Rosenczveig J-P. & Tubiana M. - Incarcération

Donner aux juges les moyens de leur action ou prendre le risque d’un nombre croissant d’incarcération?

En 1987, le parlement vota une loi réduisant notablement les possibilités d'incarcération préventive des mineurs de moins de 16 ans. Cette mesure, appuyée à l’époque par Jean Pierre Rosenczveig, alors Directeur de l’Institut de l’Enfance et de la Famille, fut prise sous la pression d’un certain nombre de magistrats relayés par des personnalités telle Françoise Dolto ou, le Dr Alexandre Minkowski. Le constat fait est clair : les juges abusaient de la détention provisoire. Alors qu’elle aurait du être la fin ultime d’un processus, elle était trop souvent une solution de facilité. Quinze ans après, sous la pression de la montée du sentiment d’insécurité, le nouveau ministre de la justice, Dominique Perben, vient au mois d’août dernier de faire voter une loi qui comporte un volet rétablissant, sous certaines conditions, cette incarcération préventive. Deux acteurs de premier plan nous ont donné leur point de vue : Jean Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny et Michel Tubiana, Président de la Ligue des Droits de l’Homme.

 Quels étaient pour vous les avantages et les inconvénients de l’ancien dispositif ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Un certain nombre de voyants s’étaient allumés comme autant de violations de l’esprit de l’ordonnance de 1945 : les premiers contacts avec la justice se faisaient au travers de la pénitentiaire, le suivi en milieu carcéral était quasiment inexistant, la sortie non préparée... la prise en charge éducative qui était sensée être prioritaire ne l’était plus. Impulsée par des gens de gauche cette restriction à la détention provisoire des 13-16 ans notamment fut votée sous Albin Chalandon, ministre de la justice de droite qui se réjouissait d’« une petite révolution pour le droit pénal ». Le législateur ne s’est pas contenté de faire de chaudes recommandations. Il a interdit l’incarcération provisoire de mineurs de moins de 13 ans possible jusqu’alors, en cas de crime, (mesure d’ordre public pour éviter que le jeune ne s’échappe ou fasse disparaître des preuves), mais pas de condamner à de la prison (ce qui est du niveau de la sanction). Justifiée en théorie tout cela était incompréhensible pour le jeune. La deuxième mesure a consisté à limiter les possibilités en la réservant au seul domaine criminel pour les 13-16 ans et les durées d’incarcération. Le vol simple n’autorisait  plus la détention provisoire même chez le récidiviste !

Michel Tubiana : Le dispositif adopté en 1987 a permis de mettre un terme à l’incarcération des mineurs. C’était une bonne chose, car je ne crois pas que la prison puisse représenter un quelconque moyen de résoudre les problèmes de la délinquance. On peut bien sûr penser que dans certains cas, pour les jeunes les plus durs, cela pourrait les replacer dans un cadre. Mais cela ne concerne qu’une poignée de mineurs qui se compte sur les doigts de la main. Et on ne fait pas une loi pour une infime minorité quand 99% des jeunes ne relèvent pas de cette logique.

 

Que pensez-vous du nouveau dispositif ?

Jean-Pierre Rosenczveig : la possibilité d’incarcération pour les 13-16 ans a été réintroduite non pas comme conséquence du passage à l’acte délictueux, mais comme sanction éventuelle d’un non-respect  aux obligations d’un contrôle judiciaire. Si, pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets j’ordonne que le jeune n’aille pas dans tel endroit, ne rencontre pas telle personne, fréquente l’école ou suive une psychothérapie, je dois être obéi. Le juge pouvait déjà ordonner un contrôle judiciaire pour un mineur âgé de 13 à 16 ans, mais devait attendre l’audience pour réagir en cas de non –observation. Sur un point essentiel, l’obligation de résider en centre éducatif « fermé » la sanction pourra tomber très rapidement. On se situe dans des hypothèses de jeunes en pleine escalade ou répétition d’actes délictueux dangereux pour eux et pour autrui. Un rapport de force fait de rigueur et d’écoute avec des jeunes qui souvent, jusqu’ici n’ont pas été confrontés à une autorité responsable.  Certains rejettent cette solution par principe. C’est de l’angélisme. Le risque est grand de devoir très vite incarcérer ce même jeune pour une durée bien supérieure, quand il aura fait une bêtise supplémentaire. On peut craindre bien sûr, là aussi un abus du contrôle judiciaire prenant la forme de conditions draconiennes qui ne feraient que précipiter le passage à l’acte d’un  jeune soucieux de tester son juge. Il faudra être prudent et soucieux de la capacité du jeune d’entendre ce qui lui est imposé ; pour cela il faudra donner du sens aux décisions du juge pour que le jeune y trouve de l’espoir par-delà la contrainte.  Mais il faudra être capable de révoquer ce contrôle judiciaire s’il n’est pas respecté, car la pire des choses serait tant pour la police, que pour les éducateurs, les parents ou les jeunes, de ne pas appliquer ce qu’on a menacé de faire.

Michel Tubiana : On ne peut séparer ce dispositif de l’ensemble de la loi Perben qui stigmatise la jeunesse en la transformant en une classe dangereuse. Si l’on veut aborder la question de la méthode pour réagir à la délinquance, ce qui nous est proposé là est bien loin des mesures éducatives souhaitables. On est plutôt dans la mise à l’écart. Bien sûr, le régime appliqué aux mineurs n’est pas encore celui des adultes, mais on s’en rapproche. Limiter l’incarcération au seul cas de violation du contrôle judiciaire est un leurre. Dire à quelqu’un qui n’a  pas encore la maturité nécessaire qu’il doit respecter telle ou telle condition, sous peine d’incarcération, tout en le laissant à la rue et ne lui donnant pas les moyens de faire autre chose, c’est programmer à l’avance cette incarcération. Le risque que je vois dans cette possibilité accrue de détention préventive entre 13 et 16 ans, c’est d’assister à une généralisation de cette pratique qui deviendrait alors une solution de facilité.

 

Existe-t-il d'autres dispositions qui constitueraient une alternative à cette incarcération préventive ?

Jean-Pierre Rosenczveig : je pense qu’il faut combattre l’idée d’alternatives à l’incarcération. L’incarcération s’impose dans certains cas : trouble grave à l’ordre public, risque de renouvellement ou de pression sur les témoins, etc ... En fait l’alternative ne s’oppose pas tant à l’incarcération, mais au retour dans le quartier. Il faut que nous disposions encore plus de lieux (établissements, familles d’accueil ...) susceptibles de recevoir des jeunes qui ayant fait une bêtise n’ont pas encore été jugés et qu’on n’a pas estimé nécessaire d’incarcérer. Il ne faut pas que sa liberté le replonge dans la délinquance. Le plan élaboré au CSI de janvier 1999 d’ouvrir cinquante centres de placement immédiat et cent centres d’éducation renforcés répondait à cette demande et appelait le secteur de la protection judiciaire à se mobiliser. Depuis 10-15 ans, un consensus s’est fait autour de cette nécessité de disposer d’environ un millier de places d’accueil pour les jeunes en grande difficulté qui ne peuvent pas rentrer chez eux, mais qui n’ont pas leur place en prison. Il y a en la matière une continuité entre les différents ministres de la justice qui se sont succédés : Toubon, Guigou, Le Branchu et Perben qui explique actuellement que ses centres fermés n’auront pas de barreaux !. La question qui finalement se pose est : quelle place donner à cet éloignement dans l’itinéraire éducatif d’un jeune dit délinquant. Si on se contente de le considérer comme une fin en soi, on va à l’échec. Il doit s’agir de permettre au jeune d’exister enfin pour lui pour revenir  chez lui  mieux à même de refuser les sollicitations du quartier. L’éducation ‘est pas exclusive de fermeté ; l’autorité du parent ou du juge sont là non pas pour punir mais pour protéger ….

Michel Tubiana : Poser la question des alternatives à l’incarcération préventive, c’est inévitablement évoquer les moyens mis en œuvre pour offrir d’autres solutions. Or, les services chargés de les appliquer sont débordés. Les efforts qui sont consentis les concernant sont très loin d’être suffisants. De toute façon, je pense que ce n’est pas avec une loi que l’on pourra régler la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous vivons dans un monde imparfait dont nous ne pourrons jamais éliminer tous les défauts. Et la logique répressive qui a inspiré la loi Perben ne correspond pas à l’idée que je me fais de la société où je veux vivre.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°33 ■ nov 2002