Le quotidien en éducation spécialisée
ROUZEL Joseph, Ed. Dunod, 2015, 227 p.
Ces repas, toilettes, couchers, levers, activités ludiques et scolaires, sorties etc … qui habitent le quotidien de l’éducateur sont autant de moments qui, pour être indicibles, n’en sont pas moins propices à la rencontre, à la relation, aux liens qui se tissent, proclame Joseph Rouzel dans une véritable célébration de cet espace-temps. La routine qui l’imprègne est parfois bousculée par des inattendus, des désordres et des dérangements. L’acte éducatif se déploie justement dans les nœuds et les rouages de cet ordinaire bigarré, ne cherchant pas à contrôler l’inquiétant mais à utiliser le potentiel de créativité qui en émane. Trop souvent négligée, voire méprisée, cette présence au monde est pourtant d’une grande richesse potentielle, dès lors où on la laisse s’ouvrir aux provocations de la vie. Car, si toute institution doit garantir la sécurité, la continuité et la stabilité que participent à créer les rythmes et les rites du cadre établi, elle doit tout autant être le lieu d’incessants échanges, inventions et médiations répondant à l’inquiétude née du face à face avec l’inconnu. L’empilement des savoirs disciplinaires, pour utile qu’il soit, ne doit pas venir masquer la richesse de l’expérience du praticien de terrain qui doit servir de socle à la théorisation, intervenant non comme une illustration après coup, mais comme le carburant alimentant la conceptualisation. L’action de l’éducateur ne relève pas de la démarche de l’ingénieur, mais de celle du bricoleur : il ne dispose pas d’un schéma tout prêt qu’il doit appliquer, mais d’un savoir faire lui permettant de réagir à l’imprévu. C’est bien pourquoi, le fossé s’agrandit entre la clinique du quotidien et l’impératif d’en rendre compte à travers les démarches-qualité, normes-iso, audits et autres évaluations quantitatives, que lui impose une société technicienne obnubilée par le contrôle de l’aléatoire et de l’impondérable.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1183 ■ 14/04/2016