Lettre à un jeune éducateur
DURANDE Pierre, Parole et Silence, 2010, 138 p.
Quand un philosophe se met à parler du travail d’éducateur, c’est beau. C’est parfois un peu érudit, mais cela permet de prendre de la hauteur à l’égard de cette immédiateté qui nous bouffe et nous empêche souvent de réfléchir. Pierre Durande nous propose ici une véritable éthique de la rencontre, qu’il décline au travers de 22 lettres qu’il adresse à Gregor, un étudiant entrant en formation professionnelle. Et voilà les termes de la leçon proposée, pleine de sagesse et de force. Nous véhiculons quantité de représentations qui nous éloignent de ce que nous cherchons. Nous ne sommes pas libres de notre regard : nous pointons le sensationnel, l’original et le spectaculaire, en délaissant le simple, le banal et l’ordinaire, persuadés qu’ils n’ont rien à nous apprendre. Nous sommes conditionnés par notre volonté d’emprise sur les êtres et sur les choses. Nous refusons de voir chez l’autre ce qui nous fait peur : l’impuissance potentielle à l’aider. Notre pire obstacle, c’est nous-mêmes. Apprendre le métier d’éducateur, c’est commencer par libérer ses facultés à connaître. Et cela passe d’abord par un désapprentissage de tout ce que l’on croit savoir et que l’on pense acquis. Pour décloisonner les dysfonctionnements de cette perception, il faut réussir à identifier ses limites et ses dérives réductrices. Ensuite, seulement, peut se produire le processus fondateur de la profession : aller vers soi en l’autre et aller vers l’autre en soi. C’est par là, que tout passe. Que connaissons-nous et qui connaissons-nous, quand nous cherchons à connaître l’être humain avec qui nous entrons en relation ? Aucune formation reçue n’est à même de livrer, à elle seule, la moindre exhaustivité sur la personne humaine. De même, est-il illusoire de penser être à la hauteur de toutes les situations. Parce que le travail éducatif nécessite une rencontre et un engagement réciproque au sein d’une relation, l’essentiel est de réussir à trouver les chemins qui conduisent à la singularité de l’autre. Nul n’est éducable contre son gré. Ce que l’on peut faire pour quelqu’un, on ne le fait pas sans lui ou contre lui, mais avec lui, pour un bien qui est commun. Entrer dans son univers, c’est avant tout s’accorder avec ses valeurs. La distance que l’on doit respecter à son égard n’est pas une protection ou un refus de contact trop proche. C’est bien au contraire une proximité qui se tricote avec le rapprochement (quand cela se doit d’être uni), tout autant qu’avec le détachement (quand cela se doit d’être séparé). Bien sûr, l’autre peut nous plonger dans le désespoir, car le facteur temps nous empêche de profiter des résultats de notre action. Mais toute personnalité se construit ou se déconstruit, à la mesure de l’espérance qui l’enveloppe.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°978 ■ 24/06/2010