Les mineurs non accompagnés
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Mineurs non accompagnés : les réponses existantes et celles qui manquent
Des migrants sans ressources, massés sur les trottoirs, dormant dans la rue... Nous ne sommes pas dans un pays du tiers monde, mais au cœur de la cinquième puissance économique mondiale. Et parmi cette population en errance, des adolescents livrés à eux-mêmes, sans protection, exposés à tous les dangers. Fuyant la misère ou la guerre, ils arrivent en Europe avec l’espoir d’un avenir. Quand ils sont pris en charge, ils sont hébergés, accompagnés, scolarisés et fréquentent les clubs de sport et de loisirs. Mais beaucoup ne le sont pas, continuant à errer et à être exposés à tous les dangers, seulement soutenus parfois par des initiatives citoyennes. Qu’est-ce que la migration ? Pourquoi ces jeunes fuient-ils leur pays ? Que peut-on faire ? Ce dossier tente de répondre à toutes ces questions.Migration : de la constante historique à l’accélération contemporaine
Source de craintes et de fantasmes, la migration est pourtant au cœur du fonctionnement de l’espèce humaine. L’opinion publique est partagée entre la main tendue et le couteau tiré face à l’accueil de l’étranger dont le sort fut pourtant parfois le sien.Né en Afrique, l’Homo Sapiens ne s’est pas contenté de rester dans son berceau. Rassemblés en petits groupes de chasseurs cueilleurs, nos ancêtres se déplacèrent de quelques dizaines de kilomètres, de génération en génération, en quête d’espaces plus riches en ressources naturelles. C’est sans doute l’une des raisons qui explique leur sortie du continent africain et le peuplement de l’ensemble de la surface de la terre. Pour autant, même après que notre espèce ait conquis l’ensemble du monde, elle ne s’est pas limitée à une sédentarité permanente. Le nomadisme imprègne son histoire, les flux migratoires n’ayant jamais cessé. L’histoire n’est faite que de transits de populations, certaines ne faisant que passer, d’autres s’installant définitivement. Qu’est-ce qui pousse donc l’être humain à quitter l’espace qui l’a vu naître et qui lui assure un cadre à la fois protecteur et sécurisant et à se confronter à un inconnu potentiellement risqué ? C’est d’abord la nécessité soit d’échapper à la menace de mort (aujourd’hui encore 66 millions de personnes fuient la guerre, l’insécurité, les persécutions…), soit la misère (192 millions migrent pour essayer de mieux vivre). Mais, au-delà des impératifs de survie, l’espèce humaine semble animer d’une curiosité insatiable à connaître l’autre : en 2016, le monde a connu pas moins d’1,2 milliards de touristes ayant dormi au moins une nuit dans un pays étranger.
Pourquoi les accueillir ?
Combien de ces esprits rationnels qui jugent déraisonnable l’accueil des migrants ne seraient pas là aujourd’hui, si l’on avait appliqué à leurs ascendants, la rigueur de la politique d’immigration zéro qu’ils revendiquent ? Selon une enquête de l’INED, fondée sur le recensement de 1999, 23 % de la population française a au moins un grand-parent immigré. Notre pays s’est forgé autour d’un métissage permanent issu de vagues successives de migration. Et à chacun des ces épisodes, les mêmes refrains ont été repris dans la presse comme dans le monde politique ou l’opinion : « il y a trop d’étrangers », « nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde », « priorité aux français ». Et puis, les nouveaux arrivants se sont assimilés. De nos jours, 54% des enfants de parents immigrés sont issus de couples mixtes (dont l’un est français) et vivent pour 67 % en couples mixtes (INSEE 2017), mettant à mal le mythe du repli communautariste. Aujourd’hui, le monde est confronté à l’une des plus graves crises migratoires de l'histoire de l'Humanité : en 2015, chaque minute, 24 personnes ont été forcées de fuir leur pays, contre six en 2005 (d’après le Haut-commissariat aux réfugiés). La même année, alors que la Turquie accueillait 2,5 millions personnes, le Pakistan 1,6 millions, l'Iran 850.000, la Jordanie 650.000 et le Liban 1 million (pour 6,8 millions d’habitants), les six pays les plus riches de la planète n’en accueillaient que 2,1 millions.Le choix
L’antique valeur de l’hospitalité est née d’une impulsion vers l’autre, d’un désir de secourir celui qui est en péril, du choix de se laisser affecter par la menace pesant sur sa vie, de la conviction que tout existence est digne d’attention et de considération. Faut-il privilégier un repli égoïste sur soi ou faire preuve de cette solidarité que l’on serait en droit d’attendre si nous étions nous-mêmes victimes ? La certitude que le mélange est un enrichissement et que le monde des uns a besoin du monde des autres doit-il laisser la place à la peur d’être contaminé et absorbé par autrui ? L’étranger, hôte que l’on prie d’entrer dans son foyer, en le magnifiant doit-il devenir un gueux sans avenir, un intrus redouté, un envahisseur potentiel, un criminel en puissance, un fauteur de troubles virtuel qu’il faut éloigner, repousser, rejeter au loin ? (1) A chacun d’en décider.(1) Guillaume Leblanc et Fabienne Burgère, cf bibliographie
Non assistance à personne en danger
En septembre 2015, face à la vague de 160.000 personnes arrivées en Grèce et en Italie, l'Union européenne décidait d'un mécanisme de quotas pour mieux répartir les migrants entre les États membres. Amnesty International a calculé que 29% de l’objectif initial du programme de relocalisation a été atteint. Sur les 19.714 personnes que la France était invitée à accueillir, seules 4.278 l’ont été. Méditons sur cet acte de solidarité à la fois noble et courageux.
Des mineurs non accompagnés en danger
Si la migration est une constante de l’histoire de l’humanité, celle des enfants isolés est bien plus récente. Comprendre les raisons de cette errance permet de mieux répondre au danger qu’elle engendre, pour autant qu’on veuille s’en donner les moyens.Au début des années 1980, de jeunes mineurs yougoslaves (Tziganes et Roms originaires de Bosnie et/ou de Serbie) arrivent sur le territoire français. Leur prise en charge par les services de protection de l’enfance n’est pas toujours facile. A peine placés en foyer, ils en fuguent souvent. Mais, c’est à partir du milieu des années 1990, qu’un flux migratoire s’instaure en provenance de Roumanie, de Chine, du Maroc, d’Afghanistan, du Congo, d’Angola ou du Mali. Au nombre de 6 à 8.000, leur nombre va s’accroître notablement débordant rapidement les dispositifs chargés de les accueillir : 10 000 fin 2015, 13 000 fin 2016. Ils étaient 25 000 fin 2017.
Pourquoi partent-ils ?
Angélina Etiemble (1) propose une typologie très détaillée permettant de bien identifier les motivations poussant ces mineurs à la migration. Elle distingue d’abord le « mineur exilé » (type 1) fuyant les guerres, conflits ethniques, extorsions de fond, accusations de sorcellerie, appartenance à un groupe social minoritaire et discriminé, mariage forcé, excision.... Puis, vient le « mineur mandaté » (type 2) incité à se rendre en Europe par ses proches, pour les soutenir économiquement. Ce qui compte pour lui, c’est de leur envoyer de l’argent. Il existe aussi ce « mineur exploité » (type 3) expatrié à des fins d’exploitation, de la prostitution au vol forcé en passant par le travail clandestin, en atelier ou chez des particuliers. Le « mineur fugueur » (type 4) a fui sa famille, mais a décidé de gagner un pays étranger. Vient encore le « mineur errant » (type 5) qui s’est progressivement éloigné de sa famille elle-même en pleine précarité. Il s’installe dans la débrouille, vivant de la mendicité, du vol et de la prostitution. On rencontre aussi le « mineur rejoignant » (type 6) qui a pour projet de rejoindre un parent ou un membre de sa famille élargie qui tente d’organiser après-coup sa venue. Enfin, dernier profil, le « mineur aspirant » (type 7) qui est engagé dans une forme de quête plus personnelle d’un « ailleurs » où l’on peut être soi, « devenir » quelqu’un, exister. Il cherche à s’émanciper du milieu familial et de la société d’origine dont ils dénoncent volontiers la corruption, l’injustice, les inégalités et les discriminations.L’accueil qui leur est proposé
Quel que soient les motivations qui le poussent à migrer, cet enfant est en danger. Pour autant il fait le plus souvent preuve d’une farouche détermination. Il a affronté les pires épreuves pour venir, risquant de se perdre, de se noyer ou de se blesser, confrontés à l’agression, voire à la mort, subissant le racket, les mauvais traitements, les viols ou l’enfermement. Une fois arrivé, il réutilise l’énergie qu’il a déployée pour franchir tous les obstacles accumulés sur sa route, mais cette fois-ci en l’investissant dans une insertion tant culturelle que professionnelle. Faisant preuve d’une étonnante capacité d’intégration, il impressionne les enseignants par sa farouche volonté d’apprendre. L’école ? C’est une chance inouïe pour lui. Être accueilli en foyer ou en famille d’accueil, une fabuleuse aubaine. Mais, pour qu’ils soient pris en charge par les services socio-éducatifs, il faut qu’il prouve son statut de mineur. Déclaré majeur, il restera livré à lui-même, laissé à la rue, sans ressources. Sa minorité établie, il bénéficiera d’une mesure de protection judiciaire. Encore faut-il que les dispositifs chargés d’évaluer sa situation ne soient pas eux-mêmes totalement dépassés et embolisés par le manque de moyen. Ce qui est de plus en plus souvent le cas. Une fois ses dix-huit ans atteints, malgré des efforts le plus souvent remarquables pour faire sa place, en apprenant rapidement le français et en passant des diplômes, c’est une ordonnance de reconduite à la frontière qui le menace, à tout moment.Faux scientifique
Pour déterminer l’âge d’un mineur non accompagné, une radiographie est pratiquée pour mesurer la croissance en longueur et l’ossification des cartilages de son poignet. Mesure peu fiable et sujette à une marge d’erreur de deux ans ! Parce que le corpus d’enfants de référence établi en 1959 dans une population américaine en bonne santé, issue de familles à haut niveau socio-économique, est très éloigné des enfants traumatisés par la misère, la sous nutrition et/ou la guerre civile.
La société civile au secours de l’État
On peut se sentir impuissant face à une réalité qui nous dépasse. D’autant plus, quand les dispositifs sensés gérer la solidarité semblent à ce point passifs. Sans se résigner à un tel renoncement, les initiatives individuelles sont aussi possibles.Le constat est sans appel : les autorités administratives sensées protéger tout mineur n’ont pas rempli tous ler devoirs qui étaient les leurs. Cette passivité s’explique par plusieurs raisons. D’abord, l’emballement des arrivées successives de ces jeunes migrants a surpris tout le monde. Mais une fois le premier désarroi passé, c’est l’absence de réactivité qui s’est imposé. Et ce, en raison d’une fausse conviction : une réponse rapide provoquerait forcément un appel d’air. Moins on se montrerait respectueux des conditions d’accueil, plus cela découragerait les autres. Comme si ces mineurs n’étaient pas acculés et avaient le choix ! Ce cynisme s’est conjugué avec le jeu malsain mené par l’État et les Conseils départementaux, chacun se renvoyant réciproquement la responsabilité financière de la prise en charge des jeunes migrants. Face à la carence des pouvoirs publics, de nombreuses associations humanitaires se sont mobilisées relayées par beaucoup de citoyens solidaires s’engageant individuellement. Le sens de l’hospitalité et de la fraternité relève de valeurs éthiques propres à la conscience humaine qui ont peu à voir avec les politiques de migration qui sont toujours liés à des calculs opportunistes et à des stratégies conjoncturelles bien moins nobles.
S’engager
S’il est toujours possible de faire pression sur nos élus politiques, on peut tout autant initier des actions fondées sur l’altruisme. Nous sommes en janvier 2015. Les quinze élèves en bac pro aquaculture de l'ISETA, un lycée agricole privé aux portes d’Annecy, écoutent avec stupéfaction le témoignage de Khairollah, un jeune afghan de leur âge. Ils n’en reviennent pas de ce que leur camarade leur raconte : le départ de son pays natal, à pied, seul, à l'âge de 11 ans, après la mort de ses parents, l’abandon de tout ce qui lui était familier et proche pour affronter la dangereuse route de l'exil, risquant la mort pour essayer de trouver une vie meilleure. Profondément ému, le groupe réagit spontanément et vivement demandant à son enseignante de Français quelle suite donner à ce récit : et si on en faisait un livre ? Et les voilà engagés dans cet improbable projet. Un appel de fonds est lancé sur un site de financement participatif : 3.790 euros seront récoltés en 45 jours. Pendant ce temps, le groupe d’élèves échange avec Khairollah : six heures d’enregistrement que des ateliers d’écriture permettront de mettre en forme avec l’aide d’un écrivain professionnel. Les « carnets d’exil » seront publiés le 17 avril 2017 sous le titre « Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps ». Entre temps, Khairollah a appris le français, obtenu un CAP et décroché un contrat en CDI.Que faire ?
Pour exemplaire et créative que soit l’initiative de la classe de l’ISETA, elle ne peut être reproduite à l’identique. Il n’est pas question ici d’inciter tout animateur à solliciter un jeune mineur non accompagné, pour qu’il vienne étaler aux yeux de tous son parcours. Combien de fois lui a-t-on demandé, depuis qu’il a franchi la frontière française, de répéter et de répéter encore le récit de ses épreuves ? Le faire à nouveau peut certes l’aider à se libérer des traumatismes vécus. Mais, cela pourrait tout autant réactiver les souffrances endurées, qu’il revivrait comme une reviviscence. Il existe de multiples initiatives qui peuvent être prises (et qui le sont sans doute déjà) pour stimuler le sens de la justice, encourager l’ouverture à la différence et décupler la générosité de tant de ces jeunes que l’on dit trop souvent à tort prisonniers d’un égocentrisme hostile et rétif à toute empathie. Il y a mille manières de contrer la xénophobie et le rejet de l’autre en empruntant le chemin de la solidarité et de la fraternité. À chacun de trouver le sien !Comment financer ?
La protection de l’enfance en danger est placée sous l’autorité des Conseils départementaux. Face aux fortes dépenses qui ne cessent de s’accroître dans la gestion ordinaire de ce secteur, le milliard d’euros supplémentaires qui devraient être consacrés à l’accueil des mineurs non accompagnés pourraient bien étrangler financièrement ces collectivités locales à qui Emmanuel Macron exige, par ailleurs, qu’elles réduisent leurs dépenses de 13 milliards dans les cinq années à venir.
Éducation populaire et mineurs non accompagnés
Le secteur de l’animation n’est pas insensible à la situation de ces jeunes qui devraient vivre comme les autres, s’ils n’étaient laissés à la rue. Ainsi, le CLAJ a-t-il accueilli chaque semaine de l’été deux ados, à tour de rôle, dans son équipe gérant une de ses auberges de jeunesse. Ainsi, les CEMEA qui reçoivent trois après-midi (bientôt cinq) les jeunes déscolarisés sur son accueil de jour. A quand une ouverture des clubs de jeunes à ce public ?
Lire l'interview : Peyroux Olivier - Les mineurs non accompagnés
RESSOURCES
Bibliographie
« Les migrants de Calais : enquête sur la vie en transit »Sophie Djigo, Ed. Agone, 2016
Sophie Djigo est allée sur place les rencontrer ces migrants de Calais, ces militants qui les soutiennent, ces populations qui les côtoient. L’ouvrage passionnant qu’elle nous propose combine le reportage, le recueil de témoignages et l’essai réflexif sur une problématique qui salit notre république réputée patrie des droits de l’homme. Pris dans l’étau des violences policières, des attaques de milices d’extrême droite et la pression des passeurs, ils ont néanmoins pu aménager la solidarité et l’entraide, réunissant des cagnottes pour faire des courses, organisant des surveillances la nuit, assurant des médiations. Pour sortir de l’indignité qui est faite dans notre pays aux migrants, il faut sans doute revenir au principe républicain d’accueil de ceux qui fuient leur pays. Mais, pour que l’hôte se mette à leur place, il lui faut d’abord imaginer que par un revers de fortune, il puisse subir le même sort. La solution serait alors de créer un statut de migrant en transit et d’utiliser les 150.000 euros dépensés chaque jour pour la surveillance policière, afin d’aménager des structures d’accueil temporaire dignes et respectueuses.
« Les ancêtres ne prennent pas l’avion »
Pascale Ruffel, Ed. Jeca Seria, 2017
Pour accompagner les réfugiés, il faut renoncer à ces idées reçues, à ces poncifs pseudo-culturels et à ces représentations psychologisantes si souvent plaqués sur ces populations. C’est cette expérience que nous livre ici Pascale Ruffel, psychologue au Centre nantais d’hébergement des réfugiés, dans un écrit emprunt de retenue et d’humilité. Tout ce qui semblait aller de soi s’évanouit. Le temps d’avant est comme effacé, oublié, aboli. Ce qui est vécu n’est pas seulement le déplacement, mais aussi l’expérience du hors lieu. Pour l’intervenant, aller vers cet autre qui ne parle parfois pas vingt mots de français, c’est emprunter des chemins diversifiés tantôt balisés, tantôt de traverse. C’est parcourir une cartographie qui ne cesse de se composer et de se recomposer des guerres et des droits de l’homme bafoués, des souvenirs d’enfance, des saveurs et des langues. C’est gérer le déni, l’intellectualisation, la fascination, la culpabilité, la défensive ou le rejet se bousculant en soi. C’est, à travers le dépouillement et la simplicité de la rencontre, (re)trouver le chemin de l’humanisation.
« Définir les réfugiés »
Michel Agier, Ed. PUF, 2017
L’histoire est longue de l’introuvable définition du réfugié. Sans doute parce que ce n’est pas une identité, mais une catégorie institutionnelle construite artificiellement qui se transforme sans cesse, au fils du temps, au gré des priorités politiques nationales et des changements de rapports de force internationaux. L’octroi de l’asile ou de la qualité de réfugié relève bien plus d’une prérogative de l’État qui définit, à un moment donné et pour les raisons qui lui sont propres, une politique migratoire que d’un droit subjectif et universel dont tout individu pourrait se prévaloir. Ainsi, en pleine guerre froide, il suffisait d’être russe, polonais ou tchécoslovaque pour obtenir instantanément un statut de réfugié. Il en fut de même, entre 1979 et 1986, quand la France ouvrit ses frontières à 150.000 personnes fuyant le sud-est asiatique (630.000 dans le monde). Le nombre d’exilés importe peu quand la volonté politique de les accueillir existe.
« La fin de l’hospitalité. Lampedusa, Lesbos, Calais. Jusqu’où irons-nous ? »
Guillaume Leblanc et Fabienne Burgère, Ed. Flammarion, 2017
Emmanuel Kant proclamait que la terre n’appartenant juridiquement à aucune nation, ni à aucun individu, personne n’a « originairement plus de droit q’un autre à un endroit de la terre ». Mais, avec la modernité, les États nations se sont appropriés les territoires, s’arrogeant la prérogative de décider qui doit y séjourner. La migration est déchue de toute légitimité et réduite à une zone de désordre à assécher à tout prix. Elle est devenue la figure de l’altérité radicale repoussoir. Mais, l’hospitalité acculée par le déni, voire transformée en délit subsiste, parce qu’elle est pour partie indécidable. Elle renvoie à une perception de l’intolérable : « nous sommes à ce point saisis à la gorge par une situation inhumaine que nous devenons hospitaliers malgré tout » (p.85). Et ce sont aujourd’hui de simples citoyens qui apportent les soins appropriés à des vies vulnérables, face à un État préférant la politique sécuritaire à l’accueil universel pour tous, quelles que soient sa provenance, sa couleur de peau et son origine sociale.
« Déclarés majeur ! Les tests osseux, alibi « scientifique » de la chasse aux jeunes étrangers isolés »
RESF, Ed. L’Harmattan, 2016
Avec le vote, le 18 novembre 2015, de la loi de Protection de l'Enfance, le gouvernement a légalisé l'usage de l’examen osseux pour attribuer un âge aux mineurs isolés étrangers. De quoi s’agit-il ? C’est une radiographie des cartilages responsables de la croissance en longueur et de l’ossification, qui permet d’évaluer l’âge d’un être humain. Vers 18 ans pour une femme et 19 ans pour un homme, les zones de calcification se rejoignent et fusionnent. De hautes autorités ont donc émis les plus grandes réserves, quant à l’usage de cette méthode : l’Académie de médecine, le Haut conseil à la santé, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, le Défenseur des droits, la Commission consultative de droits de l’homme. C’est au mépris des avis médicaux et éthiques les plus éminents, que notre gouvernement et nos députés ont donc validé cette douteuse pratique, légalisant à partir d’une pseudo caution scientifique la chasse aux mineurs étrangers isolés.
« Dans la peau d’un migrant. De Peshawar à Calais, enquête sur le « cinquième monde »
Arthur Frayer-Laleix, Ed. Fayard, 2015
Le journaliste Arthur Frayer-Laleix s’est grimé, se laissant pousser une barbe dense et sombre, portant une grande tunique et allant même jusqu’à se faire opérer des yeux, le port de lunettes n’étant guère crédible. Commençant par le Pakistan où il se mêle à tous ces candidats à l’exil fuyant la misère, la corruption et les attentats terroristes, son enquête se terminera au tribunal de Boulogne sur mer jugeant les passeurs, en passant par la Bulgarie où cherchant à être interné en centre de rétention, il sera expulsé dans le coffre d’une voiture de police. C’est un trafic de migrants qu’il décrit et non d’être humains, le transport d’hommes marchandise n’ayant pas pour finalité leur exploitation comme prostitués, travailleurs forcés ou esclaves domestiques, mais leur acheminement. Le témoignage qu’il nous livre raconte, de l’intérieur, toute une contre-société qu’il désigne, après le tiers et le quart monde, comme un cinquième monde.
« Un roi clandestin. Témoignage »
Fahim, Xavier Parmentier & Sophie Le Callenec, Ed. Les Arènes, 2014
Une communication téléphonique aura scellé le sort de Fahim : celui passé par une auditrice de France Inter à François Fillon, alors premier ministre, invité entre les deux tours de la présidentielle de 2012, de la matinale de la station. Nombreux sont les réfugiés et leurs soutiens qui rêvent d’une solution aussi rapide et spectaculaire. Il est bien plus fréquent que la parcours du combattant imposé par l’administration française se termine par une OQTF : obligation de quitter le territoire français. Par quelle magie, la situation de ce jeune garçon et de son père Nura ayant fui leur Bengladesh natal, où leur vie était menacé, a-t-elle pu se régulariser par l’obtention d’un titre de séjour « vie familiale et salarié » ? La réponse est à chercher du côté du championnat de France d’échecs que venait de remporter Fahim, quelques semaines auparavant. Ainsi notre pays, prompt à rejeter les damnés de la terre, chassés par la misère ou les persécutions, fait bien moins le difficile quand il s’agit de récupérer les talents qui frappent à sa porte.
« Les coyotes. Un périple au-delà des frontières avec les migrants clandestins »
Ted Conover, Ed. Globe, 2015
Ted Conover est un journaliste américain. Tout l’oppose à ces mexicains contraints de migrer aux USA, pour fuir la misère régnant dans leur pays. Pourtant, c’est cette existence qu’il a décidé d’éprouver. Et, il convie le lecteur de mener, par procuration, une expérience hors du commun : vivre cette migration, de l’intérieur. D’un côté de la frontière, une main d’œuvre nombreuse, docile et disponible ; de l’autre, une économie avide de ces salariés taillables et corvéables à merci, peu exigeants et payés à bas prix. L’équation est certes universelle, mais sa description au quotidien est loin de l’être. C’est pourquoi ce récit est à la fois passionnant et précieux. Il se dévore, plus qu’il ne se lit. Car, non seulement il est bien écrit, mais son déroulement constitue une plongée sociologique et psychologique dans le quotidien d’une réalité trop peu connue. Ted Conover déploie une tendresse et un attachement infinis pour ces migrants, leur courage et leur profonde humanité. En refermant le livre, on ne peut qu’être envahi par cette même empathie.
« Je peux écrire mon histoire. Itinéraire d’un jeune afghan, de Kaboul à Mulhouse »
Abdulmalik Faizi, Frédérique Meichler, Nearboz, Mediapop Editions, 2014
Ils traversent la moitié du monde pour venir dans nos pays. Chassés par la guerre civile, la misère, la faim ou tout simplement en quête d’un avenir, tant le leur est compromis, ils prennent la route, franchissent les montagnes et traversent les mers. Les récits de ces mineurs étrangers isolés sont rares et donc précieux. Celui que nous propose Faizi Abdulmalik est à la fois surréaliste et étourdissant. A suivre son incroyable périple, depuis son Afghanistan natal où toute sa famille a été massacrée par les Talibans, jusqu’au lycée Charles Stoessel à Mulhouse, on mesure la force, le courage et la détermination qui lui a fallu pour surpasser les épreuves endurées. Passant de main en main, de réseaux en passeurs, sur terre comme sur l’eau, il a fini par y arriver. Confronté à la rue, Faizi Abdulmalik va bénéficier de la solidarité citoyenne d’hommes et des femmes de bonne volonté pour qui ne pas aider ce jeune venu de l’autre bout du monde n’était pas concevable. Aujourd’hui, il a pu enfin décrocher un titre de séjour, provisoire.
« Ceux qui passent »
Haydée Sabéran, Ed. Montparnasse, 2012
Journaliste à Libération, Haydée Sabéran présente dans ce livre, à la fois émouvant et documenté, le monde des jungles situé face à une Angleterre que tant de réfugiés de la misère veulent atteindre. Bloqués sur la côte d’Opale, entre Calais et Dunkerque, ils tentent de survivre, en attendant un hypothétique passage, dans des campements insalubres improvisés dans les forêts. Leur détermination est sans faille. Craignant d’être identifiés par leurs empreintes digitales, nombre d’entre eux n’hésitent pas à se brûler régulièrement la pulpe des doigts, utilisant pour cela de l’acide sulfurique, des clous chauffés à blanc ou des plaques de cuisson. L’auteur décrit les humiliations imposées par une police qui n’hésite pas à réveiller ces réfugiés plusieurs fois dans la nuit, jetant leurs couvertures dans les flaques d’eau ou les imbibant de gaz lacrymogène, les arrêtant et les relâchant à quarante kilomètres, sans chaussures. Moins leur séjour est confortable, moins ils auront envie de venir, moins ils seront nombreux, pensent les autorités, élevant le harcèlement en stratégie de découragement.
« Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n’empêcheront pas la venue du printemps. Carnet d’exil de Khairollah »
Classe de Bac Pro Aqua et Aline Nevez, Ed. ISETA, 2017
L’enfance de Khairollah n’est guère réjouissante. Scolarisé à 7 ans, il lui a fallu trouver du travail dès l’âge de 9 ans, comme tant d’enfants de familles pauvres d’Afghanistan. Lui, cirait les chaussures dix heures par jour. Quand ses deux parents meurent, il trouve à s’employer dans une ferronnerie. Le patron le payait quand il y pensait. L’adolescent décide de s’enfuir. Son parcours est à l’image de tant de migrants, se terrant pour éviter les contrôles, franchissant les frontières clandestinement, frôlant à plusieurs reprises la mort ou la noyade, confrontés à la violence des passeurs et à la répression des policiers. Protégé à son arrivée en France, en tant que mineur non accompagné, il entre en apprentissage à l’ISETA de Haute Savoie. Invité à témoigner de son histoire devant les élèves, il stupéfie ses jeunes auditeurs qui n’auront de cesse, entourés de l’équipe enseignante et de multiples associations, que de publier son récit.
http://www.eadrsi-cneap.fr/parution-de-carnet-dexil-nhesitez-pas-a-passer-commande/
Sites Internet
Un site incontournable constituant une précieuse mine d’informations : INFOMI E centre ressources sur les mineurs étrangers isolés :InfoMIE est une plateforme nationale d’acteurs travaillant, accompagnant les MIE et un centre de ressources en ligne sur les MIE, donnant accès au droit applicable aux MIE et aux pratiques professionnelles en découlant.
www.infomie.net
Typologie d’Angelina Etiemble concernant les différents profils des mineurs non accompagnés :
https://www.infomie.net/IMG/pdf/synthese_-_actualisation_typologie_mie_2013-2.pdf
« Ni sains, ni saufs : enquête sur les mineurs non accompagnés dans le Nord de la France » Olivier Peyroux : Recherche effectuée pour l'UNICEF France publiée en juin 2016
https://www.unicef.fr/contenu/espace-medias/ni-sains-ni-saufs-enquete-sur-les-mineurs-non-accompagnes-dans-le-nord-de-la-france
Vidéos
Sijad, 12 ans, ma vie seul dans la jungle de Calais :Sijad a 12 ans, il a fait le trajet de l'Afghanistan jusqu'au littoral français sans ses parents. Le garçon a échoué dans la "jungle" de Calais il y a 3 mois. Il s'est glissé derrière la caméra pour nous montrer sa vie
https://youtu.be/bKJPfE7YfCk
Conférence de Sophie Djigo sur les migrants de Calais :
Entretien avec Sophie Djigo, mené par Daniel de Roulet, dans le cadre du 9e Printemps des sciences humaines et sociales « s’émanciper »
Les droits politiques sont l’apanage des citoyens, constitués en peuple au sein des États-nations. Dans ce contexte où les États se définissent par leur territoire et leurs frontières, et les citoyens, par leur appartenance nationale, comment exister en tant que sujet politique lorsqu’on est migrant? Quels droits ont ces individus qui vivent en transit à même les espaces nationaux? Comment se constituer en communauté lorsqu’on est clandestin, sans statut et sans voix ?
https://www.canal-u.tv/video/meshs/les_migrants_de_calais_de_la_clandestinite_a_la_communaute.34403
4 courts-métrages sur le vécu d’un mineur non accompagné : Le temps d’un clip, quelques requérants d’asile mineurs non accompagnés vous laissent vous immiscer dans les coulisses de leurs vies. A 15 ans, comment vit-on à Genève sans le moindre repère familial, pourtant si fondamental ? Le temps d’un clip, la vie d’un réfugié mineur est comparée à celle d’un adolescent genevois. Selon vous, quelles similitudes et différences ressortiront de la vie de ces ados du même âge, alors qu’ils vivent tous dans la même ville ? Et quels auraient été vos grands défis si vous aviez dû arriver seul à 15 ans dans un environnement où tout vous est étranger ?
https://www.amaplace.ch/videos
Classe d’accueil : des mineurs non accompagnés scolarisés : Dans la salle 326 du Lycée Paul Valéry de Paris, 25 élèves de 15 à 18 ans, de 20 nationalités différentes : Moldaves, Tunisiens, Tibétains, Iraniens, Chinois, Nigériens, Serbes, Colombiens, Irlandais, ou encore Afghans affichent le même désir d’apprendre le français. Stéphane Paroux, leur professeur, les accompagne dans ce travail.
Classe d’accueil suit cet apprentissage mais, bien au delà, accompagne certains élèves dans leur problématique de jeunes étrangers en France et explore comment l’école républicaine accomplit ses fonctions premières de transmission des savoirs et d’intégration.
http://www.infomie.net/spip.php?article2407
« Exil de la dernière chance » Court métrage réalisé par le Conseil de la jeunesse du 10ème arrondissement » : Depuis la fermeture de la jungle de Calais, en avril 2009, des centaines d'exilés afghans se sont installés dans plusieurs quartiers du 10e arrondissement. Méconnus des habitants, ces hommes ont éveillé notre curiosité. Nous passions devant eux ignorant les raisons de leur présence, fermant les yeux sur leur statut "d'hommes de la rue". Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Où vont-ils ? Devant ces questions laissées sans réponses, nous avons décidé en décembre 2009 de réaliser un documentaire sur ces exilés. A la recherche de témoignages, nous avons passé près de 6 mois à suivre les plus jeunes d'entre eux dans leur vie quotidienne, entre souffrance du passé et espoir d'avenir.
https://www.dailymotion.com/video/xgendk
Court métrage : « Aïssa » 2008 (8 min) Aïssa est congolaise. Elle est en situation irrégulière sur le territoire français. Elle dit avoir moins de dix-huit ans, mais les autorités la croient majeure. Afin de déterminer si elle est expulsable, un médecin va examiner son anatomie. Reportage réalisé et écrit par Clément Tréhin-Lalanne avec Manda Touré et Bernard Campan
https://www.youtube.com/watch?v=NtkE2GLQAag
Les jeunes migrants isolés en France : Débat sur TV5 en 2015. Parmi les centaines de réfugiés clandestins qui errent dans les campements de fortune de Calais, des mineurs tentent de suivre leurs ainés. Souvent isolés, ils sont censés être protégés par la Convention internationale des Droits de l’Enfant. Renaud Mandel, président de l'ADMIE, l’Association pour la Défense des Mineurs Isolés Etrangers, et Papé, jeune malien arrivé en France à 17 ans, témoignent.
https://www.youtube.com/watch?v=9_Iu2w6-3C0
Les critères pour obtenir les papiers en Europe: Témoignage d’un migrant
https://www.youtube.com/watch?v=hHeG2_Yhw10
Seuls au monde (2010): Chaque année, plusieurs centaines de mineurs isolés parviennent jusqu'à nos frontières. Tous, venus d'Afrique, d'Asie ou d'ailleurs ont fui leur pays pour échapper à la guerre, à la misère ou aux persécutions. La France leur doit protection parce que la Convention internationale des droits de l'enfant et le Code Civil prévoient que, sur sa demande, un mineur peut bénéficier des protections de l'assistance éducative indépendamment de toutes considérations nationales, ethniques ou sociales. Pourtant, une fois pris en charge par les services de l'immigration ou de l'aide à l'enfance de notre pays, ils sont loin d'être au bout de leurs peines...
https://www.youtube.com/watch?v=FuK4uencBkU
Dany et Dieu demandeurs d'asile: La demande d'asile de Dany et Dieu, 10 et 11 ans, et de leurs parents, Cérif et Judith, a été refusée par la Belgique, pays dans lequel ils sont venus en fuyant le Congo où leurs vies étaient menacées. Ils sont alors venus en France. Et la France les a expulsés vers Bruxelles, par avion privé. Au bout de quelques jours, ils sont revenus en France. Dany et Dieu racontent leur vie de demandeur d'asile sans papier.
https://www.youtube.com/watch?v=HeVHOKjNtcM
Migrants mineurs : comment la France fait face ? Un an après le démantèlement de la jungle, que sont devenus les migrants ? Ils sont de plus en plus nombreux à se présenter en France pour obtenir le statut très protecteur de mineur. Même des non-mineurs... Résultat : des services débordés, des listes d'attente sans fin, et des "grappes" de jeunes migrants en attente qui trainent dans les grandes villes. Comment l’État prend-il en charge ces migrants ? Où vont les jeunes à qui on refuse le statut de mineur ?
https://www.youtube.com/watch?v=obc-10mzi7k
Migrants mineurs : ces familles qui les accueillent (Reportage de Cathy Colin, Daniel Le Floch, Eric Bellamy et Sophie Boismain) Des particuliers, des français choisissent d' héberger des jeunes migrants isolés, pour quelques nuits ou plusieurs mois. Ces jeunes, arrivés pour la plupart d'Afrique disent avoir moins de 18 ans, pour être pris en charge par l'Etat.? Pourquoi accueillir chez soi quelqu'un qui n'est en rien lié à nous ? quelles peurs et quelles surprises?
https://www.youtube.com/watch?v=9SQgm4fFcWg
Boza, (sauvetage des migrants par SOS Méditerranée) Pour les migrants venus d’Afrique, la Méditerranée est la voie principale pour atteindre l’Europe, malgré le danger que représente sa traversée. Selon Médecins sans frontières (MSF), en 2016, au moins 5 000 hommes, femmes et enfants sont morts en tentant de traverser la Méditerranée, contre près de 2 800 en 2015. Depuis mai 2016, L’Aquarius, un navire affrété par l’association SOS Méditerranée, vient en aide aux migrants rescapés. Nous avons passé quinze jours à son bord, à la rencontre de son équipage et des migrants qu’il sauve.
https://www.youtube.com/watch?v=jtpD3Gt4ALo
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°188 ■ avril 2018