Mais qui veut la mort de la prévention spécialisée ?

LE REST Pascal, Ed. L’Harmattan, 2019, 210 p.

Le portrait qui nous dressé de la prévention spécialisée pourrait s’apparenter à une chronique nécrologique. Les éducateurs de rue sont nés non d’une philosophie de l’action ou d’un corpus théorique, mais de pratiques isolées aux lendemains de la seconde guerre mondiale : occuper l’espace public de la rue et y improviser des activités pour des jeunes en danger et/ou dangereux qui y ont fait leur terrain de jeux et de vie. Cette approche innovante séduit alors comme alternative à l’internat, passant de 7 clubs et équipes en 1951, à 43 en 1961, 263 en 1973 et 618 en 1986. Légalisée par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972, plusieurs circulaires en officialisent les principes d’intervention : la libre adhésion (le jeune peut accepter ou non l’accompagnement proposé), l’absence de mandat nominatif (ni de la part du juge, ni de l’Aide sociale à l’enfance), l’anonymat (aucune identité ne peut être communiquée) et la non institutionnalisation (un relais doit être pris en cas de pérennisation). Quand elle s’implante sur un territoire, l’équipe commence par se montrer, en y déambulant, tentant de se faire accepter par les jeunes qui y vivent. Cette présence physique au quotidien offre une disponibilité et une écoute potentielle, permettant d’affiner par touches successives la connaissance des problématiques et favorisant la co-construction d’un diagnostic avec les habitants et les partenaires institutionnels. C’est ensuite que l’équipe cherchera avec les jeunes concernés les réponses possibles à leurs difficultés d’insertion. Mais, la prévention spécialisée ploie sous les coups de boutoir. La décentralisation de 1985 l’a fait passer sous le contrôle des élus du conseil général qui lui demande des comptes, exigeant la visibilité de l’action menée. La loi de 2002 confirme cette attente, lui imposant comme à toute structure médico-sociale une évaluation interne et externe. Les émeutes de 2005 incitent l’Etat à attendre d’elle qu’elle règle les problèmes de l’enfance délinquante, faisant basculer son paradigme de l’éducatif vers celui du répressif. Puis vient la commande visant à de solutionner les effets pervers de la dégradation des cités les plus pauvres. Aujourd’hui, l’éducateur de rue est sollicité comme auxiliaires des services de renseignement, face à la radicalisation et au terrorisme. La confiance tissée avec patience et bienveillance avec la population risque de ne pas y survivre.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1261 ■ 12/11/2019