Les condition idéales
AMOUDI Mokhtar, éd. Gallimard, 2023, 246 p.
Skander : itinéraire banal d’un enfant de l’ASE. Tel pourrait être le sous-titre de ce roman d’une grande sérénité et d’un réalisme tel qu’il ne pouvait que flirter avec l’autobiographie. Et, effectivement, l’auteur s’est inspiré de son enfance pour rédiger ce récit qui pose un regard lucide et apaisé sur un parcours possible, comme peuvent et pourraient en connaître tant de mineurs de la protection de l’enfance.
Une mère en grande difficulté sociale, à la vie chaotique et disloquée qui exprime son amour maternel comme elle le peut, au gré des entrelacs de ses addictions à l’alcool, aux médicaments et autres substances toxiques. Un père abandonnique, que Skander ne reverra qu’en fin d’adolescence, dans la plus grande des indifférences réciproques. Une plongée désaccordée vers ses racines à l’occasion du séjour de sa famille d’accueil retournant « au pays » le temps d’un été. Description quasiment ethnographique d’usages que le lecteur découvrira peut-être avec autant d’étonnement que l’enfant lui-même un tant soit peu déstabilisé. Il faudra attendre la 198ème page pour que le verdict de l’auteur tombe, aussi cruel que sans concessions : « en guise de famille sanguine, j’étais donc cerné par des repris de justice, des abrutis, ou des inconnus, éparpillés entre la France et l’Algérie »
Du côté de l’ASE, la nuance s’impose. Une première famille d’accueil aimante et sable qui disparaît bien trop vite, remplacée par cette Madame Khadija au profil des plus atypique, avec qui se tricotera un mélange d’épreuves et d’affection mutuelle que ni l’un ni l’autre ne se reconnaitront jamais. Une assistante sociale référente bienveillante qui suivra Skander tout au long de son placement. Autant de personnages forts agissant comme des tuteurs de résilience des plus opérant. Et si le couperet du suivi institutionnel tombe aux 21 ans, un contrat jeune majeur lui sera proposé jusque-là, malgré la tentation de l’argent facile qui sera dûment sanctionnée par le tribunal pour enfants.
Car, l’adolescent l’a vécu cet apprentissage rythmé par la loi de la rue, par la confrontation aux rites de l’affrontement violent entre bandes de quartiers concurrents et par une délinquance de survie autant que d’affiliation. Mais surtout une envie de s’en sortir, alimentée par une passion de la lecture, par une ouverture d’esprit et une curiosité face au monde. L’inattendue réussite scolaire de Skander lui ouvre des possibilités insoupçonnées. Il passera du petit trafic de shit au droit des affaires. Etonnante reconversion pour un ancien jeune trafiquant !
Le tout nous est décrit à hauteur d’un enfant, puis d’un adolescent au regard ingénu et spontané, mais pas dénué d’humour qui ne semble se formaliser d’aucune des épreuves endurées. Un peu comme si le retrait de ses ressentis les plus profonds laissait la place à la description de toutes les facettes de la vraie vie avec ses moments de grâce et ses turpitudes. Il y a beaucoup de charme et de poésie dans ce roman épique à la fois décalé et digne du meilleur des styles réalistes. Il réussit à transcender avec habileté un parcours aux conditions pas vraiment idéales, sans tomber ni dans les clichés, ni dans les stéréotypes qui collent si souvent tant à la banlieue qu’à l’ASE.