Lemay Michel - Québec
Et chez nos cousins québécois ?
Que se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique ? Un témoin prestigieux bien au courant du fonctionnement du travail social dans l’ancien et le nouveau continent nous éclaire.
Vous vivez actuellement à Montréal. Si vous deviez comparer la situation de l’Education Spécialisée au Canada et en France, quels sont pour vous les points forts et les points faibles de chaque pays ?
Michel Lemay: Le point fort au Canada, c’est sans conteste d’avoir bâti une méthodologie de l’éducateur qui soit transmissible. Ca a été beaucoup pensé pour l’enfant caractériel, le jeune délinquant. Mais, il y a des applications qui peuvent certainement se faire pour les handicapés mentaux par exemple. Je pense à Guindon et Gendreau et à bien d’autres personnes que je pourrais citer. Ils ont considéré que l’éducation spécialisée avait un côté science. Il y a un art biensûr, mais c’est aussi une science qui repose sur des connaissances et des répétitions qui sont relativement vérifiables. Donc construisons une méthodologie de l’éducateur. Sur ce point-là, il y a des ouvrages et des formulations dans les écoles d’éducateurs qui me paraissent plus en avant qu’en France. Encore que, il y a eu des ouvrages tout à fait intéressants aussi en France là-dessus: je pense par exemple à tout ce qu’avait fait le Centre d’Orientation de Vitry, puis les gens de Toulouse et dans bien d’autres régions. Un autre point fort au Canada, c’est la tentative d’intégration des déficients mentaux légers dans les écoles, c’est là une belle réussite.
Par contre les points faibles, c’est le peu de choses pour les déficients mentaux moyens et profonds ainsi que dans l’assistance éducative en milieu ouvert -encore que ça commence à apparaître-. La France est nettement en avance dans ce domaine.
Elle est aussi nettement en avance dans l’organisation des placements familiaux thérapeutiques.
Dans le domaine de la petite enfance, je crois que les deux pays s’en préoccupent actuellement à peu près parallèlement. Ils découvrent qu’il faut intervenir le plus précocement possible autour du tout petit enfant, et qu’il faut des puéricultrices et des éducatrices spécialisées pour les enfants en bas âge.
Peut-être un autre point fort du Canada que je voudrais souligner, c’est l’absence d’affrontement au niveau des Ecoles. Il y a cette conviction que chacune des Ecoles de pensée, qu’elle soit psychanalytique, béhaviorale, organique, systémique ... ont des idées intéressantes. Il ne s’agit pas de savoir laquelle doit être hégémonique, mais de se dire que ce sont là des regards différents portés sur le fonctionnement de l’être humain et qu’on a tout avantage à capter des éléments de chacune pour faire sa propre synthèse provisoire qui biensûr est à remettre en cause au fur et à mesure des nouvelles connaissances. Je voudrais quand même dire que sur ce plan il y a une évolution en France. J’étais présent en Novembre 1994 à un congrès à Montpellier sur l’autisme. J’ai été très impressionné par le respect que des gens d’Ecoles différentes avaient les uns par rapport aux autres et combien cette idée d’un regard porté sur des facettes multiformes pouvait se justifier.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°328 ■ 16/11/1995