Enfants, parents, famille d’accueil - Un dispositif de soins: l’accueil familial permanent

Sous la direction de Myriam DAVID, Ministère de l’emploi et de la Solidarité/érès, 2000, 115p.

L’accueil familial concerne en France plus de 70.000 enfants. Mode de prise en charge très ancien qui a la faveur des autorités pour sa valeur économique (il coûte moins cher que les foyers) et humaine (il est plus proche de l’organisation familiale d’origine), il a connu au cours des dernières années des évolutions que vient préciser ce petit manuel très synthétique qui mérite de devenir le livre de chevet des assistantes maternelles et des équipes chargées de les accompagner.

Pendant longtemps, on s’en est tenu à un certain nombre de postulats issus du sens commun selon lesquels seules conteraient les qualités de cœur et de bon sens. C’est progressivement que la prise de conscience a eu lieu. Non, il ne suffit pas de placer l’enfant à l’abri de la source de dysfonctionnement que représente sa famille, ni de le confronter à de nouvelles images parentales stables et équilibrées, ni encore de le confier à des mères de famille qui seraient naturellement dotées des qualités maternelles adéquates. La séparation ne suffit pas en elle-même à résoudre les difficultés psychiques engendrées par la détérioration des liens parents/enfants. Tout au contraire, les enfants placés ont tendance à réintroduire au sein de leur nouveau milieu les problèmes qu’ils portaient dans leur famille d’origine : « ils manifestent leur handicap interne par des comportements qui entravent lourdement les apprentissages, l’activité et les relations sociales, faisant d’eux des enfants qu’il est difficile d’élever, de soigner, d’enseigner » (p.34) Les échecs scolaires, la carence affective, les troubles de la personnalité etc …, tout ce que Myriam David a appelé le « mal de placement » et qui peut perdurer tout au long des années, étaient autrefois mis sur le compte d’un mauvais recrutement ou d’une absence de formation des assistantes maternelles. On sait aujourd’hui que ces relations houleuses font partie intégrante de la dynamique du placement familial. D’abord, parce que les blessures inhérentes aux dysfonctionnements de la relation précoce parents/enfants persistent dans le temps. Ensuite, parce que la séparation constitue une épreuve pleine de souffrance pour l’enfant. Encore, parce que confronté à un nouveau cadre familial, il tente d’y rejouer les scènes passées, les expériences traumatisantes antérieures, rassuré par un contexte qui, cette fois-ci, n’est plus dangereux pour lui. Au final, en attaquant le cadre proposé, il vérifie qu’il compte aux yeux de l’autre et qu’il est aimé. L’enfant a besoin de s’appuyer sur la continuité et la solidité du couple d’accueil, des limites et des interdits qui lui sont posés, en vérifiant ainsi qu’il n’a pas détruit le cadre offert mais aussi qu’il n’a pas été rejeté. Pour autant, ces manifestations mettent à dure épreuve les familles d’accueil qui tentent de résister à ces assauts mais qui se trouvent facilement ébranlées et déçues  dans leurs convictions réparatrices et leurs efforts de reconstruction de l’enfant.

Il est un pôle que les auteurs du livret ont souhaité tout particulièrement aborder, c’est celui de la place des parents. Ceux-ci vivent fréquemment le placement comme une mesure mortifiante, un arrachement. Leur coopération et leur participation ont été très longtemps négligés pour ne pas dire méprisés. Pourtant, ils jouent un rôle essentiel dans la pérennité du placement en ce qu’ils l’autorisent ou le sabotent, en ce que l’enfant ressent ou non la douloureuse sensation de les trahir en investissant sa famille d’accueil. Ne pas tenir compte des parents revient donc à menacer la qualité du travail de la famille d’accueil.

L’ensemble de ces caractéristiques ont amené le secteur du placement familial à  adapter ses modalités d’intervention, en commençant par une professionnalisation toujours plus poussée des assistantes maternelles(qui ont appris à fonctionner d’une manière supplétive et non substitutive), une nouvelle approche du soutien à la parentalité (qui passe par son respect et la reconnaissance de sa place) et la nécessité d’instaurer un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire, des parents, des familles d’accueil et des enfants. « Le regard et l’écoute de l’accompagnateur constituent un soin permettant aux mouvements émotionnels vifs et contradictoires d’être moins dangereux, un peu plus maîtrisables » (p.79).

Le placement familial reste encore chez les intervenants sociaux un sujet de polémiques, les uns revendiquant avant tout la mise en sécurité de l’enfant, les autres craignant que la mesure prise ait des conséquences bien pires que le mal dénoncé. Ce sont ces hésitations -au demeurant légitimes- qui aboutissent souvent à des placements en urgence qui provoquent toujours les dommages les plus graves. D’où l’importance d’une évaluation qui tiennent compte de l’état des signes de maltraitance ou de négligence, des manifestations d’attachement ou d’intolérance entre l’enfant et sa famille, des caractéristiques des interactions, de la façon dont s’exerce la parentalité et du degré global de précarité de la situation psychosociale. Ce n’est qu’à l’issue de l’examen de l’ensemble de ces facteurs qu’une décision, doit être prise, permettant alors une préparation tant de l’enfant que de sa famille et de la famille d’accueil pressentie au projet de placement. Car, malgré tous les effets pervers qui sont vécus auxquels l’ensemble des acteurs sont condamnés à faire face et qu’ils se doivent d’assumer en toute connaissance de cause, le placement en famille d’accueil continue à constituer l’un des lieux d’épanouissement et d’évolution positive pour les enfants confrontés à des situation de dysfonctionnement grave des relations avec leurs parents. C’est un support irremplaçable de réconfort narcissique, de contenance et de sécurité.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°542 ■ 07/09/2000