Clinique de l’intime. Un lieu pour entendre la souffrance adolescente
AUBRY Natacha et TRONTIN Thierry, Éd. Chronique Sociale, 2023, 189 p.
Non, la psychanalyse n’est pas morte. Le cadavre bouge encore. La voilà déclinée sur le mode éducatif de l’extrême. La pensée se conjugue aux concepts qui se combinent à la pratique éducative. Ce livre est né au cœur d’un lieu de vie atypique. Les « quatre chemins » accueille des adolescents considérés comme « cas complexes » et des « problématiques lourdes », comme des « patates chaudes » et des « incasables ». Certes, ceux qui s’y retrouvent ont été rejetés de partout. Mais les professionnels qui les reçoivent adoptent des pratiques qu’on ne retrouve parfois nulle part ailleurs.
On y déploie le temps éprouvé, habité, suspendu. Loin de tout maturateur artificiel, la graine germera à son rythme. Ces jeunes sont dans l’incapacité d’intégrer le passé et de se projeter dans un avenir possible. Ils vivent dans un présent suspendu. Il faut les réintroduire dans une historicisation dont la temporalité est à chaque fois spécifique.
On y accueille des adolescents inconditionnellement. Ces jeunes ont été confrontés à tant de territoires jamais assez bons, jamais assez accueillants. Ils ont fini par les fuir ou s’y enliser. Ici l’espace qui leur est dédié est avant tout et surtout un lieu stable, pérenne et sécurisant, là pour entendre leur souffrance et les inviter à l’y déposer.
On y cultive le silence. Loin des discours convenus que les jeunes maîtrisent parfois bien mieux que les professionnels, l’absence de demande et de réponse y est possible. Parce que ces publics n’ont pas besoin d’adultes qui savent, mais qui privilégient et promeuvent le passage, qui préparent et mûrissent la transformation, qui travaillent et pétrissent le sens.
On y pratique le cas par cas. Ils sont tous différents, leur vécu est unique et leurs traumatismes à chaque fois uniques. Le cadre qui s’efface devant le particulier est celui qui préserve la souplesse, l’élasticité et le vivant. Il n’y a pas de cases à cocher, mais des symptômes à laisser s’exprimer pour que se révèle l’intime des traumas.
On y évite le fantasme de l’idéal sublimé d’une équipe institutionnalisée. On y supporte de ne pas disposer d’un savoir plein qui ferait recette et protocole applicable. On s’y laisse surprendre et l’on y fluctue. On y change d’avis et l’on fait des aller-retours. Ce qui est vrai un jour ne l’est pas toujours.
Comment faire face à la folie psychotique ? En inscrivant la pédagogie éducative pratiquée, à l’image métaphorique des « quatre chemins », à la confluence de quatre registres. La psychanalyse lacanienne mâtinée d’une clinique anarchiste-libertaire, tout d’abord. L’éthique qui privilégie toujours d’avènement du sujet, ensuite. La poésie qui, en engageant l’être, permet l’indispensable décalage, encore. La rencontre des fragilités enfin, celle de l’accompagné et de l’accompagnateur, ce dernier s’autorisant à éprouver des émotions, sans y succomber.
Cette mosaïque semblera bien indigeste pour les uns, mais tout autant inspirante pour les autres. Truffées d’une flopée de jeux de mots et de riches références savantes, ces 189 pages sont aussi articulées autour de vignettes cliniques de récits de voyage. Autant d’occasions de donner sens à toutes ces rencontres du quotidien. Un livre à la lecture exigeante, mais stimulante ; prolixe, mais réflexive ; sophistiquée parfois, mais toujours inspirée.