Itinéraire d’un travailleur social engagé

GUENEBAUT Laurent, Éd du Panthéon, 2024, 189 p.

Il est des travailleurs sociaux qui, devant l’inacceptable, préfèrent se taire par crainte d’être mal vus ou de ne pas être suivis par leurs collègues. Il est difficile de classer Laurent Guenebaut dans cette catégorie.

Nous sommes en 1999. Un an à peine après avoir été recruté dans un Centre éducatif et professionnel comme moniteur éducateur tout juste diplômé, il n’hésite pas à dénoncer sa Directrice. Lors d’une soirée festive, alcoolisée, celle-ci a eu des relations sexuelles avec un mineur placé dans son établissement ! N’écoutant pas les hésitations des autres professionnels, il adresse un signalement au procureur. Il le trouve bien passif ? Il en fait un autre au 119 !

La directrice démissionne et est remplacée par le Chef de service qui avait choisi de ne rien faire, à l’image de ces trois singes de la «(fausse)sagesse » qui ne voient, n’entendent ni ne disent rien ! Sans doute pour le neutraliser, l’association employeuse propose alors à Laurent Guenebaut de prendre le poste de Chef de service devenu vacant. C’était mal le connaître. Cette promotion ne l’empêchera nullement de dénoncer, par la suite, d’autres dysfonctionnements.

Ainsi, commence la longue carrière d’un « impertinent productif », passionné par son travail, mais refusant toute compromission, même celles lui laissant miroiter quelques faveurs. Son engagement et son authenticité parcourront ses prises de fonctions successives qui alterneront entre Chef de service et éducateur de proximité. Et ce n’est pas sa place de responsable d’un service à domicile, quelques années plus tard, qui le fera hésiter à s’opposer à une décision de réduction d’effectifs, imposée par l’ASE.

Son identité professionnelle, Laurent Guenebaut l’a construite d’abord sur le terrain, en faisant notamment la promotion de la place des parents. Mais aussi en croisant des auteurs comme Carl Rogers dont les concepts d’écoute active, de congruence et de reformulation structureront son action. Sa participation aux ateliers d’analyse de pratiques professionnelles menés par l’excellent Guy Hardy le marquera tout autant. Sans oublier les apports des formations suivies pour obtenir son CAFERUIS ou de thérapeute centrée sur la personne.

Ce fut l’une de ses directrices qui faillit avoir sa peau. Il subit son harcèlement moral et sa maltraitance. Le combat fut rude pour démontrer au conseil d’administration que ses conflits avec sa hiérarchie ne remettaient pas en cause sa loyauté à son égard. Cela lui valut quand même un burn-out, dont il ne sortira qu’au bout de 18 mois. L’occasion d’écrire un premier livre (1) déclinant les phases par lesquelles il est lui-même passé : le déni, la culpabilité et l’acceptation.

« Dites-moi comment vous voyez le monde, je vous dirai comment votre existence a construit votre appareil à voir le monde » affirme Bori Cyrulnik (cité par l’auteur). Laurent Guénébaut retrace un parcours personnel confronté à de multiples épreuves. Recueilli par ses grands-parents qu’i l’ont élevé, après un délaissement parental, un figure paternelle marquée par la délinquance et la violence, une mère trop vulnérable pour le garder auprès d’elle, un épisode d’alcoolisation dont seule son épouse réussira à le sortir. Il est des malheurs qui plongent l’existence dans des abîmes, quand d’autres semblent la stimuler …

Aujourd’hui formateur indépendant, il intervient régulièrement auprès d’équipes en en quête de cette saveur, de ce sens et de ces valeurs du travail social qui s’effritent. Aux cadres intermédiaires à qui il s’adresse souvent, il dresse un portrait du chef de service qui privilégie la sécurisation du travail des professionnels, la construction d’un référentiel commun et la proximité avec le quotidien.

L’auteur donne à voir tout ce que sa longue expérience lui a appris. Maniant tour à tour l’image du chef cuisinier attendant que sa recette soit améliorée par les ingrédients apportés par les membres de l’équipe, les cinq principes Toltèques applicables dans le mangement ou encore les facteurs garantissant le bien-être au travail, il parle d’engagement, de distance et de posture professionnelle, avec la langue de celui qui les a longuement éprouvés.

Mais, il se garde toutefois d’apparaître donneur de leçons :« prodiguer des conseils et donner une direction avec la certitude qu’elle est unique et qu’il faut absolument l’emprunter serait une hérésie de ma part et contraire à mes argumentations précédentes » affirme-t-il page 149. Interroger la cohérence, faires des choix de manière réfléchie, chasser la routine et privilégier la créativité, aussi iconoclaste soit-elle … le rebelle d’il y a 25 ans ne s’est pas affadi. L’éthique qu’il transmet entend bien faire vivre les valeurs du travail social.

 (1) « Petit traité de bien-être au travail » GUENEBAUT Laurent, Éd du Panthéon, 2018