Le tournant de ma vie
BOUVÉ Aurore, Les éditions Persée, 2011, 233 p.
Voilà la lecture d’un livre que l’on peut d’autant plus facilement conseiller que son écriture était des plus improbables. Imaginez : une adolescente placée en foyer qui décide de rédiger, seize années après, le récit de cet épisode de sa vie. Qui plus est, une jeune ayant bénéficié du soutien et de l’accompagnement d’éducateurs d’internat qui leur rend hommage et explique combien leur aide lui aura été précieuse. C’est vrai, que les anciens ne reviennent pas toujours vers les professionnels qui ont été témoin de leurs souffrances et parfois de leurs dérives. Ils préfèrent souvent tourner la page, essayer d’oublier, allant même jusqu’à cacher cette partie de leur existence à leur conjoint et à leurs enfants. C’est ce qui rend le témoignage d’Aurore Bouvé des plus précieux. Certes, la relation amoureuse qu’elle établit avec l’un de ses éducateurs, avec qui elle aura un enfant, est loin d’être académique et bien des professionnels ne se reconnaîtront pas dans cette dérive et cette faute commises par l’un de leur pair. Mais, cela fait aussi partie de l’histoire de l’auteure et elle n’avait pas de raison d’occulter. Reste la description de bien des comportements et ressentis d’une adolescente en souffrance, rapportés avec une précision et un réalisme détonnant. C’est, d’abord, la présentation de la relation avec le milieu familial qui gênera aux entournures les thuriféraires du maintien des liens à tout prix, puisqu’Aline (le prénom de la jeune fille dans le livre) obtiendra d’espacer, puis de suspendre les week-ends chez sa mère, où on l’attend pour entretenir une maison négligée entre chacune de ses visites. Son vécu montre qu’il faut parfois passer par une vraie distanciation, pour essayer de se retrouver ultérieurement. C’est, ensuite, le difficile et long cheminement, avant qu’une adolescente réussisse à faire confiance aux adultes qui l’entourent, se mette à parler de son vécu et des épreuves qu’elle a traversées et accepte la main qui lui est tendue. C’est, aussi, l’illustration de la force avec laquelle les épreuves accumulées peuvent se transformer en agressivité, voire même en violence contre celles et ceux qui offrent leur bienveillance et proposent leur présence soutenante. C’est, encore, cette description de ce qui se passe au sein du groupe de jeunes, vivant au sein de l’établissement, et le destin pas toujours serein de la rencontre entre des problématiques complexes et douloureuses. Ce récit nous révèle un petit peu l’autre côté du miroir, ce qui se passe dans la tête et le cœur de ces jeunes que nous côtoyons au quotidien, sans réussir toujours à décoder les raisons des réactions et des comportements qui, pour apparaître énigmatiques parfois et nous échapper souvent, ont leur propre logique et cohérence spécifique.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1070 ■ 12/07/2012