Eduquer les enfants sans repères

Philippe Gaberan, E.S.F., 1996, 126 p.

 « Ouvrage littéraire en prose, de facture très libre, traitant d’un sujet qu’il n’épuise pas ». Cette définition tirée du Petit Robert à l’article « essai » convient parfaitement à l’opuscule de Philippe Gaberan. Au titre choisi par l’auteur, on pourrait fort bien rajouter une épigraphe libellé comme suit: « libres propos d’un travailleur social sur l’enfant, la société et la fracture sociale ».

Philippe Gaberan est un homme de conviction qui nous livre ici un certain nombre de réflexions issues de son expérience professionnelle et de sa grande culture. Il ne parle ni pour complaire à quiconque, ni pour caresser dans le sens du poil. Il dit ce qu’il croit être juste, quitte à se positionner à contre-courant des mouvements de mode ou de la direction d’où vient le vent.

Il en va ainsi de sa prise de position contre la dépénalisation du haschich à propos de laquelle il se range dans les rangs de plus en plus clairsemés des prohibitionnistes.

Il en va de même, quand il résiste à la remise en cause de la notion de travail en condamnant l’abandon de l’idée du retour au plein-emploi.

Il en va ainsi, encore, quand il se confronte aux tabous de l’immigration et des familles dissociées, en en étudiant les conséquences sur l’enfant du Maghreb ou du divorce. Il prend le risque alors de passer pour un vulgaire zélateur d’une morale dépassée ou un partisan d’une quelconque ségrégation. Or, il n’est ni l’un ni l’autre. Mais, peut-on aborder les conséquences d’une éducation marquée soit par la survalorisation du garçon, soit par l’absence du père, sans passer automatiquement pour un chantre d’une pureté ethnique ou sociale ? Tout dépend comment on en parle. Et l’auteur en parle avec finesse et justesse. Il rappelle par ailleurs que la famille n’est pas ce lieu naturel d’harmonie originelle: le lien mère-enfant, loin d’être spontané, est quelque chose qui se construit.

Philippe Gaberan continue dans sa logique iconoclaste quand il déplore l’affaiblissement de l’idée de nation qui aboutit à un éparpillement des compétences, les institutions intervenant dans l’action sociale se situant plus dans la co-errance que dans la cohérence.

Cet essai tente de repérer l’itinéraire de l’enfant-chauve-souris, celui qui est en rupture avec l’adulte, ne bouge guère le jour et s’anime la nuit, vivant entre deux mondes, celui qui exprime son mal-vivre par la violence et la révolte.  Comment répondre à cette douloureuse réalité ? Au contrat qui fait intervenir deux parties, il préfère le projet qui est un compromis entre soi et soi-même. Seule réponse contenante qui puisse être apportée, celle d’adultes en réseau, unifiant leur action  dans une logique écosophique cessant de se renvoyer mutuellement les responsabilités de l’échec et acceptant de mettre en commun leur énergie au service du développement de l’enfant. » (p. 10).

La lecture de cet ouvrage irritera les uns, comblera les autres, mais ne rendra personne indifférent.

 

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°370  ■ 24/10/1996