Petite chronique d’une famille d’accueil

Jean Cartry, Dunod, 1996, 200 p.

Les fidèles lecteurs de Lien Social trouveront dans ces pages comme un goût de déjà vu. Et ce à juste titre: Jean Cartry et Jean-Marie Servin ne font qu’un ! Cette chronique reprend l’essentiel de la rubrique « Tranche de vie » qui agrémente depuis plus de deux ans les colonnes du « forum du jeudi ». On y retrouve avec délectation les pérégrinations de ce couple éducatif et de toute sa tribu (6 enfants biologiques, 3 enfants adoptés et 6 enfants placés par le Juge des Enfants ou l’Aide Sociale à l’Enfance). Comme beaucoup d’autres, à réception de chaque nouveau numéro du journal, je commence souvent par cette colonne. Qu’on ne prenne pas mes propos pour une quelconque complaisance entre collaborateurs d’une même revue. C’est que la recette de Jean Cartry est efficace: tout d’abord beaucoup d’humour. Ensuite, une bonne dose de tendresse. Il y a aussi cette justesse de perception qui est l’expression d’un savoir-faire et d’une expérience d’autant plus solides qu’ils se vérifient dans le quotidien depuis plus de vingt ans. Cela donne ces moments de vie pris sur le vif qui sont autant de petits bijoux passionnants. Mais, il y a toutefois autre chose qui marque ces chroniques: c’est la capacité à partir d’une pratique spécifique à synthétiser la substantifique moelle de l’acte éducatif et à en transmettre en quelques mots l’essence. On trouve dans ces quelques lignes autant que dans bien des traités de psychopédagogie. Les écoles d’éducateurs ont  là une mine pour les sujets de dissertation dans cette matière!

Qu’explique donc Jean Cartry ?

La famille thérapeutique prend le relais des parents naturels en démontrant à l’enfant ou à l’adolescent pris en charge qu’ils sont capables et qu’ils sont importants pour quelqu’un. Tout professionnel plongé dans la relation à des enfants carencés affectivement ou abandonniques se trouve aspiré continûment. Face à cette demande de don total, l’éducateur doit refouler, contraindre et contenir le jeune, l’inscrire dans le temps et l’espace, l’ accompagner au jour le jour dans l’épreuve des limites que l’interdit impose au désir.  Cela signifie parfois savoir dire non comme autant de façons de rappeler la présence de l’autre et permettre de créer un espace de liberté à l’intérieur duquel on peut dire oui. Mais être professionnel, c’est aussi reconnaître ses émotions, ses sentiments et ses troubles: il convient alors de conjurer la toute puissance de l’adulte et d’identifier l’enfant à une personne à part entière, auprès de qui il est judicieux de s’excuser quand on s’est trompé.

 « Les travailleurs sociaux et les ’’psys’’ sont à mes yeux les héritiers des plombiers et des garagistes » conclue Jean Cartry: « Dans leur musette: le fer à ressouder les relations, l’huile des médiations, le trousseau de clefs de l’inconscient et la pince éducative à resserrer les boulons. »

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°361 ■ 11/07/1996