Rosenczveig J-Pierre - Educateurs

« Educateurs revendiquez et défendez votre travail ! »

Que pensez-vous des intentions du nouveau gouvernement ?

Jean Pierre Rosenczveig: Le gouvernement nous propose une vision négative du travail social qui se résumerait à une approche socio-policière. On s’apprête ainsi à demander aux éducateurs de la PJJ, de vérifier l’application des mesures décidées par les futurs « juges de proximité », sans qu’un véritable temps ne soit donné à l’action éducative. On veut rabaisser la sanction pénale à 10 ans (au lieu de 13 actuellement) et même d’admettre dès cet âge dans les centres fermés. Pour tous les professionnels comme pour les parents, c’est bien dans un autre registre (mobilisation parentale, prise en charge sociale, médicale ou psychiatrique selon les cas, recherche d’internat scolaire, prévention en général.) que des réponses doivent être recherchées. Un pays qui fait de ses enfants des délinquants et n’a pas d’autres réponses que pénales à apporter à leurs comportements doit s’inquiéter pour lui ! Le gouvernement envisage aussi la création de centres fermés. On aurait pu concevoir de remplacer les quartiers des mineurs actuels par une prison moderne et équipée décemment. Mais non, on rajoute un échelon intermédiaire entre les Centres d’éducation renforcée et autres Centres de placement immédiat actuels et les maisons d’arrêt. On se dirige tout droit vers la réouverture des maisons de correction crées en 1922. Mais le plus important à noter est quand même le démantèlement auquel on assiste de la justice des mineurs. Cela a commencé par le développement de la troisième voie par le parquet, puis le pouvoir d’incarcération donné au juge de la détention et des libertés concernant les moins de 18 ans. Demain, 320 juges de proximité pourront prononcer des sanctions pour les mineurs, sans que leur action ne soit articulée ni avec les juges des enfants ni avec l’action éducative.

 

Quelles sont les conséquences qui risquent d’advenir à la suite de telles mesures ?

Jean Pierre Rosenczveig: on est en train de vider les ordonnances de 1945 et de 1958 de leur substance. Jusqu’à aujourd’hui, la justice des mineurs s’appuyait sur la conviction qu’avant d’être dangereux, l’enfant devait être considéré comme en danger. L’idéologie libérale bouscule tout en considèrant que devenir délinquant est un choix : il faut donc contraindre le jeune à décider de prendre une autre orientation. Ce comportementalisme se refuse à s’attaquer aux causes d’attitudes qui ne se posent pas dans n’importe quel milieu social, mais qui caractérise plus particulièrement les jeunes issus des couches les plus défavorisés de la population. On est en train de passer insensiblement de l’enfant délinquant au délinquant enfant. On va multiplier les enfermements et aboutir à une fabrique de récidivistes qui n’auront connu que le registre répressif. Ces jeunes s’inscriront dans une rébellion permanente. Tout le travail éducatif qui est patiemment mené aujourd’hui et qui porte ses fruits est remis en cause.

 

Quelles réactions doivent avoir les professionnels de la protection de l’enfance ?

Jean Pierre Rosenczveig : la majorité parlementaire permet au gouvernement de faire voter les lois qu’il voudra. Pourtant ses projets sont en pleine contradiction avec le rapport du Sénat qui fait preuve d’une vraie réflexion en soulignant l’importance de la réponse éducative, tout en rappelant que celle-ci ne doit pas éviter ni la démarche contenante, ni autoritaire quand cela est nécessaire. Le Sénat voulait substituer des centres fermées aux prisons actuelles, il voulait garantir une cohérence judiciaire et éducative par l’instauration d’un « fil rouge ». Cette contradiction entre ces instances de même couleur politique montre la différence entre une démarche vraiment sérieuse et une réponse prise dans l’urgence et marquée par l’excès idéologique. D’autant plus qu’on est là bien plus dans l’effet d’annonce que dans des propositions très concrètes et précises. Il s’agit plutôt d’habituer les esprits et de les préparer aux mesures à venir. Il faut donc essayer d’obtenir que les travaux parlementaires ne se fassent pas dans l’urgence pour permettre au débat d’avoir lieu. Le respect de la procédure peut permettre qu’une plus grande sagesse émerge. Quant aux éducateurs, ils doivent affirmer leur identité professionnelle et ne pas avoir honte de leur travail. Tous les travaux d’évaluation de ces dernières années ont montré que la protection judiciaire de l’enfance a joué son rôle. Il faut entrer dans un travail pédagogique en direction de l’opinion publique qui est actuellement acquise à une réponse répressive (c’est le sens du vote massif pour un programme allant dans ce sens). Et puis, il faut renvoyer aux politiques leurs responsabilités. Ainsi c’est Albin Chalandon, ministre de droite de la justice qui a suspendu tout recrutement au sein de la PJJ : en Seine Saint-Denis, nous en sommes encore à 206 éducateurs contre 252 en 1997. Ce sont les Présidents des Conseils généraux (souvent aussi députés) qui sont responsables des services de Prévention spécialisée, aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Ce sont les Maires qui sont encore trop nombreux à refuser l’accueil dans leurs services des Travaux d’Intérêt Généraux. Nous devons avoir un discours offensif et non défensif. Nous travaillons pour les années à venir, car les mois à venir risquent d’être assez sombres. C’est aussi pourquoi, les professionnels de l’enfance en danger ne doivent pas rester seuls et chercher à se regrouper dans les associations et les syndicats afin de réagir collectivement en de défendre et faire entendre leurs convictions.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°630 ■ 18/07/2002