Une institution publique d’éducation surveillée: Belle-Ile-en-Mer (1945-1977)
Sous la direction de Thierry Fillaut, CNFE-PJJ (54 rue de Garches 92420 Vaucresson), 1996, 122 p.
Le cinquantième anniversaire de l’ordonnance de 1945 est passé plus ou moins inaperçu. On s’est remis à parler de ce texte quand le ministre de la Justice a voulu début 1996 l’amender en prévoyant des procédures de comparution rapprochée pour les mineurs délinquants. Pourtant le caractère révolutionnaire de cette loi qui fixe pour le mineur la primauté de l’éducatif sur le répressif n’est plus guère à démontrer. Pour le lecteur qu’il faudrait encore convaincre, la lecture de l’opuscule édité par la PJJ s’impose. Pour les autres aussi d’ailleurs, tant l’aventure de l’I.P.E.S de Belle-Ile-en-Mer apparaît symbolique du demi-siècle qui vient de s’écouler.
Un groupe d’éducateurs de la région Bretagne/Pays de Loire de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, a tenté avec l’aide d’un universitaire de redonner vie au souvenir d’une institution disparue il y aura bientôt 20 ans.
Belle-Ile-en-Mer voit s’implanter une colonie pénitentiaire en 1880. La discipline impitoyable qui y règne à base de brimades et de mauvais traitements en fait l’un des bagnes d’enfants les plus dénoncés par les campagnes de presse d’Alexis Danan, mais aussi par des écrivains comme Jean Genêt ou Prévert. Lorsque le 1er septembre 1945, la nouvelle administration de l’Education Surveillée (devenue Protection Judiciaire de la Jeunesse en 1990) se sépare de la Pénitentiaire, c’est pour mettre en oeuvre la nouvelle ordonnance fraîchement rédigée et rompre avec un sinistre passé. La volonté réformatrice est forte. Pour autant, les moyens financiers manquent tout comme les moyens humains. Tout comme peut-être l’élaboration éducative adéquate. Le «projet pédagogique » reste pour le moins élémentaire: il s’agit ni plus ni moins que de reconditionner des gamins en les « matant» et en les « redressant ». Priorité est alors donnée au sport, à l’instruction minimale et à la formation professionnelle et entre autre l’apprentissage maritime qui hérité d’avant-guerre restera jusqu’au bout la fierté de l’IPES. Le moindre espace de liberté doit être occupé. Les méthodes restent rudes: les sanctions sont encore rythmées par l’isolement, le mi-tard et les « passages à tabac ». Et puis, les pratiques vont évoluer: la mise à l’écart du mineur semble de moins en moins pertinent, au fur et à mesure où s’impose la nécessité de travailler avec son milieu familial. Les services de milieu ouvert se développent, rendant progressivement suranné le fonctionnement des IPES qui en outre représentent un coût financier prohibitif. Et puis, il y a les fugues qui menacent le tourisme qui se développe dans l’Ile (les jeunes allant cambrioler les maisons secondaires). Les équipes éducatives de leur côté remettent de plus en plus en cause la logique de fonctionnement de l’institution. La décision bascule très vite: l’Administration Centrale décide la fermeture de l’établissement au 1er septembre 1977 et la réaffectation des personnels dans de petites structures d’internat mais aussi dans les services de Milieu Ouvert où on les trouve encore aujourd’hui.
La lecture de cet ouvrage donne la mesure de l’évolution que nous avons connue ces dernières années, Belle-Ile-en-Mer apparaissant à la fois si loin et si proche ...
Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°378 ■ 19/12/1996