L’acte éducatif - Clinique de l’éducation spécialisée

Joseph ROUZEL, érès, 1998, 232p.

Bien sûr, l’on pourrait se gausser, en rapportant la démonstration que l’auteur reprend de Lacan concernant la mise en équation de la métaphore paternelle. Mais ce serait là tomber dans la facilité et la caricature … Joseph Rouzel est lacanien. On le sait. Cela ne l’empêche pas de dire des choses tout à fait passionnantes.
Ainsi, de son coup de colère contre cette dérive du travail social qui provoque une massification des populations conçues uniquement qu’en tant que groupes sociaux (banlieues, zones à risque, cités …), mais aussi un morcellement par problématiques (mal logés, chômeurs, sidéens …). La clinique du sujet s’en trouve complètement évacuée alors même que le sujet constitue le mode par lequel l’humain naît avec la collectivité. En outre, pour que les professionnels puisse s’investir dans cette approche, encore faut-il qu’eux-mêmes aient une place de sujet et non de simples exécutants des basses œuvres d’une direction agissant dans la toute-puissance. Autre dérive, celle qui consiste à demander aux travailleurs sociaux de supporter les failles et les faillites qui se posent à l’échelle de toute une civilisation. « Cette société entretient l’illusion tenace et ruineuse d’un bonheur atteignable à partir de la consommation des objets, qui fait prévaloir l’échange des biens de production  sur les échanges interhumains. » (p.80) On s’étonne ensuite de constater l’émergence d’une toxicomanie qui ne fait qu’appliquer la logique de la consommation à outrance, du toujours plus. Le manque est structurel à l’humain. On ne peut qu’emprunter le long chemin de deuil et de perte qui ne peut de toute façon pas mener à un bonheur mythique et irréalisable. « Permettre à chacun de découvrir ce qu’il a à être, c’est à dire, de réaliser le manque qui le constitue comme humain. » (p.88)  Là où l’analyste cherche à ce que le sujet se confronte à son incomplétude, le travailleur social, lui, essaie d’aménager les espaces qui font obstacles à sa jouissance. Face à ces critiques acerbes, quoique revigorantes, l’auteur s’adonne néanmoins à un coup de cœur à propos des lieux de vie qu’il désigne comme la seule grande innovation du secteur social des vingt dernières années. Il en parle avec beaucoup de sensibilité en expliquant qu’une telle structure n’a pas pour fonction de proposer un nid mais de « créer les conditions matérielles et psychiques pour faire accueil à l’innommable, l’insu, l’invisible, qui ravage un être dans la maladie, le passage à l’acte, parce qu’il n’a pas trouvé les mots pour se dire. » (p.129)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°509  ■ 25/11/1999