Marcher pour s’en sortir. Un travail social créatif pour les jeunes en grande difficulté
LE BRETON David, MARCELLI Daniel, OLLIVIER Bernard, érès, 2012, 186 p.
« Quand je suis parti, j’étais un blaireau. Depuis que je suis revenu, je suis un héros ». Ce commentaire de l’un des jeunes bénéficiaires de l’action menée par Seuil décrit bien la portée de l’action proposée. S’inspirant de l’expérience menée depuis trente ans par l’association belge « Oikoten », un groupe de jeunes retraités propose, en 2000, aux juges des enfants et aux services éducatifs un projet fou : un adulte accompagne à pied un jeune en grande difficulté, pendant trois mois, sur une distance de 1.800 kilomètres. L’heure est à la répression et à l’enfermement. Malgré le scepticisme institutionnel, Seuil se voir confier des jeunes délinquants, en alternative à l’incarcération. Dix ans après sa création, l’heure est venue de tirer le bilan. Ce que font avec bonheur et intelligence les neuf contributeurs de cet ouvrage, qu’ils soient spécialistes de l’adolescence ou bien acteurs du séjour de rupture. Certes, marcher n’a pas en soi de valeur curative. Sinon, nos adolescents fugueurs ou trafiquants qui parcourent des kilomètres, dans l’errance ou dans la recherche de leur livraison de shit seraient très vite resocialisés ! La marche, c’est avant tout une histoire humaine où deux sujets se rencontrent pour réaliser un objectif réel et mesurable : accomplir un l’exploit d’une déambulation partagée, structurée, réfléchie et acceptée d’environ 25 kilomètres par jour. Même s’il ne s’agit pas d’une quête de performance, l’épreuve est lourde : douleurs physiques (ampoules aux pieds, poids du sac à dos de 12 kilos…), nostalgie de sa famille, de son quartier, de ses ami(e)s, de sa bande, difficultés de communiquer avec les natifs (la marche se fait dans les pays voisins de la France), nourriture inhabituelle, chaleur, froid, vent, pluie... de quoi provoquer crise d’angoisse ou de colère, envie d’abandon ou refus de continuer à avancer. Et pourtant, pour la plupart des jeunes engagés, cela fonctionne. Peut-être, parce que marcher c’est avoir les pieds sur terre et non à côté de ses pompes. Vivre les mêmes épreuves avec un adulte implique de nouer une alliance avec lui, en éprouvant une réciprocité et une empathie jusque là inconnues. Cheminer permet de vivre une échappée belle, loin des routines de pensée et d’existence, de créer un espace de parole favorisant une restauration de sens et d’expérimenter la frustration et le mal-être provisoire, en brisant les réflexes d’agressivité, ainsi que les trafics et les vols. La marche n’est pas une panacée et ne constitue pas un vaccin contre la récidive. Mais après les sept lois répressives votées entre 2004 et 2010, Seuil redonne ses lettres de noblesse aux vertus de l’éducatif. Et cela, c’est plutôt une excellente nouvelle.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1079 ■ 18/10/2012