Hénouille Nicole - Droits de l'homme
Nicole Hénouille est militante de l’association « Amnesty International ». Elle est chargée au sein du secteur Loire Océan de relayer la promotion des droits humains. A ce titre, elle est à l’initiative d’interventions dans les établissements scolaires et suit des projets de sensibilisation, telle la Transat en solitaire 6,50 entre La Rochelle et San Salvador de Baïa au Brésil, prévue en septembre 2007 et dans laquelle le navigateur Louis Mauffret portera les messages de l’association (en collaboration avec des classes partenaires).
En quoi le combat pour les droits de l’homme peut-il apporter un mieux-être à l’humanité ?
Nicole Hénouille : Si l’on pouvait ne serait-ce que faire renoncer à une seule condamnation à mort, ce serait toujours cela de gagné ! D’une façon moins lapidaire, j’ai envie de vous dire que cet engagement se donne pour objectif que chacun puisse vivre comme il le souhaite, dans les conditions les moins mauvaises qui soient. Cela en reconnaissant la place des autres. Il s’agit ni plus ni moins d’être traité, et par conséquence de traiter les autres, avec le respect dû à tout être humain. Comme vous le voyez, les droits de l’homme recouvrent un champ très vaste qu’il est difficile de réduire en une définition succincte, sans être réducteur. Ils interviennent partout et tout le temps. Dans les relations internationales, mais aussi dans la vie quotidienne. En fait, dès qu’il y a vie en société et que les êtres humains entrent en relation les uns avec les autres, ils sont en jeu. De la façon dont je vais m’adresser ou me comporter face à mon interlocuteur, à mon voisin, à mon collègue de travail, etc… je peux être victime, responsable ou témoin d’atteintes à ces droits et choisir de réagir ou non.
Justement, cette démarche n’est pas naturelle. Elle nécessite une éducation…
Nicole Hénouille : Amnesty International est souvent invitée à intervenir pour promouvoir les droits humains. Mais, elle ne vient pas apporter la bonne parole. Nous ne nous déplaçons pas avec notre petite mallette en affirmant « on va vous éduquer aux droits de l’homme ». Nous expliquons ce qui va et ce qui va moins bien. Nous travaillons certes sur une prise de conscience, sur une sensibilisation, mais à partir de la demande des personnes. Les démarches d’intervention dans une école maternelle, dans un comité d’entreprise, devant des étudiants d’une école de commerce ou devant des policiers en formation, seront différentes. Nous pouvons aborder respectivement alors les discriminations filles/garçons, la façon dont les employeurs traitent leurs salariés, la situation des droits de l’homme dans un pays où il y a un projet d’action humanitaire ou encore les modalités de garde à vue. Il est difficile de donner des cours de droits de l’homme. Bien sûr, il existe des connaissances à transmettre sur l’origine des droits et des libertés qui ne sont pas venus toutes seules, ou encore sur les différentes textes juridiques. Mais ce qui est le plus difficile, c’est de faire le joint avec la réalité quotidienne. Promouvoir les droits humains ne se limite pas à être capable de citer tel ou tel article de la Déclaration de 1948 ou de la Convention de 1989. L’enjeu est de réussir à transmettre concrètement dans les faits ce qui y est défendu. C’est pourquoi, nous ne pouvons nous limiter à une intervention théorique ou abstraite. C’est aussi pourquoi nous partons souvent du vécu du public à qui nous nous adressons.
Comment un centre de vacances et de loisirs peut-il participer à cette promotion des droits humains ?
Nicole Hénouille : Cette promotion, comme je viens de vous le dire, ne passe pas essentiellement par des cours magistraux, mais se construit au quotidien. Dans un centre de vacances, comme dans une école, cela peut prendre la forme, par exemple, de l’élaboration collective de règles de vie qui respectent les droits de chacun et qui fixent des sanctions qui évitent l’arbitraire et l’injustice. On peut y faire vivre des lieux de parole et d’échange, en faisant attention que cela débouche sur quelque chose de concret (afin d’éviter que les enfants ne s’en lassent en pensant que parler ne sert à rien). Il ne faut pas hésiter à mettre à plat les comportements qui posent problème et les utiliser pour discuter avec les enfants. Cela peut par exemple être le cas pour les relations entre les filles et les garçons, notamment en ce qui concerne les stéréotypes et préjugés de genre. Et puis, il y a ces jeux coopératifs qui favorisent l’entraide et la solidarité qui font pâle figure face à toutes les animations basées sur la compétition et la recherche de la victoire. Ce type de collectivité constitue une micro société qui peut être gérée selon des principes se référant aux droits humains ou en contradiction avec eux. Une fois de plus, c’est bien plus dans ce quotidien que dans de grandes proclamations que l’on peut faire avancer les choses.
Et vous avez l’impression que la cause des droits de l’homme avance ?
Nicole Hénouille : Si on compare avec des périodes plus anciennes, les progrès sont indéniables. Sur du plus court terme, il est difficile de répondre à votre question. Amnesty International pointe précisément chaque année dans son rapport les avancées et les reculs constatés, pays par pays. Il n’y a pas de régression généralisée. Même si des étapes décisives ont été franchies (sur l’abolition de la peine de mort dans de nombreux pays) des avancées sont indispensables sur de nombreux autres droits (protection des enfants, discriminations, droits économiques et sociaux...). Tout ce qui semble être acquis peut être remis en cause à tout moment, comme le montrent les puissances occidentales qui, au prétexte de la lutte contre le terrorisme, tentent de relativiser les droits humains. Or, qu’on soit prisonnier à Guantanamo ou citoyen américain, ils sont indivisibles. Notre combat s’étend sur plusieurs décennies, voire sur plusieurs générations. Nous ne nous attendons pas à un résultat immédiat. On ne connaît pas la fin de l’histoire. Mais cela ne nous empêche pas de faire pression pour que les droits soient universels. Nous constatons d’ailleurs, et cela ne peut que nous réjouir, un afflux de jeunes militants âgés de 18 à 25 ans. Est-ce le signe que notre message et notre persistance portent ses fruits ? Nous aimerions le croire.
On a assisté, ces dernières années à la multiplication des droits spécifiques (droits de femmes, droits des enfants, droits des handicapés, droits de minorités, droits des victimes…) Y a-t-il des droits qui, à votre avis, mériteraient d’être plus défendus que d’autres ?
Nicole Hénouille : il n’est pas possible de hiérarchiser un droit par rapport à un autre, puisqu’ils sont tous interdépendants les uns des autres. La diversité humaine justifie qu’on spécifie et approfondisse plus particulièrement ce qui relève de telle ou telle catégorie de la population. Pour autant, ce n’est jamais d’une manière exclusive, mais complémentaire. Cela est tout autant vrai pour les Chartes, Conventions ou Déclarations qui ne numérotent pas leurs articles en fonction de l’importance de ce qui y est traité, mais suivant l’ordre de leur élaboration. Ce qui est abordé à l’article 40 n’est pas moins important que ce qui est évoqué à l’article 1. Vous avez parlé du droit des victimes. Je voudrais en profiter pour aborder une question qui me tient à cœur. On a largement traité au cours des dernières années la question de celles et de ceux qui sont responsables des atteintes aux droits humains et de celles et de ceux qui en sont victimes. Il y aurait, à mon avis, un sujet qui mériterait d’être plus particulièrement développé, c’est celui du rôle des témoins. Assister passivement à de telles remises en cause est trop souvent considéré comme un geste de neutralité, alors qu’il peut être lu -et c’est ce que je fais- comme un acte de complicité. Faire prendre conscience à tout un chacun sur le fait qu’il est responsable de ne rien faire me semble un thème porteur sur lequel il faudra insister à l’avenir : on ne peut se sentir non concerné au prétexte qu’on ne serait pas directement acteur.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
Journal de L’Animation ■ n°72 ■ oct 2006