Bourdaud Helena - Alcoolisme

La prévention passe avant tout par la recherche du bien-être

Animatrice de prévention au Comité Départemental de Prévention de l’Alcoolisme et des Addictions de Loire Atlantique

L’Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme est l’héritière de la Ligue contre l’alcoolisme, qui fondait son action dans une logique de vertu, prônant avant tout l’abstinence. Où en êtes-vous par rapport à cette approche ?

Héléna Bourdaud : notre discours a effectivement beaucoup évolué ! Nous ne sommes plus du tout dans cette recherche de l’abstinence. Bien au contraire. Nous sommes  convaincus que l’alcool peut faire partie des plaisirs : partager à table une bonne bouteille de vin ou bien  se retrouver autour d’un verre avec des amis. Nous rejetons toute démarche moralisatrice qui consiste à dire « boire, c’est pas bien ». Notre objectif n’est pas d’essayer de bannir toute consommation, mais surtout d’aborder le rapport que les gens entretiennent avec le produit et à quel moment ils passent dans une consommation problématique. Cette évolution a eu lieu au cours des  vingt dernières années. C’est très lié à la professionnalisation de la prévention.

 

En quoi vous différenciez-vous des associations d’anciens buveurs (Croix d’or, Alcooliques anonymes etc ...) ?

Héléna Bourdaud : Nous n’intervenons pas sur les mêmes ressorts. Il m’est arrivée récemment, lors d’une animation, qu’on  me demande de raconter par où j’étais passée quand j’étais alcoolique. Ce qui n’est pas mon cas. Il n’est pas nécessaire d’avoir été alcoolique pour intervenir comme actrice de prévention. Les anciens buveurs apportent le témoignage de leur vécu, de leur itinéraire face à l’alcool. Leur message consiste à mettre en garde : « ne passez pas là où je suis passé ». Mais je ne crois pas que l’expérience malheureuse de certains puisse forcément servir à éviter à d’autres de tomber dans le même travers. Le réflexe le plus fréquent est au contraire de refuser de penser que ces gens-là auraient quelque chose à voir avec nous. C’est un mécanisme de défense que nous avons tous et qui consiste à penser que cela ne peut arriver qu’aux autres. On ne peut s’identifier à quelqu’un qui est en souffrance. En final, la conviction qui l’emporte, c’est, paradoxalement, que tout cela ne nous concerne pas. En outre, cette démarche s’appuie, avant tout, sur l’émotionnel. Là non plus, je ne suis pas convaincue de la pertinence et de l’efficacité de ces campagnes d’affichage qui sont parfois très violentes et culpabilisantes. Pour autant, il arrive que l’ANPA fasse intervenir ces témoignages dans certaines de ses actions de formation. Cela peut apporter l’expérience d’un vécu, mais cela ne suffit pas en soi.

 

Quels sont donc, alors, vos modes d’intervention ?

Héléna Bourdaud : Il y a d’abord ce que nous faisons directement en direction des publics qui assistent à nos sessions d’animation et d’information. Nous proposons ensuite de l’accompagnement pour des personnes qui souhaitent intervenir dans la prévention (ceux qu’on appelle les adultes relais). Cet accompagnement peut être méthodologique pour aider par exemple au déroulement d’un projet ou à la mise en place d’actions. Il peut aussi relever de la formation de base en alcoologie afin de donner un certain nombre de contenus et ainsi apporter des compétences. Nous abordons bien sûr les connaissances générales sur l’alcool, nous invitons aussi les personnes à s’interroger sur leur rapport au produit. Cela est essentiel pour éviter justement toute dérive moralisatrice. Nous proposons ensuite tout un travail sur ce qu’est la prévention. L’idéal, c’est que nous puissions suivre le cheminement de la démarche engagée pour l’accompagner dans une logique de continuité.

 

Votre approche semble très voisine de celle l’Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie...

Héléna Bourdaud : Effectivement, nous sommes sur les mêmes créneaux. D’ailleurs l’ANPA est devenue en 2003  ANPAA. Le deuxième A que nous avons rajoutée à notre sigle correspond à la notion d’addiction. Cela fait longtemps que nous souhaitions ce changement. La sectorisation des produits et des problématiques est restée pendant longtemps la position dominante. C’est vrai qu’on ne boit pas de l’alcool comme on fume du cannabis, il y a des différences. Mais il y a quand même une base commune à tous les comportements qui consistent à consommer des produits psycho-actifs. Sur Nantes, nous travaillons étroitement avec l’association Le Triangle qui est un centre d’aide aux usagers de drogue (c’est un centre méthadone), mais qui agit également dans la prévention des toxicomanies..  Nous avons une convention de partenariat qui lie nos deux associations car nos modes d’approche sont parallèles. Nous portons le même regard sur la prévention : nous intervenons plus autour des comportements que du produit. De toute façon, cette collaboration est rendue inévitable par la poly-consommation de plus en plus courante chez les jeunes qui allie alcool cannabis et tabac.

 

Justement, y a-t-il un comportement concernant l’alcool qui serait spécifique aux jeunes et qui les différencierait des plus âgés ?

Héléna Bourdaud : ce qui domine chez les jeunes, c’est l’alcool festif. C’est une consommation de week-end. Ils se retrouvent entre amis, dans les bars, dans les discothèques. Chez les adultes, on retrouve plus facilement des consommations régulières de vin à table ou le soir, en rentrant du travail, pour se décontracter (les jeunes iront plutôt chercher la décontraction dans le cannabis). Cette consommation festive peut très bien rester en deçà ou aller au-delà de ce qui relève du problématique. La limite est bien dans cette définition que nous aimons tout particulièrement pour définir l’alcoolisme : avoir perdu la liberté de s’abstenir d’alcool. Quand on fait la fête tous les week-ends et qu’on pense qu’on ne peut se passer d’absorber de l’alcool jusqu’à l’ivresse, cela pose quand même question. Cela ne signifie pas que les personnes qui en sont là soient alcooliques ou vont le devenir. Mais cela relève simplement d’une consommation abusive. Ce qui doit, au minimum, interpeller et mérite qu’on s’y intéresse. C’est possible que ce comportement en reste à ce simple stade, la personne n’ayant pas de problème particulier ultérieurement.  Mais cela peut aussi devenir un moyen pour régler les problèmes que l’on rencontrera inévitablement dans la vie. Pour autant, il n’existe pas de signes distinctifs permettant de prévoir ce qui va advenir. Il n’y a pas un alcoolique type. Il y a autant d’alcoolismes qu’il y a de malades alcooliques. Cela dépend du parcours de vie de chacun.

 

Quel est le discours qu’il faut éviter de tenir à un jeune quand on veut aborder la question de l’alcoolisme et comment faut-il lui en parler ?

Héléna Bourdaud : A la base, il faut surtout éviter tout discours moralisant, car de toute façon il ne l’écoutera pas. Et puis, il faut quand même dire que c’est assez hypocrite de la part des adultes qui sont eux aussi dans une consommation le plus souvent complètement banalisée, de faire de la morale ! Il ne faut pas non plus entrer dans un  cours magistral. Même si on nous demande souvent de le faire, à nous animateurs de prévention : « expliquez-leur,  que l’alcool c’est dangereux ». Seulement nous ne sommes pas là pour cela. Nous cherchons plus à entrer dans un dialogue avec les jeunes  pour aborder avec eux leur propre mode de consommation et là où ils en sont. Au travers de différents outils, de jeux, de groupes de parole... Cela permet de débattre sur ce qui nous semble important : qu’est ce qui fait qu’on consomme ? Qu’est-ce qu’on recherche dans l’alcool ? Notre action s’adresse à des groupes. On ne rentre pas dans les questions individuelles. Il s’agit plutôt d’amener les jeunes que nous avons en face de nous à se questionner sur un produit le plus souvent tabou, au point qu’il n’est pas toujours facile de reconnaître les vrais rapports qu’on établit avec lui (et qui sont parfois compliqués). Lorsque nous arrivons avec notre étiquette « prévention de l’alcoolisme », les jeunes s’attendent à ce que nous tenions un discours très moralisateur. Quand ils s’aperçoivent que nous ne  sommes pas là pour leur dire ce qu’il faut faire ou pas faire, mais bien plus pour échanger avec eux, je vous assure que la plupart du temps, cela passe bien. Cela nous permet de répondre aux questions qu’ils se posent, et notamment de démystifier les nombreuses idées reçues et les fantasmes qui subsistent autour de ces questions.

 

Pourriez-vous intervenir dans le secteur de l’animation ?

Héléna Bourdaud : Tout à fait. Nous intervenons auprès des foyers de jeunes travailleurs, des centres sociaux, des collèges, des lycées et même des primaires. Cela se passe le plus souvent sous la forme de débat. Mais, si telle est leur demande, nous pouvons aussi proposer aux jeunes de mener des actions de prévention en direction de leurs pairs : nous les accompagnons alors pour monter un projet ou nous construisons ensemble des outils, à charge pour eux de les utiliser auprès des autres jeunes. Cela passe bien mieux que lorsque ce sont les adultes qui le disent. Cela pourrait parfaitement se faire dans les clubs de jeunes ou les centres aérés.  Nous disposons de supports que nous pouvons adapter aux différents âges. Nous n’avons pas de recettes toutes faites, ni n’animation type que l’on pourrait proposer à tout le monde. Quand nous sommes contactés pour intervenir, nous construisons avec les personnes qui nous ont sollicité le projet. Nous prenons le temps de préciser quelle est la demande exacte, ce qu’on attend réellement de nous, à qui on s’adresse, quelle est l’attente du public que l’on veut toucher, qu’est-ce qu’on pense le plus judicieux de lui transmettre, qu’est-ce qu’on va leur proposer et comment on va s’y prendre. Il est important de respecter ces étapes et de faire le point sur toutes ces questions avant d’agir sur le terrain. Sinon, on risque de tomber à côté des vrais besoins. Maintenant, c’est vrai que nous préférons un travail sur le long terme, car lorsque notre action se limite à deux heures par exemple, l’échange reste surtout centré autour du produit. Même si de l’information va passer, ce n’est pas suffisant. La qualité du travail de prévention dépend de la durée qu’on peut lui consacrer. Cela permet d’aborder la question de la santé au sens large : bien-être, mal-être, comment se sentir bien avec soi-même et bien dans ses relations avec les autres. C’est là l’essentiel : la meilleure façon de se prévenir contre les toxicomanies, c’est d’être bien dans sa peau. C’est donc important d’aborder la question des compétences psycho-sociales.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°37 ■ mars 2003

 

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