Polyphonies en internat. Paroles de professionnels de collectivité de l’aide sociale à l’enfance
Mahé Jean-Louis et Garcia Ballester Émilie, Éd. Champ Social, 2012, 345 p.
Après avoir permis aux enfants confiés en établissement de s’exprimer et être allé chercher ce qu’ils étaient devenus une fois adultes, Jean-Louis Mahé donne, cette fois-ci, la parole aux professionnels qui les accompagnent au quotidien. La polyphonie, dont il est question dans le titre, renvoie à la multiplicité des regards et des représentations, non seulement au sein d’une même corporation, mais aussi entre professionnels de formation et de fonction différentes. Administratifs, chefs de service, cuisiniers, directeurs, éducateurs, maîtresse de maison, psychologues ont en effet été sollicités, leurs réponses faisant l’objet d’une retranscription méticuleuse. De ce riche matériau, les auteurs retirent une synthèse permettant de dresser un portrait d’une communauté éducative dynamique et réactive. Si la motivation initiale à se retrouver dans ces postes est liée pour certains à un choix, pour d’autres il s’agit bien plus d’un hasard. La formation reçue est vécue, le plus souvent, comme décevante, car ne répondant pas toujours aux problématiques concrètes, les espaces de réflexion sur les pratiques étant les séquences les plus valorisées. Les conditions de travail les plus plébiscités ne sont ni les grands établissements hérités des années 1930, ni les appartements étriqués des années 1970, mais bien plutôt ces maisons bourgeoises fondues et anonymes au coeur des quartiers résidentiels accueillant de petites unités, à effectif réduit. Les rythmes de travail apparaissent majoritairement peu propices à la présence et à la continuité de l’adulte auprès d’enfants et d’adolescents qui voient défiler leurs éducateurs, tout au long de la semaine. Les situations de violence sont toujours vécues avec sidération et dans une surcharge émotionnelle. La cause en est souvent la juxtaposition de problématiques individuelles imprégnées de souffrance et de ruptures successives. Le public accueilli est perçu comme blessé par une enfance maltraitée, négligée ou méprisée. Les professionnels interrogés conviennent des difficultés à compenser un destin aussi malmené et à répondre avec efficacité aux carences du lien et de l’attachement qui en découlent. Les relations avec les familles en subissent les conséquences, provoquant une forte ambivalence entre rejet et acceptation du partenariat. Voilà donc un « monde baignant dans l’émotionnel, fait de sentiments contrastés, d’amour et de cruauté, d’espoirs et de déceptions, d’élans et de retenues » (p.339) qui se trouve aujourd’hui confronté à des logiques contradictoires faites à la fois de contraintes administratives et financières et à l’exigence d’une prise en charge individualisée, adaptée à chaque enfant.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1081 ■ 08/11/2012