Métier à tisser- Éducateurs et éducatrices : une aventure du lien social

COSTE Anne, GILLOT Antoine, PASQUIER François, VANDEN BERGHE Oriane, Ed. Chronique Sociale, 2025, 192 p.

Les écrits des travailleurs sociaux sont toujours précieux. D’abord, parce qu’ils disent l’indicible du quotidien des plus fragiles. Ensuite, parce qu’ils visibilisent un travail trop souvent invisible. Encore, parce qu’ils plongent le lecteur au plus proche de ce que nous partageons toutes et tous. Cette plume tenue à quatre mains en est une belle illustration.

Deux années auront été nécessaires à ces quatre professionnel(le)s pour finaliser un exercice peu commun : se retrouver chaque mois dans un atelier d’écriture autogéré. Chacun(e) venait là pour lire ses productions et écouter celles des autres, partager ses doutes et conforter ses certitudes, sortir de ses blocages et stimuler son écriture. Bienveillance, respect du rythme de chacun et liberté dans l’expression auront traversé ces rendez-vous réguliers. Le résultat est là. Le lecteur peut dorénavant s’en délecter.

Cette profession qui cherche à tisser des liens avec celles et ceux qui en ont besoin laisse, plus qu’on ne l’imagine, des traces indélébiles dans la vie de celles et de ceux qui la pratiquent. Combien d’histoires parsemées de détresse, d’épreuves ou d’horreur entendre ou accompagner, pour le travailleur social avant qu’il ne rentre chez lui pour retrouver sa famille ?

Il y a cet épisode cocasse mettant en scène un usager qui a manifestement oublié le rendez-vous à domicile qui lui avait été fixé. Il ouvre sa porte torse nu et le visage barbouillé de crème à raser. Loin de répondre à l’invitation d’aller se rincer et se vêtir, il restera dans cette posture peu commune jusqu’à la fin de l’entretien.

Il y a cette terrifiante épreuve de la course-poursuite d’un mari violent sur l’autoroute contre sa femme … réfugiée dans la voiture de l’intervenante qui n’aura d’autres solutions que d’aller se garer devant la gendarmerie, pour se mettre sous sa protection.

Il y a ce moment peu ragoutant où il fallut bien entrer dans cet appartement insalubre, au risque d’être amené au bord des lèvres, face aux odeurs pestilentielles et au grouillement des insectes. Être éduc, c’est aussi se confronter aux poux, aux punaises de lit et à la gale, bref, cette partie la plus sympa de la grande famille des insectes.

Et puis, c’est l’angoisse de la fermeture à 18h00 de l’accueil de jour pour personnes vivant à la rue. Et la contrainte d’avoir à distribuer tapis de sols et couvertures à une quinzaine de mères et de leurs enfants n’ayant d’autres solutions que de dormir dehors.

Derrière chaque situation, pourtant, il y a de de la vie, de l’avenir et de l’espoir qu’il s’agit de valoriser, promouvoir et soutenir. Il n’est question ni d’aider, ni d’assister, ni de vouloir faire à la place de l’autre, même s’il est nécessaire parfois d’aller à sa rencontre quand il n’ose pas faire le premier pas. Ce qui compte, c’est d’être là, bien présent et disponible.

Accompagner est un art qui ne cesse de s’apprendre au fil des années. Rien n’est acquis, tout recommence à chaque fois. Savoir accueillir, observer, analyser puis proposer. Tisser du lien, apprendre à se connaître, réussir à se faire confiance réciproquement. Usagers et professionnels se font face, chacun se jaugeant, se testant, s’apprivoisant. Chaque obstacle incite à le dépasser, chaque petite victoire fait remonter le niveau d’endurance de l’un et de l’autre.

Si certaines routines sont dénoncées, ici, avec humour et parfois un certain désabusement, nos trois auteur(e)s décrivent avec force et empathie une profession qu’ils (elles) investissent avec chaleur et constance. Leurs souvenirs peuvent se montrer optimistes ou pessimistes, ce qui traverse ces lignes, c’est la profonde humanité avec laquelle ils décrivent chaque pauvre, inadapté, fou, migrant … et leur puissant attachement à se tenir à leurs côtés.