Renoux Marie-Cécile - Pauvreté
Pour une rencontre entre famille en situation de grande pauvreté et travailleurs sociaux
Marie-Cécile Renoux est membre du secrétariat national d’ATD quart monde, chargée des question de la famille.
Les 4 et 5 mai 2001, ATD Quart monde réunissait à Paris deux cents personnes lors d'une session rassemblant familles et professionnels sur le thème de l’assistance éducative. Ce dialogue guère imaginable il y a encore deux ans est-il en train de s’instaurer ?
Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des relations entre les travailleurs sociaux et les familles en situation de grande pauvreté?
Marie-Cécile Renoux : Les familles très pauvres nous ont appris que ce n'est que dans la rencontre avec des gens qui leur font confiance, qui ne les jugent pas et qui s'engagent avec elles dans la durée qu'elles peuvent peu à peu se sentir reconnues, développer leurs forces et trouver une place, une utilité. En ce sens, elles attendent des travailleurs sociaux une meilleure connaissance de ce qu'elles vivent, une meilleure prise en compte de leurs aspirations. Très souvent les parents nous disent: "Il faut que les gens comprennent pourquoi on en est arrivé là, s'ils veulent vraiment nous aider"Or nous constatons encore trop souvent :
- le caractère tardif des interventions sociales : faute de travailleurs sociaux en nombre suffisant, trop de mesures d'accompagnement ne démarrent que lorsque la situation familiale est déjà très dégradée et donc éventuellement avec menace de placement, ce qui rend très difficile une collaboration entre les parents et les travailleurs sociaux.
- les incompréhensions multiples entre les familles et les intervenants sociaux, liées pour les unes à une histoire douloureuse qu'elles ne parviennent pas à dépasser, et pour les autres à une méconnaissance de la vie des familles. Cette incompréhension entraîne entre autre, l'impossibilité pour les parents de demander en toute confiance aux travailleurs sociaux leur aide: il n'est pas rare que des parents s'adressant à un travailleur social parce qu'ils sentent le besoin d'être aidés, provoquent ou accélèrent le placement de leurs enfants.
- le manque de travail en partenariat entre familles et professionnels : il est encore fréquent que l'avis de la famille, pour des décisions qui la concernent soit peu sollicité et peu pris en compte. Les décisions prises sont alors souvent inadaptées et en tout cas incomprises ou refusées par la famille. Il est souvent reproché aux familles de ne pas collaborer avec les services sociaux, mais il faut savoir ce que signifie d'être compté pour nul, d'être obligé d'accepter ce que d'autres décident comme bon pour vous.
- l'insuffisance des moyens de la protection de l'enfance qui place les travailleurs sociaux plus dans une position de contrôle pour éviter le pire, que d'accompagnement des familles. Notre crainte aujourd'hui, c'est que soient renforcées les mesures destinées à améliorer les dispositifs de signalement ou de contrôle des familles. Or, cela ne les aide pas à mieux vivre et ne change pas leurs conditions d'existence ni leurs capacités éducatives. L'essentiel est de réunir les conditions et les moyens d'une véritable promotion familiale.
Et puis ce grand nombre de situations qui nous interpellent. Certains placements pourraient être évités si on avait privilégié d’autres solutions. Après le départ de leurs enfants, les parents se retrouvent très seuls : ils se sentent disqualifiés et vivent cette situation comme une injustice. Le travail entrepris avec eux n'est pas toujours celui qu'il faudrait. L'éloignement des lieux de placement ne facilite pas le maintien du lien parents-enfants. Il y a aussi, les atteintes aux règles de droit, comme ces droits de visite et d'hébergement supprimés par les référents ASE, alors que c'est du ressort des magistrats. Les parents s'épuisent alors dans des démarches vaines et inutiles. Un homme disait: "le placement c'est comme une vis sans fin; on s'enfonce de plus en plus jusqu'à ce qu'on ait la tête sous l'eau". Bien sur, il faut se garder de généraliser: il y a bien sûr un bon nombre de professionnels qui respectent la place des parents. Mais, avec la meilleure bonne volonté, ils ne peuvent avec le nombre de familles qu'ils ont à suivre, les soutenir comme ils le souhaiteraient.
Quelles solutions préconisez vous ?
Marie-Cécile Renoux : Il faut sans doute renforcer la formation initiale et continue de tous les acteurs (travailleurs sociaux, mais aussi juges des enfants, avocats), à la connaissance de la grande pauvreté et à la pratique du partenariat avec les familles très démunies. Etablir le partenariat, c’est élaborer ensemble un projet et agir de concert pour le réaliser.En effet, on a constaté que si l’on arrive à fixer des objectifs avec une famille à partir de ce que celle-ci se fixe comme priorité, la confiance peut s’installer et déboucher sur un contrat précis. Cela nous permet ensuite d’aborder avec la famille le problème qui nous semble à nous aussi prioritaire. Ensuite, donner suffisamment de moyens aux professionnels (c'est la responsabilité des conseils généraux) pour leur permettre d’aller à la rencontre des familles, et de construire la confiance dans la durée en respectant le rythme de la famille.
Mais au delà des moyens, ce qu’il faut aussi c’est une évolution des pratiques : faire émerger les potentiels et les capacités des gens, leurs aspirations pour leurs enfants et leur famille. Si on ne repère que les manques, on ignore ce qui est positif. Les professionnels ont besoin d'être soutenus par leurs institutions dans cette volonté de travailler différemment avec les familles. Il est important d'encourager et de soutenir les projets collectifs, qui permettent aux familles de se rencontrer, de s'entraider, de s'appuyer sur l’environnement.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°589 ■ 20/09/2001