Hayez Jean-Yves - Sexualisation petites filles

« Il ne faut pas confondre attitudes séductrices et désirs de rapports sexuels »

Jean-Yves Hayez est psychiatre d'enfants et d'adolescents, docteur en psychologie et professeur émérite à la Faculté de médecine de l'Université Catholique de Louvain, en Belgique. Le regard qu’il porte sur le phénomène d’hyper sexualisation des petites filles est rempli de sagesse et de réalisme : ni banalisation, ni dramatisation, permettant ainsi de réfléchir sereinement aux réponses à trouver.

JDA : que pensez-vous de l’hyper sexualisation des enfants en général et des petites filles en particulier?
Jean-Yves Hayez : Je voudrais commencer par un appel à la prudence, à propos du terme d’hyper sexualisation. C’est vrai que l’esprit humain cherchant à aller au plus simple, il lui est plus facile d’employer cette expression, plutôt que d’utiliser une périphrase du genre « ces petites filles qui s’habillent de façon ’’légère’’, avec ou sans volonté de jouer de leur ’’sex appeal’’, pour entrer en relation avec le sexe opposé ». Mais on induit alors de la confusion voire une suspicion de précocité active largement injustifiée et stigmatisante sur ces enfants, considérés alors comme capables de cette activité sexuelle sans retenue que peuvent prôner et pratiquer certains adultes. Cela revient à leur attribuer des désirs troubles qu’ils n’ont pas. En fait, pour le plus grand nombre, leur manière de se présenter ne dépasse pas la naïveté, l’ingénuité ou la simple envie d’être coquette. Vouloir jouer de son sex appeal, n’implique pas désirer aller plus loin que montrer qu’on a du charme, et certainement pas de passer à l’acte, au lit ou au fond d’un bois ! La petite fille peut se servir de la sensualité du corps, des appâts qu’elle laisse entrevoir pour aimanter, capter, hameçonner l’autre, sans qu’elle ait des intentions de relations sexuelles.

JDA : y a-t-il véritablement accroissement de ce phénomène ou la sensibilisation liée à la mobilisation contre la pédophilie le rend-il plus visible ?
Jean-Yves Hayez : La plus grande sensibilité de notre société à l’égard la pédophilie a sans doute conduit à cibler davantage certains comportements et à en dramatiser la signification. Mais, il est peu vraisemblable de considérer qu’il y aurait significativement plus d’agressions sexuelles, parce que certains enfants s’habillent comme de petites « vamps ». Si cela joue, c’est dans une bien faible proportion. En la matière, il faut rester prudent pour évaluer les effets réels de cette mode, tant sur les beaux gosses du même âge que sur les vilains pervers pédophiles. Quant à son extension effective, je ne suis pas sociologue de la mode, et je ne peux donc vous donner des chiffres qui permettraient de la mesurer scientifiquement. Mais, je pense quand même que depuis une quinzaine d’années, il y a effectivement un accroissement du désir de paraître, via un physique « people », à la Paris Hilton, chez un certain nombre de petites filles et d’adolescentes. Ce n’est pas un phénomène général. Il y a aussi des enfants qui ne se plient pas à cette mode. Tout un chacun cherche à être reconnu par l’autre. Mais tout le monde n’emprunte pas le même chemin, pour y arriver.

JDA : ce phénomène n’est-il pas une sorte de miroir d’une évolution sociétale bien plus globale ?
Jean-Yves Hayez : Pour expliquer la toxicomanie, Claude Olivenstein avait utilisé une métaphore fort intéressante : celle du triangle. Pour éviter de privilégier une porte d’entrée, plutôt qu’une autre, dans la compréhension des mécanismes d’addiction, il parlait de la rencontre d'un objet, d'un sujet et de la relation de ce sujet avec son environnement. C’était simple, mais cela permettait de mettre l’accent sur l’interaction entre plusieurs facteurs. Reprenons donc la même image. Il y a d’abord l’objet : dans notre société de consommation, toujours à la recherche de nouveaux marchés, même chez les enfants, il y a la création de modes proposant des lignes de vêtements « osés », qui, publicité aidant, peuvent constituer un chant de sirène pour certains enfants et leurs parents. Le second facteur vient du sujet lui-même : certaines petites filles ou adolescentes pensent que pour grandir, il faut imiter les vedettes de la télévision ; que pour réussir, il faut user de son charme ; que pour avoir de l’audience, il faut porter une apparence décolletée, chatoyante, avec des jambes et des poitrines naissantes, bien en évidence. Cette identification joue un rôle d’autant plus important qu’il peut y avoir émulation entre copines. On entre alors dans le monde du troisième facteur : la pression du groupe de pairs qui motive et stimule. Quant aux parents, certaines adolescentes agissent contre eux, dans une logique d’affirmation de soi. Mais, il arrive qu’elle le fasse avec leur accord et leur encouragement. Voir leur petite fille s’habiller comme des vedettes de télévision et réussir à séduire les garçons les enchantent, parfois.

JDA : N’y a-t-il pas là pas un effet pervers de la remise en cause de la morale traditionnelle ?
Jean-Yves Hayez : je trouve que votre formulation est trop sévère. Elle donne l’impression qu’on serait en perdition morale. Ce qui n’est pas vrai. Les enfants et les jeunes ont toujours des valeurs. Il suffit de regarder les échanges qu’ils peuvent avoir sur les sites de dialogue sur internet, et l’on constate la récurrence d’un certain nombre de thèmes : le respect de l’autre, l’interpellation de la liberté de l’autre dans la relation, la nécessité de faire des compromis pour vivre en société, l’importance de la justice etc. Il y a une morale traditionnelle qui a évolué chez tout le monde vers plus d’individualisme et vers l’accomplissement de ce que l’on croit bien pour soi. Mais il y a toujours un sens positif de l’autre. Les petites filles, quand elles cherchent à s’habiller de façon légère, se donnent le droit de se vêtir comme elles estiment devoir l’être, sans tenir compte des convenances de groupe. Mais, elles ne se distinguent pas là du reste de la société. Elles participent, comme les autres, au matérialisme et à l’individualisme ambiant….mais ça ne veut pas dire qu’elles sont pour autant incapables de manifester sollicitude et respect.

JDA : Quelle attitude doivent adopter les adultes : parents, enseignants, animateurs etc. ?
Jean-Yves Hayez : une réaction répressive qui porte sur des détails à partir desquels l’enfant veut affirmer sa différence, peut provoquer des résultats inverses à ceux escomptés. J’ai toujours pensé que la meilleure façon de ne pas renforcer les comportements les plus provocateurs, ce n’est pas de créer un rapport de force, mais de montrer l’indifférence la plus crasse et de s’abstenir de toutes remarques positives ou négatives. Il y a, bien sûr, des limites de décence. Mais, ces limites sont rarement dépassées. Mieux vaut identifier ces attitudes comme une recherche de reconnaissance, de la part de l’enfant. Certes, elle nous semble inappropriée et nous sommes convaincus qu’elle mène à une impasse. Dès lors, les bonnes questions à se poser, c’est peut-être : comment faire pour reconnaître l’enfant autrement ? Comment le mettre en valeur différemment ? Comment l’aider à se réaliser autrement ? Comment faire appel à ses autres ressources ? L’adulte qui raisonne ainsi ne perd pas son temps.


Lire dossier : L'hyper sexualisation


Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°122 ■ octobre 2011