Le « refus de la relation », un problème pour notre société
BOUHOUIA Tahar, Ed. l’Harmattan, 2017, 173 p.
Les institutions à valeur émancipatrice se sont données pour ambition dans l’après-guerre de favoriser l’autonomie des populations auxquelles elles s’adressent, en favorisant leur pouvoir d’agir et leur capacité à produire du changement social. Or, c’est le contraire qu’elles sont en train d’organiser, les enfermant dans des assignations collectives négatives derrière les murs invisibles d’identités stigmatisantes. Reniant leurs finalités et leurs valeurs fondatrices, elles inscrivent l’expertise du côté de la norme prescrite par une technocratie bureaucratique, tournant le dos à la nécessaire valorisation des publics comme ressources possibles et souhaitables et déniant leur savoir expérientiel. L’auteur illustre son postulat en décrivant ce qui se passe au cœur de la prévention spécialisée. Auparavant, c’était la connaissance du terrain qui déterminait les orientations du travail éducatif. L’équipe mandatée pour penser, décider et agir, co-construisait sa démarche en fonction d’un diagnostic réalisé dans la proximité, la confiance et l’immersion au sein d’un territoire. Aujourd’hui, ce sont des indicateurs élaborés par des prescripteurs lançant les appels à projet qui placent les éducateurs de rue dans une posture d’opérateurs exécutant des réponses techniques standardisées. Ce ne sont plus les buts qui priment, mais les moyens de financement accordés sous condition de se soumettre aux critères de l’organisme de tutelle. Or, ce qui permet aux professionnels et aux populations qu’ils accompagnent d’avancer, ce ne sont pas des objectifs fixés a priori, mais le posteriori produit d’une rencontre et des circonstances qui l’entourent. Et c’est justement cette détermination exogène d’orientations décidées à l’avance qui empêchent la dynamique de la rencontre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1261 ■ 12/11/2019