformant) des religions et doctrines métaphysiques orientales tels le bouddhisme, l’hindouisme ou la taoïsme.
Les « guérisseurs » (18), eux, développent des méthodes de guérison non reconnues par la science médicale actuelle.
On trouve ensuite les « occultistes » (16) qui se consacrent à des pratiques magiques initiatiques.
Les« apocalyptiques » (15) prédisent un prochain cataclysme mondial.
Les « évangélistes » (13) et les « pseudo-catholiques » (9) se réfèrent à la tradition chrétienne, tout en se réfugiant derrière la bannière d’un gourou.
Les « syncrétiques » (9) proposent une synthèse entre diverses doctrines religieuses.
Les mouvements « psychanalytiques »(9) affirment vouloir guérir l’inconscient de ses traumatismes divers à l’aide de techniques parapsychologiques.
Moins nombreux sont les « ufologues » (5) qui postulent l’existence d’extraterrestres et leur rôle dans notre monde, les « sataniques »(4) préconisant le culte de Satan, les « alternatifs »(4) envisageant une autre organisation des rapports économiques, sociaux et humains et enfin les néo-païens (3) s’appuyant sur les mythologies celtiques, nordiques voire animistes.
Le rapport propose bien d’autres critères de regroupement et d’autres classifications possibles, mais celle que nous venons de présenter est bien représentative du panorama de la faune en question.
 

La lutte contre les sectes

Le combat contre ces organisations destructrices de l’équilibre et de la liberté individuels se heurte à un certain nombre d’obstacles.
Il faut tout d’abord que l’adepte reconnaisse le préjudice dont il est victime. Mais, on cultive chez lui l’absence de tout esprit critique...
Il faut ensuite qu’il accepte de porter plainte. Mais le plus souvent, il souhaite tourner la page ou craint les représailles de la secte ...
Il faudra en outre apporter des preuves et que la plainte corresponde bien à une violation de la loi. Atteintes physiques, non-respect des obligations familiales, diffamation, fraude fiscale, escroquerie, abus de confiance, infractions au code du travail ou de la sécurité sociale ... les textes existent et peuvent être appliqués.
Refusant toute idée de législation spécifiquement anti-sectes, la commission termine son rapport en proposant au gouvernement 4 mesures:
- créer un observatoire chargé de mieux connaître et mieux faire connaître les sectes,
- appliquer le droit existant en incitant tant les services de polices que les parquets à se saisir des lois existantes,
- améliorer le dispositif juridique en permettant notamment aux associations de défense des victimes de se porter partie civile,
- aider les anciens adeptes.
 

Épilogue

Le Ministère de la Justice a adressé le 29 février 1996 aux parquets une circulaire s’inspirant directement du rapport de l’Assemblée Nationale, et les incitant à la plus grande vigilance à l’égard des sectes.
Quant à l’Observatoire Interministériel, le Journal Officiel en a présenté la liste dans son édition du 17 septembre.
Enfin, la Tribunal Correctionnel de Lyon a condamné le 22 novembre un ancien responsable de l’église de Scientologie à 18 mois de prison ferme et quinze autres adeptes à du sursis. Les prévenus ont fait appel.
La Commission d’Enquête Parlementaire se situerait-elle finalement dans une période marquée par un début de prise-de-conscience et de réaction salutaire ? L’avenir le dira.
 
 (1) « Les sectes en France » Rapport n°2468 fait au nom de la commission d’enquête de l’ Assemblée nationale sur les sectes, Alain Gest Président, Jacques Guyard Rapporteur, décembre 1995.
 
 

Quand les caves se rebiffent !

Les victimes de l’agissement des sectes ne sont pas restées inactives, à subir leur sort sans réagir. Depuis de nombreuses années elles se sont regroupées au sein d’ un certain nombre d’associations. L’Association de Défense de la Famille et de l’Individu (1)  le Centre Contre les Manipulations Mentales (2), l’Association de Défense des Victimes des Sectes (3), ECRIT (4), la Coordination Nationale des Victimes de l’Organisation des Témoins de Jéhovah (5) ainsi que les Unions Départementales des Associations Familiales (et bien sûr l’UNAF) se battent au quotidien pour aider et soutenir celles et ceux qui ont souffert et souffrent encore de l’embrigadement sectaire.
Ces associations se sont retrouvées à l’initiative d’ECRIT et de la Fédération Française des Familles de France, à Montluçon le 26 octobre pour un forum national auquel étaient conviés de nombreuses personnalités et témoins venus des quatre coins de la France. Etaient présents entre autres Alain Vivien, conseiller d’Etat et rédacteur du rapport 1985 « les sectes en France », le père Trouslard, prélat spécialiste des sectes, Bernard Filaire, journaliste d’investigation auteur de trois ouvrages sur la question,  Hayat El Mountacir, auteur du livre «les enfants des sectes» (cf. Lien Social n° 335), Jean-Pierre Brard, vice-président de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes (voir article dans ce numéro), Chantal Lebatard, vice-présidente de l’UNAF (ces deux dernières personnes étant membre de l’Observatoire Interministériel sur les Sectes). Une rencontre de personnalités compétentes qui ont pu faire le point où en était l’éradication du fléau.
Premier constat: l’âpreté d’un combat mené contre des structures elles-mêmes très bien organisées et qui savent à merveille utiliser le terrain juridique et démocratique, mais aussi l’illégalité. Les militants des associations, mais aussi les journalistes subissent un feu nourri de tentatives d’intimidation. Coups de fils anonymes et insultants, campagnes de dénigrement et de diffamation, menaces proférées contre la famille et les enfants etc... Autre tactique, bien plus légale: la procédure judiciaire. Les multinationales sectaires tentent d’appliquer en Europe ce qui leur a si bien réussi aux USA. Outre-atlantique, les incessantes attaques en justice ont eu raison des associations de défense des familles. Il est vrai que ce pays est champion en matière de liberté des groupuscules et surtout de procédures (on attaque n’importe qui pour n’importe quoi, il y a toujours une possibilité de gagner !). En France, pour faire taire les témoins et les amener à s’autocensurer, les sectes envoient des huissiers enregistrer les intervenants lors des conférences-débat. A toute occasion, elles portent plainte, demandant des dommages et intérêts faramineux. Peu importe, si elles perdent, elles ont beaucoup d’argent ... Il arrive même parfois qu’elles retirent leur plainte à la veille du procès, jouant sur l’épuisement nerveux de leur adversaire.
Autre inquiétude: la pénétration de l’appareil d’Etat par les adeptes des sectes. Tel groupe est ainsi contrôlé fiscalement par un inspecteur des finances par ailleurs adepte. Tel autre subit une enquête de police de la part d’un inspecteur lui aussi membre de ce même groupe ! Il en va même jusqu’à la commission parlementaire d’enquête sur les sectes qui décidant du secret des auditions, a été victime d’une fuite quant à l’identité des témoins entendus.
Pour autant, toutes les nouvelles ne sont pas forcément mauvaises. Suite au rapport de la commission d’enquête parlementaire, le ministre de la Justice a adressé à tous les parquets une circulaire (en date du 29 février 1996) incitant à une vigilance toute particulière par rapport aux délits commis par les organisations sectaires. Elle rappelle notamment les textes en vigueur applicable tant en matière pénale qu’en matière civile et conclue: « Il est toutefois indispensable de prendre toute disposition utile afin que toute plainte ou dénonciation relative à des phénomènes sectaires soit étudiée avec vigilance et fasse l’objet d’une enquête systématique, afin qu’aucune personne ne puisse avoir le sentiment que de tels signalements sont inutiles, et afin que l’autorité judiciaire puisse être informée du développement d’une secte dans les plus brefs délais »
                       
Si pendant des années, les quelques voix qui se sont dressées contre les sectes ont été harcelées par celles-ci, il est grand temps que la proposition s’inverse et que ce soit ces dernières qui soient à leur tour harcelées. Cela dépendra de la dynamique des associations, de leur combativité qui au terme de ce forum sont apparues des plus percutantes !

 
(1) Association de Défense de la Famille et de l’Individu contre les sectes: 10 rue Père Julien Dhuit 75020 Paris, tél.: 01-47-97-96-08.
(2) Centre Contre les Manipulations Mentales Roger Ikor: 19 rue Turgot 75009 Paris. Tél.: 01-42-82-04-93.
(3) Association de Défense des Victimes des Sectes: B.P. 17 67161 Wissembourg Cedex. Tél.: 03-88-94-16-56.
(4)Association Ecoute Compréhension Réinsertion Information Témoignage (E.C.R.I.T.): Croix belette 18270 Culan. Tél.: 02-48-56-69-41
(5) Coordination Nationale des Victimes de l’Organisation des Témoins de Jéhovah: 10, rue de Madagascar 75012 Paris
 
 

Sectes et protection de l’enfance

Le phénomène sectaire interpelle chacun d’entre nous en tant que citoyen.
Mais en quoi peut-il concerner plus particulièrement les acteurs de la protection de l’enfance?
Tout adulte est libre de choisir sa croyance et son mode de vie. Tant qu’il respecte les lois, les institutions sociales, éducatives ou judiciaires ne peuvent intervenir. Il n’ en va pas de même pour les enfants. Le droit familial a depuis longtemps sorti le mineur de la toute-puissance paternelle et parentale. La dernière grande loi qui régit encore aujourd’hui la protection de l’enfance est celle de 1958 qui stipule que le Juge des Enfants peut intervenir « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises » (article 375 du code civil). Les services sociaux ont appris à essayer de repérer les familles à risque, à partir de constantes que l’on retrouve dans les cas d’abus sexuels ou de maltraitance. Il conviendrait de faire preuve de la même vigilance par rapport aux sectes. On peut à cet effet retenir trois critères (1).
 

Les groupes à risque

Premier axe, celui des idées développées qui peuvent tout à fait légitimement être considérées avant même leur application comme nocives, car contraires aux lois ou à une éthique humaine minimale.
Second axe, celui des pratiques qui mettent l’enfant en danger ou menacent son avenir.
Troisième axe, le non-respect des droits de l’enfant que de nombreux textes sont venus préciser (ne serait-ce que la Convention internationale des droits de l’Enfant).
Toute doctrine répondant à l’un de ces trois critères devrait attirer l’attention des services de protection de l’enfance et déclencher éventuellement les mesures d’assistance éducative.
Afin d’illustrer cette démonstration, nous avons choisi de parler de la secte la plus représentée en France: les Témoins de Jéhovah.
 

Les nouveaux « élus de Dieu »

Qui n’a jamais reçu à son domicile, un jour, la visite de ces inlassables prédicateurs de la fin du monde qui vont de porte en porte pour essayer d’agrandir le nombre des adeptes susceptibles d’être sauvés lors du prochain cataclysme universel.
La secte créée en 1871 aux Etats-Unis, le nombre de ses adeptes a connu des fluctuations au gré des anéantissements successivement annoncés  (et bien sûr qui ne se sont pas produits) en 1874, 1914, 1925 et 1975. Aujourd’hui la bataille finale entre les armées de Dieu (les Témoins de Jéhovah) et les forces du Mal (le reste du monde) devrait intervenir du vivant de la génération qui a connu la guerre de 1914-1918. 4.470.000 témoins sont actifs dans 229 pays dont 120.000 environ en France dans près de 1.300 congrégations.
La fin prochaine du monde n’empêche pas la secte de se garantir financièrement un avenir plein de sécurité. Plusieurs types d’offrandes sont ainsi préconisés: dons divers, remises d’argent récupérables sur demande, police d’assurance-vie au bénéfice de l’organisation, legs (sauf en France où le conseil d’Etat lui a refusé en 1992, le droit de bénéficier des legs). Ce dispositif financier permet aux Témoins de Jéhovah d’être le groupe le plus riche en matière foncière (345 millions de Francs) loin devant Soka Gakkaï (120 millions de Francs) et le « Patriarche » (41 millions de Francs) (2).
Bien des développements seraient possibles sur ce groupe qui n’a jamais pu obtenir la reconnaissance par les pouvoirs publics du statut d’association cultuelle. Mais il est temps de nous intéresser au sort des mineurs placés sous influence et qui sont évalués à 50.000 enfants.
 

Des idées nocives et néfastes

Les Témoins de Jéhovah proclament très fort la prochaine destruction de notre univers. Qu’est-ce que cela peut signifier pour l’enfant élevé dans cette prédiction ? On lui inculque dès le plus jeune âge l’attente de l’avènement d’un monde nouveau et la méfiance à l’égard du monde présent où règne Satan. Tout est axé sur l’étude de la Bible (version jéhoviste). La fréquentation de la « Salle du Royaume » (lieu de culte de la secte) doit se faire dès le plus jeune âge. L’enfant y va pour écouter: « les parents qui veulent bien faire corrigeront leur enfant s’il ne se tient pas comme il faut et, avec amour, l’habitueront à écouter, non pas en l’achetant avec des bonbons et des jouets, mais en appliquant la discipline de la Parole de Dieu » (Le ministère du Royaume, 1988). Les enfants -comme les adultes d’ailleurs- sont condamnés à attendre la fin du monde dans la crainte et le tremblement de ne pas faire partie des « élus » finalement sauvés. Pour s’y préparer, ils sont astreints à une vie d’austérité moralisatrice et stérilisante. Le Tribunal de Grande Instance d’ Avignon a, dans une décision en date de 1992, attribué le droit de garde et l’autorité parentale à un père en reprochant à la mère son adhésion aux Témoins de Jéhovah en ces termes: « l’éducation des enfants ne saurait en effet consister en un endoctrinement basé sur une vision particulièrement cataclysmique du monde dont seuls les adeptes de la secte seraient préservés, mais au contraire en un éveil de l’esprit, une ouverture à tous les domaines de la connaissance et à toutes les disciplines, ainsi qu’aux relations avec les autres sans discrimination de race de religion ou d’idées ».
 

Des pratiques dangereuses

On connaît l’interdiction faite par la secte de toute transfusion sanguine. On compte de nombreux exemples à travers le monde d’adultes décédés suite au refus d’une telle transfusion. Le Conseil de l’Ordre National des Médecins est à cet effet très clair: « Certaines sectes sont farouchement opposées aux vaccinations, aux opérations et surtout aux transfusions de sang humain. Le médecin doit s’incliner si l’intervention n’est pas urgente ou si la transfusion, n’est pas indispensable. Mais lorsque la vie du malade est réellement et immédiatement menacée, on comprend le médecin qui n’acceptant pas d’être complice de ce qui lui semble une aberration criminelle, passe outre et fait ce que sa conscience de médecin lui commande à ses risques et périls. » Ne pas le faire en outre implique de pou-voir être accusé de non-assistance à personne en danger. Il convient alors de  saisir le Procureur de la République pour décider de l’administration de force d’un traitement susceptible de sauver un être humain d’une mort inéluctable.
Là encore, on pourra dire, qu’après tout un adulte est libre de disposer de sa vie ... Mais les enfants dans cette affaire ? Il y a de cela quelques mois, sur France Inter à l’occasion de l’émission « le téléphone sonne » consacrée aux sectes, Jean-Pierre Brard, vice-président de la commission parlementaire (cf. rapport p.  ) fut interpellé par Mathieu, 11 ans, jeune adepte des Témoins de Jéhovah qui revendiquait son choix de croyance en parlant de persécution. Le député, refusant d’entrer dans la polémique, lui posa une seule question: s’il était nécessaire pour qu’il survive qu’une transfusion lui soit administrée, que choisirait-il, cette transfusion ou la mort ?  De longues secondes se sont égrenées avant que Mathieu réponde: « la mort » ! Cette terrible réplique se passe de commentaires.
Encore, pourra-t-on dire, un adepte peut passer toute sa vie sans avoir besoin d’être transfusé. Il en va tout autrement concernant les vaccins. Pour les Témoins de Jéhovah « la vaccination est une violation directe de l’alliance éternelle que Dieu a faite à Noé après le Déluge »  (L’âge d’or, 1931). Qui a vécu l’immense souffrance physique d’un enfant atteint de tétanos alors que sa mère avait refusé tout vaccin, ne peut admettre qu’il faille attendre que la maladie apparaisse pour réagir (les traitements curatifs étant alors parfois insuffisants).
Le Conseil d’Etat a confirmé le refus d’accorder un droit d’adoption à un couple adepte des Témoins de Jéhovah en argumentant sur « l’insuffisance des garanties offertes en ce qui concerne l’accueil d’un enfant » étant donné le ferme engagement à ne pas procéder à une transfusion en cas de besoin (Arrêté du Conseil d’Etat, Assemblée du 24 avril 1992).
 

Et les droits de l’enfant ?

Un certain nombre de textes (dont le plus connu est peut-être celui de la Convention internationale des Droits de l’Enfant) ont précisé au cours des années les droits fondamentaux dont bénéficient les mineurs. « L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes espèces » (article 13). Chez les témoins de Jéhova,  tout contact ou participation avec d’autres religions ou organisation religieuse (ne serait-ce qu’à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement) est considéré comme « prostitution spirituelle ». De même, lire des oeuvres d’autres religions souille l’esprit. Ne parlons pas du mariage avec un non membre de la secte ... « Les Etats-parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités (...) préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre » (article 29). Pour les Témoins de Jéhovah, être membre actif d’une société de jeunes est « perte de temps ». Les activités extrascolaires prenant trop de temps sur l’étude biblique et le prêche. La rencontre avec les profanes « ennemis de la vérité » est proscrite en dehors de l’école, du travail et de la prédication à domicile. Les enfants de la secte doivent fuir les jeunes du monde extérieur et trouver de véritables amis «au sein de la congrégation chrétienne». De même être responsable de ses camarades ( en tant que délégué de classe par exemple) ne peut se faire si l’on veut « rester sans tâche ». D’ailleurs, pour les adultes la participation aux élections est interdite.
 

Une secte dangereuse, à combattre

Les Témoins de Jéhovah ne sont donc pas aussi inoffensifs qu’ils apparaissent, malgré la politesse et la vertu qu’ils présentent. Ils proposent une vision du monde totalitaire, et forme une communauté refermée sur elle-même. Les conversions qu’ils obtiennent se traduisent par des ruptures familiales, des divorces, le nouvel adepte quittant son cercle relationnel pour intégrer celui de sa nouvelle famille, mais aussi par un embrigadement des enfants dangereux pour leur équilibre personnel, leur épanouissement éducatif et leur insertion sociale. Ultime pression: tout départ des rangs des adeptes s’accompagne d’ une rupture de toutes les relations familiales et amicales, l’ancien « frère » étant rejeté avec interdiction de lui adresser la parole.
L’aspect profondément nocif de cette secte mérite qu’on ne la traite ni par l’indifférence, ni par le mépris, mais avec une juste conscience du danger qu’elle fait courir aux enfants placés sous son influence. Il est important toutefois de retenir le principe que celle-ci inculque à ses membres au même titre que tous les autres: « il est autorisé aux adeptes de Jéhova de mentir si cela s’avère nécessaire dans l’intérêt de l’organisation ». De plus en plus, les membres de la secte sont amenés à camoufler leur appartenance pour se mettre à l’abri de la justice. Ainsi, cette famille, rouant de coups ses deux filles aînées, parce qu’elles étaient ressorties après minuit sur la place du village pour fumer une cigarette avec des copains. Non seulement la secte interdit de fumer, mais en plus, elle considère que rencontrer un(e) ami(e) sans être accompagné(e) relève de la « séduction sexuelle ». Dans les contacts avec les services socio-éducatifs et judiciaires, à aucun moment, l’appartenance à la secte ne sera abordée. Mais le déni fait aussi partie du cadre dans lequel travaillent souvent les professionnels de l’action éducative.
 
(1) Voir l’excellent article de Michel Huyette «Les sectes et la protection judiciaire des mineurs » Recueil Dalloz Sirey n°32, 19 septembre 1996  (31-35 rue Froidevaux 75685 Paris)
(2) L’Express du 19 septembre 1996
 

Jacques Trémintin – "L'école des parents" - 5/97