Mourir, vivre... ou survivre? Itinéraire d’un Educateur Spécialisé
Frédéric SPIRA, L’Harmattan, 2004, 474p.
On connaît l’adage éculé qui prétend que les travailleurs sociaux seraient fâchés avec l’écriture. Frédéric Spira aurait-il décidé de démontrer le contraire, qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Il nous livre ici dix années de son livre de bord, mettant en scène d’une façon passionnante son expérience d’éducateur spécialisé. Ecrite d’une plume alerte et avec une grande maîtrise, cette mise en récit sait tout particulièrement expliciter ce qu’il y a de si complexe à décrire. Qui vit la relation éducative connaît ce banal de l’adversité que seuls la créativité, l’humour ou l’audace permette de transformer en début d’espérance. Mais il sait aussi, la difficulté qu’il y a à décrire ce processus fait d’humanisation, d’empathie et de prise en compte. C’est de tout cela dont il est question tout au long de ces presque 500 pages. Tour à tour tendre et pathétique, ironique et mordant, bienveillant et lucide face aux enfants et aux jeunes, mais aussi aux institutions et professionnels rencontrés, l’auteur nous propose un raccourci tout à fait saisissant d’un univers qui, pour être sans doute familier au lecteur de Lien Social, est bien plus rarement sujet littéraire. Tout commence par l’engagement d’un jeune étudiant dans un bénévolat qui le mène vers deux associations, l’une intervenant auprès des enfants atteints par le virus du Sida, l’autre proposant une écoute téléphonique aux personnes aux tendances suicidaires. Ce sont ces premières confrontations à la souffrance et la mort qui convaincront l’auteur dans son choix de renoncer à une licence de psychologie au profit d’une formation d’éducateur spécialisé. Premier stage passé au milieu d’enfants atteints de handicaps mental et de professionnels ... atteints d’une démotivation qui fait peine à lire. Second stage dans un foyer d’adolescents qui, malgré un premier accueil particulièrement rude, sera l’occasion d’un apprentissage tout particulièrement fécond et formateur. Troisième stage dans un service de suite qui semble jongler d’une façon bien désinvolte avec les fins de prise en charge de jeunes qui se retrouvent à la rue, sans avoir été suffisamment préparés à une autonomie pourtant si fréquemment proclamée. La réalité du métier est là, sans fard, ni concessions, avec ses ouvertures et ses impasses, ses moments intenses et ses désespoirs : bienvenue au club ! Frédéric Spira a fait le choix de porter un regard clairvoyant tant sur la part d’ombre et de lumière. Il se présente non comme un donneur de leçons, mais comme porteur d’un regard critique qui l’amènera jusque et y compris à effectuer un signalement judiciaire contre des collègues plus qu’indélicats puisque familiers de pratiques maltraitantes. Miroir intelligent et sensible de notre quotidien, à lire sans hésitation, ni retard.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°722 ■ 23/09/2004