Vaillant Maryse - Familles plurielles
Avant d’être la Maryse de « Y a pas photo » sur TF1, Maryse Vaillant a travaillé pendant de nombreuses années comme éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Devenue psychologue clinicienne et chargée de cours à Paris VII, elle a sillonné l’hexagone, passant de supervision en colloque, de groupe de parole en journée d’étude. Elle a publié de nombreux ouvrages (1), dont une série chez Michel Lafon, en direction du grand public (« Les vraies bonnes questions auxquelles personne jamais ne répond »), sur les enfants, les ados ou le couple.
Journal de l’animation : On pense traditionnellement que les enfants des familles monoparentales rencontreraient plus de problèmes que ceux en provenance des familles nucléaires. Qu’en pensez-vous ?
Maryse Vaillant : oui, mais non. Oui parce qu’on constate effectivement un certain nombre de problèmes. Mais ceux-ci sont avant tout liés à la précarisation économique qu’entraîne le fait d’avoir un seul salaire à la maison. Quand on parle de famille monoparentale on parle plus des mères seules avec leurs enfants. Les pères sont aussi parfois dans cette situation, mais bien moins fréquemment. Le parent qui se retrouve seul à gérer la famille doit faire face à la détresse, au deuil de la séparation, mais aussi aux contraintes liées à l’effondrement des ressources. Alors, c’est vrai que les statistiques le confirment : les enfants de familles monoparentales vont moins en colonie, partent moins souvent en vacance, font moins d’activités socio-culturelles. Mais non, cela n’est pas lié à l’aspect « monoparental ». C’est avant tout un problème économique.
Journal de l’animation : Pourtant, on évoque une plus grande fréquence en matière de comportements difficiles ou de délinquance ...
Maryse Vaillant : La monoparentalité ne constitue en elle-même ni un critère de risque, ni un critère de danger. Les statistiques n’ont jamais réussi à établir un lien de cause à effet entre cette forme familiale et la délinquance, la toxicomanie ou le suicide. Il existe parfois des situations de détresse psychologiques. Mais on ne peut les évoquer, sans préciser les circonstances dans lesquelles elles surviennent. L’enfant qui vit seul avec son parent, investit ce dernier comme un repère fixe de son histoire. Il va connaître toute une trajectoire familiale qui le fait passer par exemple par une première étape de vie avec ses deux parents, puis avec sa mère seule, puis avec sa mère et un compagnon, puis à nouveau avec sa mère seule, si la relation ne dure pas. Toutes ces recompositions peuvent être vécues avec plus ou moins de souffrance, selon l’attitude adoptée par le parent. Si ce dernier place son enfant dans une position de confident de ses difficultés sentimentales, s’il le prend à témoin ou se comporte à son égard comme avec un compagnon, l’enfant est alors en prise directe avec une vie amoureuse qui ne le concerne pas directement. Il est directement témoin de ce qui se passe au sein du couple et qui doit normalement lui être étranger : tomber amoureux, espérer, se faire quitter ... Il y a alors une maturation bien trop rapide qui survient trop tôt : cela peut poser problème pour son évolution. A l’adolescence, il arrive que le jeune en vienne à s’interdire d’avoir ses propres aventures amoureuses, pour rester disponible à son parent, pour ne pas le trahir. Le parent est alors là dans la captation de sa libido. Il le squatte, occupe le terrain de l’érotisation qui doit se faire en dehors de lui.
Journal de l’animation : Souvent le parent seul dit sa difficulté à jouer à la fois au père et à la mère. Comment doit-il faire pour y arriver au mieux ?
Maryse Vaillant : Il se débrouille ! Ma réponse est brutale, mais je suis convaincue qu’il n’y a pas de solutions toute faites. De toute façon, il commettra des erreurs comme tous les autres parents. Il fait comme il peut, en évitant toutefois de tomber dans les travers que je viens d’évoquer. Il doit avant tout se comporter comme parent : il n’est ni le copain, ni l’ami(e), ni le confident, ni le complice. Je ne crois pas beaucoup à la répartition entre le père qui représenterait la loi et la mère l’amour : chaque parent est de toute façon dans l’un et dans l’autre. Et puis, de tous les temps, il a fallu que la mère se débrouille pour élever ses gamins. Que ce soit la paysanne au retour des champs, l’ouvrière après sa journée à l’usine, la veuve qui avait encore moins le choix. Je crois que, malgré les apparences, rien n'a vraiment changé. Ce qu'il y a dans la famille nucléaire, c’est qu’en cas de panique ou de trop grosse difficulté, il y a l’autre parent à qui on peut faire appel. La différence dans la famille monoparentale, c’est qu’on souffre de la solitude et qu’on doit l’assumer. Pour autant, on ne peut pas être disponible 24 heures sur 24. On peut et on doit chercher des relais.
Journal de l’animation : Justement, quelle attitude peuvent adopter les professionnels de l’enfance (instituteurs, éducateurs, animateurs ...) pour aider ces familles ?
Maryse Vaillant : Je pense qu’une des pistes essentielles, c’est de faire sortir ces familles de leur isolement : proposer des réseaux tant pour les gamins (qui doivent se retrouver avec d’autres enfants, en colo, en club sportif ...) que pour les parents. C’est bien sûr d’abord le rôle de la famille, des voisins, des copains qui peuvent être là pour garder ponctuellement l’enfant, pour assurer une démarche que la maman ne peut pas faire, mais aussi pour répondre à ses appels quand elle a un coup de cafard ou a besoin qu’on lui remonte le moral. Mais il revient aussi à la société, la responsabilité d’apporter l’aide nécessaire à être parent à ceux qui sont seuls. Attention cela ne concerne pas que les familles monoparentales, mais toutes les familles qui en ressentent le besoin. Cela ne doit pas se passer dans la dramatisation, du type « on va vous aider ». Non, je crois beaucoup à la démarche qui consiste d’abord à demander à ces parents isolés à donner un coup de main. Leur proposer d’être actif, en leur montrant qu’on a besoin d’eux. Cela peut passer par le côté festif. On peut leur dire : « on a besoin de vous pour prépare la fête des écoles », « vous ne pourriez pas nous préparer un gâteau ? » etc ... Puis dans un second temps seulement leur proposer des échanges. « On sait que c’est pas facile d’élever ses enfants » (que ce soit d’ailleurs, à deux ou seul). « Alors on vous propose de venir en parler ». Ces assemblées de femmes qui se réunissent quelque soit leur statut (mariée, en concubinage, avec un compagnon qui passe de temps en temps etc ...) et parlent de tout (d’amour, de leur mec, de leurs gamins, de leurs soucis d’argent), çà a, là aussi, toujours existé que ce soit dans les gynécées grecs ou les hammams turcs ! Mais surtout ne pas cibler la monoparentalité. Je crois qu’il es important de dédramatiser : il n’y a pas péril en la demeure.
(1) « De la dette au don » (1994), « L’adolescence au quotidien » (1997-2001), « La réparation : de la délinquance à la découverte de la réparation »(1999), « Face aux incivilités scolaires » (2001), « Il n’est jamais trop tard pour pardonner à ses parents » (2001)
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°583 ■ 05/07/2001
Journal de L’Animation ■ n°25 ■ janv 2002