Le secret professionnel en travail social
Jean-Pierre Rosenczveig et Pierre Verdier, Dunod/Editions Jeunesse et droit (adresse: Journal du droit des Jeunes, 16 passage Gatbois, 75012 Paris), 1996, 140 p.
Jean-Pierre Rosenczveig et Pierre Verdier assurent depuis un certain temps des conférences sur le thème: « secret professionnel et déontologie ». Au cours de ces rencontres, de nombreuses questions leur ont été posées. Ils y ont répondu en mettant à profit leur connaissance du droit et leur riche expérience. C’est ainsi qu’est née l’idée d’en faire un livre. L’ouvrage à peine sorti des rotatives, disponible dans toutes les bonnes librairie en ce début octobre, Lien Social a le plaisir d’en présenter les bonnes feuilles.
Secret professionnel: nature et fonction
Ce n’est là ni une protection, ni un droit. Celui qui y est soumis n’est nullement « préservé » par son bénéfice. Ce secret est bien plutôt une contrainte qui pèse sur certaines personnes tenues de se taire. Cette obligation constitue un ordre en provenance directe de la loi, de la loi pénale qui menace toute violation d’1 an de prison et de 100.000F d’amende. Dans les affaires qu’elle avait eues à traiter jusqu’à présent, la justice oscillait entre la prédominance de l’obligation de témoigner et celle de se taire. Le nouveau code pénal a notablement aggravé les sanctions possibles, doublant l’incarcération maximum et multipliant par 12 l’amende, preuve s’il en est de la volonté du législateur de marquer un coup d’arrêt. Que le lecteur ne s’inquiète pas. Il n’y a pas à ce jour d’exemple de travailleur social poursuivi ou puni pour violation du secret, et ce malgré la pléthore des transgressions. Cela tient surtout à l’absence de conscience chez les victimes de la nature de l’infraction commise. Seul cas répertorié, celui d’un Conseil Général condamné par la Cour Administrative d’Appel de Lyon le 30 décembre 1992, concernant le manquement commis par un travailleur social dans la révélation de faits devant une tierce personne non concernée.
Depuis longtemps, le droit a reconnu la nécessité des « confidents nécessaires », c’est à dire l’importance que l’usager aie la garantie que dans certaines relations de soin, d’assistance ou d’aide, les informations qu’il confie à des professionnels n’iront pas vers d’autres. Ces derniers sont alors dépositaires et non propriétaires de ce qui leur a été confié. Seul l’usager est autorisé à révéler les éléments de sa vie privée ou de sa vie intime. L’intervenant, quant à lui, ne doit rien dire de ce qu’il a appris ou a compris à l’occasion de sa profession.
Limites et responsabilités
Pour autant, ce secret peut-il être considéré comme absolu (c’est à dire ne souffrant aucune exception) ? Nous savons bien que non. La loi autorise la révélation dans certains cas (tel la violence à enfant). Mais, le nouveau code pénal a été très clair sur ce point: qui dit possibilité ne dit pas obligation. Quand on doit se taire, on ne peut pas être contraint de parler. Tout au plus peut-on estimer bon de parler. Le travailleur social a donc le choix de l’attitude à tenir. Quelle qu’elle soit, il pourra être amené à rendre des comptes à la société.
Cette responsabilité que chaque citoyen se doit d’assumer par rapport à ses actes même professionnels n’a rien en soi d’anormal ni de choquant. Personne n’est tout-puissant. Aussi, lui faudra-t-il peser avec rigueur les différents facteurs en présence. Il y a d’abord l’analyse qu’il fait de la situation. Il y a ensuite ce que lui dicte sa conscience, son sens de l’équité et du bien de l’usager. Interviennent encore les règles de sa profession (déontologie), les pratiques de son service, sans oublier (il n’a pas un statut libéral) les obligations liées à son contrat de travail. S’il décide de révéler un fait dans les limites qui lui sont permises par la loi, aucune poursuite ne pourra intervenir à son encontre. S’il ne le fait pas, il pourra être tenu responsable soit en matière pénale de non-assistance à personne en danger (cas d’une maltraitance à enfant se perpétuant au vu et au su de l’intervenant sans que celui-ci ait rien signalé), soit en matière disciplinaire par son employeur pour faute grave. Chaque praticien sait que son action rime avec responsabilité et avec risque. Il arrive parfois que les travailleurs sociaux accomplissent des actes qu’ils savent illégaux mais qui leur paraissent conformes à l’éthique de leur fonction. Ils le font en connaissance de cause à partir de ce qu’ils estiment relever d’une juste cause.
Et en cas de blocage ou de retard par le service dans le signalement aux autorités compétentes ? Chacun a un rapport personnel à la loi. Aucune institution ne peut supplanter cette dernière. Ce signalement institutionnel qu’il soit fait ou non, ne désengage pas le travailleur social de toute responsabilité. Il se doit dans tous les cas de continuer à porter secours à toute personne en danger. Le signalement direct au procureur est toujours possible: il ne tombe pas sous le coup du code pénal mais peut néanmoins amener des ennuis disciplinaires avec le service employeur !
Apparaît donc la nécessité de trouver la judicieuse articulation entre la contrainte à se taire, l’obligation absolue à porter secours à toute personne en danger et l’exigence professionnelle d’informer la hiérarchie du service employeur.
Une mine d’infos
L’ouvrage de Rosenczveig et Verdier fourmille de précisions intéressantes, voire inattendues. Il en va ainsi de l’interdiction officielle de copie des rapports remis au juge des enfants. Ni avocat, ni travailleurs sociaux ne peuvent en obtenir un double. Seule exception, les équipes mandatées régulièrement par le tribunal qui peuvent photocopier certains documents -sous réserve de les détruire dans les trois mois-. Curieuses pratiques guère respectées quand on sait les milliers de pièces qui traînent dans les dossiers archivés dans les services ! Autres éléments: les documents susceptibles d’être saisis en cas de perquisition sur demande d’un juge d’instruction...
Mais la liste pourrait encore être longue. Rien ne remplacera la lecture directe de ces 101 questions/ 101 réponses tout à fait instructives sur une question au coeur de l’action des travailleurs sociaux. Pour autant, ce n’est pas un bréviaire apportant une solution au problème de chacun: chaque cas étant particulier, « il faudra au lecteur faire le dernier effort pour ajuster cette réponse à la situation dont il a à connaître ».
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°367 ■ 03/10/1996