Dubasque Didier - Sarkozy
Rester ferme sur les principes mais être force de proposition
Nicolas Sarkozy recevait le 15 mars des associations inquiètes des attaques contre le travail social. Didier Dubasque, Président l’ANAS nous explique cette ’entrevue.
Pourquoi l’ANAS s’est-elle mobilisée aux côtés d’autres associations et syndicats contre le projet Sarkozy ?
Didier Dubasque : Ce projet de loi intervient après de nombreux signes inquiétants qui montrent non seulement un discrédit du travail social mais aussi une volonté d’enrégimenter les travailleurs sociaux dans une nouvelle logique : contrôler et dénoncer. On retrouve cette ambiance sécuritaire dans l’annonce d’emploi de la ville de Nantes précisant le champ d’action des éducateurs de rue qu’elle veut recruter dans le cadre de sa « mission générale sécurité et tranquillité publique » : « vous exercerez un contrôle social sur la population marginale occupant l’espace public ». Cette tâche était jusqu’à présent dévolue aux forces de l’ordre. Voilà qu’à présent, on demande aux travailleurs sociaux d’exercer une fonction de surveillance : il n’est plus question de se centrer sur l’usager et sur sa demande, mais sur le risque potentiel qu’il constitue ! L’aide qui constitue le fondement de l’action sociale est non seulement stigmatisée, mais aussi pénalisée. Ainsi, la loi sur le contrôle de l’immigration a-t-elle prévu des peines significatives à l’encontre de toute personne susceptible d’avoir aidé au séjour d’un étranger en situation irrégulière en France. Fournir un panier repas à un sans papier ou l’accompagner dans la recherche d’un logement, peut faire encourir, selon l’interprétation de la loi par le magistrat, une amende et une peine de cinq ans d’emprisonnement, et même une interdiction d’activité professionnelle ou sociale de cinq ans. Et puis, il y a eu les attaques successives contre le secret professionnel. Une première restriction, votée suite à la tuerie de Nanterre : l’obligation de dénoncer toute personne en possession d’une arme qui apparaît dangereuse pour elle ou pour les autres. Une seconde mise à mal dans la loi Perben II qui faisait obligation à tout travailleur social de répondre à un officier de police judiciaire dans le cadre de son enquête. Nous avons pu faire amender ce projet par le Sénat : l’enquêteur a gardé néanmoins le droit de venir saisir le dossier social. Nouvelle attaque, celle évoquée dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance : l’obligation de transmettre au maire les coordonnées des personnes connaissant des difficultés sociales. Cela commence à faire beaucoup.
C’est dans ce cadre que vous êtes allés rencontre Nicolas Sarkozy ?
Didier Dubasque : A la suite d’un courrier adressé par l’ANAS, le ministre de l’intérieur nous a convié à une rencontre. Nous avons proposé à d’autres associations de nous y accompagner. Nicolas Sarkozy s’est montré à la fois ouvert au dialogue, mais convaincu de la justesse de ses vues. Son argumentation s’appuie sur certains constats que nous partageons, mais il en tire des conséquences que nous contestons. Ainsi, parle-t-il volontiers de la « panne de l’ascenseur social », des problèmes d’intégration des jeunes issus de l’immigration, des familles monoparentales démunies, du poids de la télévision qui transmet des images de violence, des rapports inégalitaires entre les hommes et les femmes, de l’échec que représente la sanction... Pour lui, il y a échec des politiques mises en œuvre jusqu’à ce jour. Ce qu’il préconise s’inspire d’une logique binaire manichéenne et par certains cotés un peu simpliste : réinvestir massivement les cités, en utilisant largement une politique de discrimination positive, pour offrir de véritables possibilités d’insertion, mais, parallèlement, adopter une attitude implacable à l’égard des jeunes qui ne se saisiraient pas de cette opportunité. C’est le Maire qui doit piloter cette double approche, en disposant pour cela de toutes les informations disponibles. Nicolas Sarkozy veut imposer une coordination entre les différents partenaires, considérant inacceptable que des professionnels « confisquent » les renseignements dont ils disposent et qui peuvent selon lui s’avérer précieux pour faire reculer la délinquance.
Après cette entrevue, quelle est votre position ?
Didier Dubasque : Nous continuons à penser qu’il est dangereux de piloter la question de la délinquance des mineurs à partir non de la protection de l’enfance, mais de la notion de sécurité. Cette approche est cohérente avec la démarche plus générale qui veut faire disparaître tout ce qui dérange (jeunes dans les cages d’escalier, prostituées au coin des rues, mendiants, ...) sans s’intéresser aux raisons de son existence. En tout cas, s’il est sans doute nécessaire qu’une sanction tombe à un moment ou à un autre, ce n’est pas le rôle de l’action sociale ni des travailleurs sociaux de s’investir peu ou prou dans cette voie. La confiance est la condition pour que s’établisse une relation entre le professionnel et le demandeur d’aide. L’action qui est ensuite menée peut permettre à la personne de s’engager dans une dynamique d’insertion qui l’éloigne de la délinquance. Vouloir transformer les travailleurs sociaux en informateurs de police, c’est saborder leur travail. Nicolas Sarkozy n’est pas apparu fermé. Il nous a donné la possibilité d’avancer des propositions pour amender le texte. Nous pouvons opter pour le refus de tout dialogue ou être force de proposition. A l’ANAS, nous allons nous attacher à construire un argumentaire sur le partage de l’information et des modalités de coordination qui respectent la place de l’usager et le principe intangible du secret professionnel. Nous avons conscience des risques d’instrumentalisation. C’est pourquoi, nous resterons vigilants en travaillant avec nos partenaires engagés dans l’action, en demandant que le ministère des affaires sociales dont nous dépendons soit aussi présent lors des discussions.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°703 ■ 01/04/2004