Rencontres avec des bien-portants

Bernard DUMAZ, éditions Jean Curutchet, 1998, 223 p.

Les principaux acteurs du système sanitaire, mais aussi chacun d’entre nous qui, un jour ou l’autre, est confronté pour soi-même ou ses proches au monde médical devraient se plonger d’urgence dans le récit de vie tout à fait édifiant de Bernard Dumez. D’une écriture fluide, bourrée d’humour (malgré la gravité du sujet abordé), la démonstration fait mouche : c’est toute notre culture de la maladie et des malades qui est ici interpellée. Pourtant, l’auteur n’était pas destiné à devenir un témoin de premier plan. Mais, victime d’un grave accident de la circulation il s’engage, à son réveil, dans un véritable calvaire : cinq mois d’hôpital, trois ans en centre de rééducation et une difficile réinsertion en fauteuil roulant avec à la clé des soins médicaux pour le reste de sa vie. C’est son regard lucide et poignant qu’il nous livre : « nous nous sentons coupables d’être comme nous sommes, d’être dépendants, de devoir beaucoup demander aux autres » (p.31) Loin de soutenir la personne confrontée à cette épreuve, le monde des bien-portants est trop souvent maladroit, non respectueux voire blessant.

D’abord du côté des soignants : faire face à l’inconfort, à la souffrance et à la peur du malade n’est pas toujours facile. Aussi ont-ils trop tendance à se protéger en niant cette réalité un peu comme s’ils croyaient ainsi la circonscrire. D’un côté, il y a les négativistes qui voient tout en noir. Ce serait pour préparer les malades et ses proches au pire, au cas où … De l’autre, on trouve les positivistes qui minimisent et promettent des lendemains radieux. N’est-ce pas plutôt leur propre angoisse qu’ils cherchent à calmer de cette façon ? Les malades ne sont pas toujours en état d’apprécier à sa juste valeur la jovialité et la plaisanterie. « L’humour déplacé ou pas, les gaffes, plus ou moins maladroites, et l’absence de tact blessent. » (p.45) On a souvent parlé de la visite traditionnelle au cours de laquelle le malade se sent comme un cobaye au milieu des blouses blanches : « la vexation, la honte et la rage submergent alors celui qui s’entend comparer à de vulgaires marchandises » (p.82). Comment garder confiance quand un tel écart sépare chez le soignant le dire et le faire, quand la cohérence fait place à la concurrence entre praticiens ?

 Mais le monde médical n’est pas seul en cause.  Les conventions sociales  impliquent que l’entourage soutienne la victime et sa famille dans le deuil, la maladie ou l’accident. L’épreuve constitue à cet égard un test sans pitié. Il y a  ceux qui s’éloignent ou ne donnent plus de nouvelles. Il y a aussi ceux qui ne savent trouver le juste équilibre entre l’évocation du handicap et sa négation, ceux qui croient qu’ils peuvent visiter à tout moment le malade (il n’a rien d’autre à faire). Décidément, du côté des malades, la considération et le respect restent encore à conquérir. Bernard Dumaz nous y incite : nul ne pourra voir du même œil la maladie en refermant son livre.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°489 ■ 03/06/1999