Cosson Anne-Brigitte - Avenir des AS

dans Interviews

Ne rien lâcher sur nos valeurs

Quelles sont les valeurs qui transcendent la profession d'assistant de service social, depuis bientôt cent ans ?
Anne-Brigitte Cosson : je n'ai pas l'impression que ces valeurs aient beaucoup évolué depuis tant d'années. Notre profession affiche les mêmes ambitions humanistes : la recherche du bien-être des populations accompagnées, l'équité, la justice sociale, l'accès de toutes et de tous aux droits, la prévention etc ... C'est autant l'assistante sociale que la présidente de l'ANAS qui s'expriment là, l'une comme l'autre vivant et défendant ces valeurs sur le terrain. Quand notre association est née, en 1944, il ne s'agissait pas seulement de défendre des intérêts corporatifs. Ce dont il est question pour les militantes qui se fédèrent alors, c'est aussi et avant tout de porter haut et fort leur vision d'un monde plus juste. Les assistantes de service social de l'époque n'avaient pas froid aux yeux, revendiquant clairement qu'elles étaient d'abord au service des personnes qui s'adressaient à elles, avant de se sentir dépendantes des employeurs qui les rémunéraient. Elles n'hésitaient pas alors à s'opposer à leur employeur. J'en veux pour preuve l'exemple de cette professionnelle travaillant, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, dans une mairie communiste refusant de livrer du lait aux enfants d'une école confessionnelle et réservant ce service à ceux de l'école publique. Condamnant publiquement cette iniquité dans le traitement des enfants, cette assistante de service social n'hésita pas à se mobiliser pour trouver un camion et faire livrer du lait à ceux qui n'en bénéficiaient pas, rétablissant ainsi ce qui lui semblait le plus juste. Elle ne s'était pas contentée de dénoncer un système inéquitable à ses yeux, elle avait réussi à y pallier. Cet exemple vient illustrer l'article 7 de notre code de déontologie qui revendique l'autonomie face à l'employeur dans la forme et les moyens de l'intervention et la décision de poursuivre ou non l'action engagée. Aujourd'hui, cette dimension militante est sans doute moins présente, les idéaux de justice et d'égalité se heurtant à un contexte bien différent.
 
Justement, à quels défis se trouve confrontée aujourd’hui la profession, face aux dérives néo-libérales que connaît notre société ?
Anne-Brigitte Cosson : les mutations contemporaines sont doubles pour ce qui nous concerne. Il y a d'abord l'infiltration du secteur marchand dans l´action sociale et, son corollaire, l'obsession d'une évaluation quantitative qui se donne pour objectif de mesurer la rentabilité du travail social. Comme le privé tente de s'emparer de domaines d'activité susceptibles de rapporter de l'argent, on exige du service public ou des associations à but non lucratif de démontrer qu'ils peuvent être aussi efficace et concurrentiel. Nous n'avons jamais été habitués à justifier de notre utilité, tant cette notion est subjective. Notre action auprès des personnes en difficulté peut sembler avoir réussi à court terme, alors que celles-ci replongent un plus tard. Inversement, elles peuvent stagner dans un premier temps et s'en sortir ensuite. Sans compter que bien d'autres facteurs que notre seule intervention peuvent peser sur leur réussite ou leur échec. Tout cela est connu de tout praticien de terrain, pas des technocrates qui élaborent des grilles d'évaluation sensées mesurer des résultats quantifiables, en proportion du temps passé. En nous pliant aux obsessions du chiffre présentes dans certaines de nos institutions, nous prenons le risque de nous décrédibiliser aux yeux des populations que nous accompagnons. D'abord, parce que happés par une logique technocratique aux antipodes de nos valeurs, avec ses plateformes téléphoniques prenant des rendez-vous ne devant pas dépasser la demi-heure et devant déboucher sur des résultats immédiats comptabilisables, nous ne serons plus disponibles aux vraies demandes et problématiques. Ensuite, parce que les logiciels élaborés pour contrôler notre travail se feront toujours plus prégnants et envahissants, faisant de nous des travailleurs socio administratifs avant tout soucieux de remplir des cases, de répondre à des protocoles et de faire de l'abattage en mesurant le temps passé avec chaque usager.
 
Est-ce donc ce à quoi est destinée l'assistante sociale dans les années à venir ?
Anne-Brigitte Cosson : il y a toujours eu une résistance de la profession face à la volonté de la faire rentrer dans le moule qu'on voulait lui imposer. Un facteur nouveau intervient, toutefois, celui de la précarisation de l'emploi. Il est bien plus facile de s'opposer aux exigences quantophréniques de certains employeurs ou certaines administrations, quand on est implanté depuis longtemps ou près de la retraite. Mais qu'en est-il quand on est jeune professionnel(le) ou en contrat à durée déterminée ? Et puis, il y a le découragement face à des dispositifs sociaux de plus en plus carentiels ne fournissant plus de solutions et laissant l'assistant de service social démuni et impuissant face à des difficultés qu'il n'est plus en capacité d'aider à résoudre. Ce contexte contribue amplement à anesthésier la curiosité, l'envie de faire et la prise de recul qui ont pourtant toujours fait partie de l'ADN de la profession. La résignation tend à se substituer à la rébellion et ce d'autant plus, quand on se retrouve seul et qu'il  n'y a pas d'espace de réflexion collective. Les professionnels sont quotidiennement confrontés sur le terrain à un conflit de loyauté de plus en plus insupportable entre les attentes des populations qui viennent les rencontrer et des injonctions institutionnelles qui exigent d'eux à la fois la rentabilité et la docilité, tout en réclamant une capacité croissante d'initiative et d'innovation. Beaucoup tentent de résister, en dénonçant les dysfonctionnements et en sortant de ce qui existe parce que cela ne répond plus aux besoins tout en essayant de construire des solutions avec des partenaires extérieurs. Mais le risque est grand de les voir s'épuiser, les uns après les autres. Aussi, faut-il penser parallèlement à des alternatives plus globales. Ce qui est en train de se profiler pour l'avenir de la profession représente à la fois une menace et une chance à saisir. Après avoir reculé une première fois, grâce à la mobilisation des travailleurs sociaux et des formateurs, la Commission professionnelle consultative a repris le travail interrompu en vue de la réforme de l'architecture des diplômes. Ségolène Neuville, Secrétaire d'État, lui a demandé d’élaborer un scénario prévoyant une filière de métiers allant du niveau V au niveau I qui inclurait donc une fonction exercée avec un Bac + 2. Les employeurs seraient d'autant plus tentés de se tourner vers ce nouveau métier, car il serait financièrement moins coûteux pour eux. D’autant qu'à compter de 2018, l'assistant de service social devrait passer cadre A de la fonction publique et être mieux payé, puisque son diplôme sera enfin reconnu au niveau II, celui de la licence. Cela pourrait être le début de la fin d'une profession qui verrait ses effectifs être notablement réduits. Mais, nous pouvons nous saisir de cette opportunité, pour démontrer justement la plus-value de notre profession, quand il s'agit d'accompagner les populations les plus précarisées pour qui une simple formation technique est bien loin d'être suffisante. L'implication et l'investissement que cela nécessite pourraient alors s'avérer précieux pour les employeurs. Ces savoir-faire et savoir être s'acquièrent et se pratiquent autrement qu'en se contentant d'instruire à longueur de journée des demandes de Fonds social au logement, de Cmu, d’Apa ou d'aides financières, d'orienter vers des demandes de colis alimentaire ou de remplir des formulaires de statistiques. Si nous étions libérés de toutes ces tâches administratives, nous disposerions alors de plus de temps et d'énergie à consacrer à cet accompagnement à long terme et aux dimensions humaines que nous avons toujours pratiqué, en alliance avec les populations. C'est, en tout cas, cette cause que l'ANAS entend défendre dans toutes les instances où elle représentera la profession, que ce soit au sein du Haut conseil du Travail Social (qui a remplacé au 1er juillet le CSTS) ou du Comité national de protection de l'enfance (créé par la loi de mars 2016), par exemple. Dans leur histoire, les assistants de service social n'ont jamais baissé les bras. Ce n'est pas maintenant qu'ils vont commencer à le faire !
 
Anne Brigitte Cosson est assistante de service social dans un organisme de protection sociale et Présidente de l'Association Nationale des Assistants Sociaux

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Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1209 ■ 08/06/2017