Le placement familial - Ses secrets et ses paradoxes

Pierre SANS, L’Harmattan, 1997, 319 p.

Pierre Sans nous livre ici une réflexion à la fois roborative et décapante. Refusant le qualificatif de “ marginal ” qu’il trouve excessif, l’auteur se reconnaît néanmoins “ à la lisière ”. Son propos est tout sauf consensuel. Fuyant la pensée unique, il articule son discours autour de paradoxes fertiles. “ L’accueil familial est à la fois étonnamment efficace pour le soin des enfants, des adolescents, des adultes et des personnes âgées en souffrance, mais il est extraordinairement efficace, aussi, pour plonger les personnes dans un espace étouffant, négation de toute altérité et donc déshumanisant ” (p.9) Un praticien du placement familial reconnu pour ses compétences en la matière et qui commence son propos ainsi, mérite d’être lu jusqu’au bout ! La suite ne déçoit effectivement pas. Certes, les digressions sont multiples. Mais elles ne s’éternisent jamais et prennent toujours du sens dans la démonstration finale. Ainsi en va-t-il de la réhabilitation qu’il propose de ce qu’il nomme (paraphrasant Winnicott) la “ préoccupation soignante primordiale ” des familles d’accueil qui savent parfois répondre à la souffrance et aux passages à l’acte des personnes accueillies d’une manière autant (sinon plus) pertinente que bien des psychologues ou des éducateurs. Il ne s’agit pas d’opposer la théorie à la pratique, mais de reconnaître la place et le rôle de chacun et notamment du côté des assistantes maternelles un authentique savoir profane, une créativité et une spontanéité irremplaçables. Autre thème iconoclaste, celui s’intéressant au processus qui mène une famille d’accueil à une dérive totalitaire. Mais attention, si la dimension institutionnelle du travail est présentée comme seule capable de garantir la qualité de l’accueil, le tout-contrôle ainsi que “ l’appel forcené, féroce, quasi hystérique, au ’’contrat’’ écrit, aux règlements, aux rapports et aux ’’projets d’établissements’’, ’’éducatifs’’, ’’individuels’’ ” (p.244)  peut relever d’une forme de violence préjudiciable. Autant de finesses et de nuances qui n’ont guère l’aval de la plupart des administrations auxquelles l’auteur est en bute : “ des personnes chez lesquelles l’impudente arrogance le dispute à l’incompétence la plus crasse ” remarque-t-il notant toutefois la présence aussi “ d’admirables qui font le maximum pour aider les équipes ” (p.16)

On n’est pas obligé, après tout, de suivre Pierre Sans dans toutes ses démonstrations. Reconnaissons toutefois un travail propre à renouveler les recherches sur la question.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°469 ■ 14/01/1999