Que sont-ils devenus? Les enfants placés à l’Oeuvre Grancher. Analyse d’un Placement Familial Spécialisé
Marthe COPPEL & Annick-Camille DUMARET, érès, 1995, 192 p.
La question est légitime. Elle se pose à un moment ou à un autre à tout travailleur social: quel est l’impact de son travail ? Que deviennent celles et ceux auprès de qui il intervient ? Nous avons tous à l’esprit l’exemple d’usagers qui « s’en sortent » et d’autres qui échouent. On ne pourra pas éviter la satisfaction face au premier, pas plus que la déception et la pointe de culpabilité face au second. En fait, il est difficile d’évaluer exactement l’impact de notre action sur ces réussites et ces échecs. Et ce, même si, à l’image du corps médical, nous avons une obligation de moyens et non de résultats.
Il est étonnant qu’il n’y ait pas plus d’études menées sur le devenir de populations prises-en-charge à un moment donné. C’est pourquoi l’analyse proposée par Marthe Coppel et Annick Camille Dumaret est particulièrement intéressante.
L’Oeuvre Grancher est créée en 1903 pour répondre aux besoins d’éloignement d’enfants issus de familles atteintes par la tuberculose. Leur placement en famille d’accueil à la campagne constituait alors la seule solution pour éviter la contamination. L’institution connaît très vite une grande extension passant de 28 jeunes accueillis en 1904 à 800 en 1907, ainsi qu’un succès notable au niveau sanitaire (sur les 2.000 premiers enfants pris en charge n’apparaissent que 8 cas de tuberculose). L’Oeuvre traverse le siècle. Avec la raréfaction de la maladie, elle va se transformer au tournant des années 60 en Placement Familial Spécialisé, s’adressant alors à une population plus en difficulté sociale.
L’étude a porté sur un groupe de 63 personnes accueillies en famille d’accueil entre 1960 et 1984. Que sont devenus ces enfants placés une fois atteints l’âge adulte ? Ils vivent en couple pour 80% d’entre eux. Ils connaissent une stabilité professionnelle et se conforment aux règles sociales. Ils bénéficient d’une bonne insertion générale qui n’est influencée ni par l’âge d’arrivée en famille, ni par le nombre de placements successifs. Il y a-t-il au sein de cet échantillon reproduction transgénérationnelle des difficultés familiales ? 51% de ces personnes ont eu des parents qui ont été eux-mêmes séparés de leur famille, dans leur enfance (dont 37% placés à l’Aide Sociale à l’Enfance). Aucun n’a reproduit avec ses propres enfants des comportements relevant de la dysparentalité. Certes, ils sont encore jeunes (moyenne d’âge: 27 ans 1/2), divers événements peuvent encore intervenir: cinq situations familiales à risque ont déjà pu être repérées. Mais on ne peut que constater que la spirale infernale s’est interrompue. Bien des facteurs permettent d’en comprendre les raisons. Entre autres explications, on relèvera la profonde évolution de la pratique du placement familial. L’équilibre psychologique de l’enfant est devenu un objectif au même titre que sa santé physique ou son apprentissage scolaire et professionnel. Le livre de Marthe Coppel et d’Annick Camille Dumaret s’en fait d’ailleurs un large écho montrant bien l’insertion du travail des assistantes maternelles dans une logique d’équipe.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°347 ■ 04/04/1996