Sampeur Odile - Procès d'Angers

« Sortir de l’émotion pour élaborer de nouveaux outils »

Quelles leçons les services du Conseil général du Maine et Loire retire-t-il du procès d’Angers ? Odile Sampeur, sous-directrice enfance jeunesse à la Direction du Développement Social et des Solidarités, nous parle de ce qui a été mis en œuvre et continue à l’être.

Comment votre service a-t-il réagi face à la mise en examen pour agression sexuelle et l’incarcération de parents suivis parfois depuis longtemps en aide éducative ?

Odile Sampeur : Les équipes ont été très choquées. Malgré tout ce que nous avons mis en place, l’onde de choc subi est loin d’avoir produit tous ses effets. Nous avons eu le souci, dès le début, de répondre à la culpabilité ressentie, en permettant à la parole de circuler, en donnant la possibilité à ceux qui le souhaitaient de recevoir un soutien psychologique et en signifiant la solidarité de l’ensemble de l’institution. Nous avons aussi déployé de nombreux efforts pour accompagner les professionnels et les préparer tant à la procédure d’instruction qu’au déroulement du procès d’assises. Ce qui a été très important, c’est la déclaration solennelle du Président du Conseil général aux vœux de début 2005, affirmant sa confiance dans le savoir-faire des personnels, suivie par une conférence de presse donnée à la veille de l’ouverture du procès qui a été l’occasion de réaffirmer cette accréditation des élus. Le cabinet du Président a d’ailleurs réagi à chacune des attaques apparues dans la presse. La solidarité s’est aussi manifestée à travers la présence systématique d’un cadre de l’institution aux côtés de chaque professionnel amené à témoigner. Ce cadre pouvait être, de par sa fonction, directement concerné par la protection de l’enfance ou fort éloigné, comme les chefs de service chargé de l’insertion ou des personnes âgées qui se sont tout autant mobilisés.

 

Les services sociaux ont été à de multiples reprises mis en cause. Reconnaissez-vous avoir eu des dysfonctionnements ?

Odile Sampeur : nous avons été confrontés à cette situation sans y avoir été préparés. Cela s’est déroulé dans notre département, mais nous sommes convaincus que cela aurait pu tout aussi bien arriver ailleurs. Il faut sans doute d’abord clarifier la question en affirmant d’emblée que s’il existait en matière de prévention des outils performants, cela se saurait. Il faut au contraire rester ouvert à toutes les pistes potentielles et ne pas hésiter à se tourner vers de nouveau modes opératoires qui restent à inventer. Cela signifie donc dépasser le cadre de ce procès et de notre seul service et réfléchir à des procédures innovantes. Nous avons ainsi monté à l’initiative du parquet et en collaboration avec le Service pénitentiaire d'insertion et de probation et la Direction départementale de la PJJ un comité de vigilance qui doit répondre aux constats de carence dans la nécessaire liaison entre les procédures. Ainsi, jusqu’à présent, quand un signalement était transmis, on ne savait pas ce qu’il devenait. Il en va de même pour le suivi exercé dans le cadre d’une mesure de sursis avec mise à l’épreuve : l’agent de probation qui suivait un condamné pour agression sexuelle ne saisissait pas les services sociaux quand la personne se trouvait à nouveau en contact avec des enfants. En même temps, cette nécessaire coordination reste délicate : on est dans le paradoxe de la protection des droits personnels face à la protection des mineurs. L’objectif de comité de vigilance est de prendre cas pas cas des situations pouvant provoquer des récidives. Nous avons aussi lancé un appel d’offre portant sur une étude à propos de la pédophilie et de la prostitution d’enfants. Nous voulons mieux connaître cette question pour mieux essayer d’y répondre.

 

Cette recherche d’une meilleure coordination institutionnelle est  sans doute pertinente, mais quid des pratiques quotidiennes en protection de l’enfance ?

Odile Sampeur : le procès d’Angers pose des questions de fond qui interroge le travail social. Nous avons l’habitude de travailler avec des familles ne partageant pas toujours les modes de fonctionnement normalisés. Au nom du refus du contrôle social, nous avons longtemps renoncé à vouloir leur imposer des règles morales attentatoires pensions-nous aux libertés individuelles. Aujourd’hui, nous constatons des dérives insupportables produites par des familles dont les parents sont tous passés par le système de protection sociale. Qu’est-ce que cela signifie quant à la pertinence de nos méthodologies ? On ne peut faire l’économie de ces questions. Cela concerne aussi les convictions très fortes dans notre secteur, quant au lien entre les enfants souffrant de carences ou de mauvais traitements et leurs parents. Il ne s’agit pas ici de revenir en arrière et de dorénavant diaboliser à nouveau les familles, mais de rajouter d’autres lunettes à notre boîte à outil, pour éviter l’aveuglement qui nous fait voir le monde sous un seul angle. Le plan de formation de notre service a ainsi privilégié depuis dix ans l’approche systémique. C’est très bien : cela a représenté un enrichissement dans les pratiques professionnelles. Il ne s’agit pas pour autant de nous enfermer dans une vision unique du travail social. Je pense qu’il y a d’autres approches qu’il faudra développer tel le travail social communautaire que l’on ne connaît pas suffisamment et qui pourrait venir en complément utile au travail individualisé. Travailler sur le quartier, sur le réseau qui se tisse autour de l’enfant et de sa famille constitue une piste intéressante trop peu exploitée à ce jour.

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°759 ■ 30/06/2005