Kuhn Mireille - CER Strasbourg

« Veiller à la faisabilité et à l’efficience »

Mireille Kuhn a été chargée par les PEP 67 de préparer l’ouverture d’un CER de jeunes filles. L’enjeu d’un tel projet justifie pleinement toute une série de précautions.

Quelle est la genèse de votre projet ?

Mireille Kuhn : Enseignante pendant deux ans dans une classe relais, j’ai été confrontée à des adolescentes qui pour être moins nombreuses que les garçons n’en sont pas moins en grande difficulté. Leur violence, leur manque de repères, leur dépendance au code des quartiers font qu’elles sont confrontées à une problématique complexe. Administratrice, par ailleurs, de l’association des Pupilles de l’Enseignement Public 67 qui intervient déjà dans deux domaines (les classes découvertes et centres de vacances ainsi que le médico-social : nous gérons l’institut de rééducation pédagogique les « mouettes du Rhin »), j’ai contribué à l’élargissement de notre réflexion sur notre troisième secteur d’action jusque là peu exploité (l’accompagnement de l’enfant et de sa famille) : la question des jeunes filles en grande dérive. Nous avons fait très vite le même constat que nos partenaires éducateurs, directeurs d’internat de filles, PJJ : nous avons des lieux de vie, des familles d’accueil, des foyers éducatifs, mais rien en ce qui concerne la prise en charge d’adolescentes en situation de grave délinquance. Notre souci commun de rechercher des solutions est venu à point nommé face à la commande gouvernementale de création des CER. Nous avons fait le choix de produire une réflexion commune et de favoriser un projet fédérateur en cernant bien la problématique et surtout en faisant attention de ne pas privilégier un petit bout de la lorgnette. Notre première réunion de travail, qui a eu lieu en novembre 2002, a réuni 3 directeurs de foyer d’hébergement de jeunes filles, des éducateurs, des représentants de la PJJ, des services départementaux et du conseil d’administration des PEP 67. Nous nous sommes retrouvés ensuite régulièrement et avons abordé tous les aspects du projet : qui veut participer, pour quoi faire, avec quel public, avec quels adultes, pour quel contenu, dans quel cadre etc ... Aujourd’Hui, notre projet est mûr. Nous devons passera au mois de juin prochain en commission de validation. Ouverture prévue : janvier 2004.

 

En quoi consiste justement votre projet ?

 Mireille Kuhn : Nous accueillerons entre 6 et 8 jeunes filles de 13 à 17 ans qui sont engagées dans une spirale de destruction. Nous savons pertinemment bien que ce n’est pas en 3 ou 4 mois que tout va être réglé pour elles. C’est pourquoi, nous avons fait un choix : celui de travailler avec elles sur leur représentation de la féminité et sur la reconquête de leur corps. Nous avons fait le constat que ces jeunes ont le plus souvent une image extrêmement dégradée d’elles-mêmes. Elles malmènent leur corps qui a été maltraité, voir violenté. Ce délaissement est souvent le reflet de l’abandon dont elles ont été victimes. Elles essaient de trouver leur place en se masculinisant et en entrant des fonctionnements de caïdisme. Nous écartons d’emblée toute démarche normative ou de modélisation. Ce qui compte, ce n’est pas qu’elles correspondent à ce que les autres attendent d’elles, mais de leur permettre d’accepter ce qu’elles sont. Pour accomplir cette démarche, il faut qu’elle fasse la démarche d’un retour sur elle-même, sur le regard qu’elles se portent ainsi que sur celui des autres. Notre support sera l’art du cirque : jonglerie, musique, clownerie, avec, évidemment, une attention particulière portée sur les costumes (accepter de porter un vêtement autre que celui que l’on porte habituellement, ne pas endosser un accoutrement qui n’est pas le sien etc...), le maquillage et l’esthétique. Nous travaillerons ainsi sur l’endroit et l’envers du décor. Tout cela avec l’aide d’une thérapeute.

 

L’actualité récente a été émaillée d’un certain ombre de dérapages, quelles précautions avez-vous prises pour éviter toute dérive ?

Mireille Kuhn : Il nous a semblé important de nous entourer d’un certain nombre de dispositifs d’aide et de soutien. Nous avons  d’abord mis en place un comité de pilotage qui se réunira deux fois par an. Tous les trimestres, se tiendra une commission de suivi regroupant la PJJ, les services du département, les directeurs d’internat de jeunes filles ainsi que le directeur de la structure (elle pourra se réunir à tout moment à la demande de l’un de ses participants). Enfin, une réunion mensuelle se fera avec la direction départementale de la PJJ pour aider à faire face aux problèmes au fur et à mesure qu’ils se présenteront. En ce qui concerne le directeur de notre CER, nous avons eu une vingtaine de cv qui nous ont été adressés suite à la petite annonce publiée dans Lien Social. A côté de vrais professionnels, nous avons reçu des candidatures assez curieuses. Notre exigence porte sur une expérience préalable minimale en hébergement de jeunes filles et une capacité au travail de partenariat. La qualification est quelque chose d’essentiel. Mais nous sommes aussi attentifs à la personnalité. Ce qui permet la rencontre avec un(e) jeune, c’est non seulement la fonction exercée, mais aussi la motivation, la passion et les qualités humaines. Le diplôme n’est pas le garant de tout. Nous recherchons un  juste équilibre entre la formation reçue et la compétence de terrain. Ce qui est vrai pour le directeur l’est autant pour les éducateurs. Autre préoccupation, trouver un lieu d’accueil assez grand pour recevoir l’hébergement et les activités, qui soit suffisamment éloigné de Strasbourg pour permettre une prise de distance avec les quartiers, mais pas trop quand même pour ne pas rendre difficile d’y travailler (ce qui serait un obstacle à la qualité du recrutement).

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru  ■ 2003