Garcette Christine - Parole des travailleurs sociaux

Comment faire entendre la parole des travailleurs sociaux ?

Christine Garcette, l’une des fondatrices de la Conférence Permanente des Organisations Professionnelles nous raconte les conditions dans lesquelles a émergé cette instance. Elle est déléguée du CLICOSS 93 et présidente du MNPCTS, Mouvement National pour la Promotion de la Coordination en Travail Social.
 
Les travailleurs sociaux sont aux premières loges de la dégradation des conditions d’existence des plus fragiles. Pourtant, on a le sentiment qu’ils n’utilisent pas cette place privilégiée pour interpeller le politique ?
Christine Garcette : C’est pourtant une mission conçue comme inhérente au travail social, et ce, dès l’apparition des premières assistantes sociales au début du XXè siècle, d’abord à titre individuel, puis collectivement par le biais d’associations professionnelles.
 Ces  associations étaient destinées à échanger sur les pratiques, offrir un moyen de formation permanente, proposer une forme d’entraide (les professionnelles n’étant pour la plupart pas salariées, elles  ne pouvaient donc bénéficier d’une retraite, et beaucoup terminaient leur vie dans la misère), mais aussi à émettre des messages forts en direction de la société. Ainsi en 1922, se crée « l’association des travailleuses sociales » (ATS) qui regroupe les premières assistantes sociales, surintendantes d’usine, infirmières visiteuses ainsi que les travailleuses présentes dans l’enseignement ménager. La même année, apparaît l’Union Catholique des Services sociaux et de Santé (UCSS), un mouvement catholique comme il en existait dans d’autres milieux professionnels, par exemple à la Poste ou à l’Education Nationale. L’ATS était moins importante en nombre d’adhérents, mais elle était entendue par les politiques de l’époque, car certaines de ses membres travaillaient dans les ministères. Même si les deux associations ne partageaient pas la même conception du travail social,  elles ont affiché l’une et l’autre le même souci de ne pas rester uniquement sur les réalités françaises et de s’enrichir de ce qui pouvait se passer au niveau international : voyages d’étude, contacts avec les services sociaux présents à l’étranger, notamment lors de la première conférence internationale de service social à Paris, en 1928.
Il y a donc une véritable tradition de ne pas rester replié sur sa réalité locale et de s’ouvrir sur l’extérieur, y compris dans le contact avec les décideurs. Les congrès de l’ANAS longtemps  honorés par la présence de responsables politiques,  se terminaient chaque fois par des motions  à l’adresse du Gouvernement, pour exposer ce que réclamaient les professionnels. La réflexion sur le métier s’est donc toujours doublée d’une interpellation du politique, pas seulement sur les questions touchant à la profession mais aussi sur des questions de société.
 Cela s’est ensuite malheureusement  perdu. Dans les années 1970, le service social s’est heurté à une crise existentielle autour notamment de la question du contrôle social dont on l’accusait et les discours politiques des années 1980-1990 ont largement participé à la mise en doute des compétences des professionnels. Le travail social et le politique ont alors montré davantage une méfiance réciproque, qu’un réel souhait de collaboration.
 
Pourtant, ces dernières années ont été marquées par toute une série d’actions qui montrent une réactivation de l’intérêt des professionnels du social pour le politique…
Christine Garcette : Effectivement. Dans les années 1995, nous avons été plusieurs à considérer que les questions qui se posaient ne concernaient pas une seule profession, mais l’ensemble d’entre elles. Il y avait nécessité de réfléchir ensemble sur ce qu’on mettait derrière la notion d’insertion, sur l’évolution des qualifications, sur le rapport aux élus dans le cadre de la décentralisation, autant de questions qui méritaient d’être traitées transversalement.
Mais, il n’y avait pas de lieux pour cela. Plusieurs tentatives ont eu lieu à partir des associations professionnelles existantes, mais au début, les résultats ont été assez frileux. Pourtant les colloques professionnels interrogeaient régulièrement cette question : le congrès de l’ANAS consacré début 1998 à l’articulation entre l’action sociale et l’humanitaire a ouvert des partenariats avec  des associations qui se revendiquent à la fois de l’une et de l’autre. En 1999, Lien Social a organisé son colloque « les travailleurs sociaux doivent-ils être militants ? » où s’est posée la question de savoir si  militantisme pouvait se conjuguer avec  professionnalisme. Parallèlement, il y a eu des réflexions au niveau international, avec notamment le congrès de Jérusalem en 1998 sur la question de la fonction du travail social dans les zones de conflit puis  à Montréal  en 2000 sur la question du travail social face à la mondialisation. On touchait du doigt qu’on ne pouvait rester en dehors de ces questions et se formalisait de plus en plus la question de l’interpellation sur le plan politique, au-delà de nos discours professionnels. Et puis, il y a eu le Forum organisé par l’ANAS et la FNARS, à Poitiers, en 2000, sur les défis de l’innovation sociale. La FNARS recherchait  une parole plus politique, plus militante, en tentant de trouver des interlocuteurs du côté des travailleurs sociaux. De notre côté, en réponse à la critique qui nous était faite dans les années 1997/1998 d’être incapables de créer quoi que ce soit de nouveau, nous avions décidé de recenser tout ce qui se faisait d’innovant dans l’action sociale. Nous voulions prouver que cette innovation existait bel et bien, mais qu’elle ne se communiquait pas suffisamment. Au-delà de la manifestation elle-même, il y a eu en amont un important travail de recensement et d’expertise auquel nous avons associé des professionnels de formations différentes. Cela nous a amené à croiser des regards et à développer une culture professionnelle moins cloisonnée. Cela nous a beaucoup rapprochés. Quand la France a été mandatée pour organiser à Montpellier en 2002, le congrès international sur la formation des travailleurs sociaux, nous avons là aussi créé des liens qui perdurent encore aujourd’hui entre associations professionnelles.
 
C’est donc dans cette mouvance qu’est née la Conférence permanente des organisations professionnelles (CPO) ?
Christine Garcette : les habitudes prises de se voir et d’échanger nous ont amené à nous mobiliser ensemble, comme par exemple sur les questions de formation et de qualification en créant l’association CQFD (« c’est la qualification qu’il faut développer »), non sans heurts, mais au moins il y avait débat ! Il commençait à être temps qu’on affiche un lieu où les uns et les autres seraient ensemble non seulement pour discuter mais aussi pour interpeller le politique. Fin 2002, sont nés parallèlement, les Etats généraux du social, avec pour souhait de créer les conditions d’une parole sur le social entre élus, usagers et professionnels, et la CPO, avec le désir de créer un lieu permanent de veille sociale sur tout ce qui du point de vue du politique, interpelle l’exercice du travail social. La CPO a été créée le 11 octobre 2002, à partir d’un manifeste, avec pour objectif de construire progressivement une pensée commune sur le travail social. Ce n’est volontairement pas une fédération ni une association de plus dans le secteur social, c’est un réseau dont l’animation est répartie à tour de rôle et change tous les deux ans : elle a été assurée par Bernard Cavat de l’association Education et société. Elle l’est actuellement par François Chobeaux des CEMEA. Au départ, cela ressemblait à une grosse machine : chaque communiqué commun devait être accepté par toutes les organisations qui s’y retrouvaient. C’était lourd. Aujourd’hui, les délégués de chaque organisation membre, se retrouvent régulièrement et ont entre autres le mandat de s’accorder sur les déclarations proposées, ce qui facilite la réactivité. La CPO est encore jeune et fragile et pourrait courir le risque de devenir une usine à gaz ou une coquille vide si l’on n’arrivait pas à éviter les conflits de pouvoir ou les préséances, ce à quoi on échappe pour l’instant. L’expérience de la CPO montre que la volonté et la capacité des travailleurs sociaux de notre pays à construire une pensée collective respectueuse des différentes cultures professionnelles, existe bel et bien et qu’elle ne demande qu’à se développer. L’actualité sociale et politique de ces dernières années nous a beaucoup mobilisés. Depuis l’an dernier, une journée d’étude annuelle invite l’ensemble des adhérents de chaque association à se réunir pour réfléchir à des problématiques communes, l’an dernier sur la marchandisation du social, cette année sur la proximité avec les élus.
 

A lire : « Reconstruire l’action sociale » Chauvière M, Belorgey JM, Ladsous J,  Dunod, 2006 (un chapitre est consacré à la CPO)
A consulter : CPO hébergé sur le site des CEMEA : <cemea.asso.fr>

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°844 ■ 14/06/2007