Les mille vies de Stéphane, éducateur de vie

SAINTUS-CIZO Stéphane, Éd. Librivona, 2024, 175 p.

Il est des parcours de vie de travailleurs sociaux qui, par leur classicisme, ne justifient guère qu’on en tire un récit. Il en est d’autres bien plus atypiques qui méritent d’être relatés, tant ils défient la banalité. Celui de Stéphane Saintus-Cizo appartient à la seconde catégorie.

C’est lors de l’épreuve de valorisation des acquis et de l’expérience, à laquelle il se présente en 2006, que l’occasion est donnée à l’auteur de retracer son cheminement. Deux membres du jury lui demandent l’autorisation de garder à titre personnel le livret où il le dépeint. Ce même jury qui -, comprenne qui pourra- ne lui accordera pas le diplôme d’éducateur spécialisée tant attendu. Mais, l’idée qu’une biographie décrivant son chemin sinueux puisse avoir de l’intérêt venait de naître. Il aura néanmoins fallu près de vingt ans pour que ce projet murisse et finisse par éclore.

Stéphane Saintus-Cizo est un banlieusard. Il vit sa jeunesse à la Cité Fleming de Bonneuil-sur-Marne. Entouré de ses cinq frères et sœurs, il est confronté aux violences conjugales d’un père battant sa mère. De cette expérience traumatique, il retire une conviction : les enfants confrontés à ces épreuves ne sont pas de simples témoins apeurés, mais de véritables victimes.

Du court placement en famille d’accueil, que sa fratrie lui rapporte, il n’en a pas gardé le moindre souvenir. Ce qui, par contre, va le marquer profondément, c’est le blocage cognitif qui le plonge entre ses 6 ans et ses 22 ans dans ce qu’il désigne lui-même comme un tenace illettrisme. Pourtant, paradoxalement, les mots furent toujours pour lui source d’inspiration, le poussant à l’adolescence à écrire des poèmes.

Une vocation émerge très jeune chez lui : celle de devenir éducateur. Et si, dès 14 ans, il devient animateur en MJC, gérant de façon autonome les boums avec ses copains, il garde le même cap : « aider les jeunes qui ne sont pas nés sous la bonne étoile, les accompagner, parfois les aider à trouver leur voie, donner du sens à ma vie en aidant les autres ». Cela va d’abord se concrétiser au travers de nombreux engagements humanitaires. La rencontre avec l’association « Enfants de la terre » est déterminante. C’est à ses côtés qu’il participe à des actions pour venir en aide à des orphelins et des enfants en difficulté. En Roumanie d’abord, où il découvre les terrifiants orphelinats de Ceaucescu. Puis, par la suite au Mali, au Mexique, et dans bien d'autres pays encore,

Pourtant, son idée première ne cesse de le poursuivre : obtenir un diplôme lui permettant d’exercer le métier d’éducateur de rue. C’est cette farouche volonté d’acquérir une qualification qui va le stimuler pour inverser la malédiction de l’échec scolaire. Une préformation l’IRTS de Parmentier et des stages de découverte lui permettent d’intégrer la formation de moniteur éducateur. Les tests à l’écrit se sont révélés catastrophiques, mais l’expérience accumulée a pesé. Tout en suivant sa formation, il se rattrape … en faisant de l’aide aux devoirs à domicile avec des collégiens : « c’est grâce à eux que j'ai remis le pied à l'étrier en profitant pour réapprendre en même temps qu’eux en toute discrétion » !

Avec l’obtention de son diplôme, il peut enfin assouvir son rêve, celui qu’il caresse depuis ses 11 ans. Travailler avec les jeunes et familles des quartiers difficiles comme éducateur de rue en prévention spécialisée. Ce travail, il y est plongé au quotidien depuis trente ans. D’abord à Angers, puis à Cholet. Il en est fier. Mais, finalement, c’est surtout pour ce que sont devenus tant de ces jeunes qu’il a accompagnés.

Le palmarès est éloquent autant qu’élogieux. Ce jeune qui participe régulièrement au championnat de France de judo. Combien d’autres qui ont créé leur propre entreprise. Celui qui est devenu bijoutier et qui a ouvert dans sa ville sa propre bijouterie. D’autres, encore, devenus footballeur professionnel, juriste, gérant d’une boutique d’opticien, auxiliaire de puériculture … Une fierté, une satisfaction et un bonheur de constater qu’à son image, tant ont réussi à s’en sortir !

Si le récit de Stéphane Saintus-Cizo décrit aussi une part de sa vie personnelle, bien des anecdotes renvoient aux détails de son activité professionnelle. Comme cette visite à un jeune emprisonné, à la fin de laquelle le gardien se trompant de personne, veut à tout prix remettre l’éducateur en cellule, au lieu du détenu qu’il est venu rencontrer. Stéphane est noir ! Mais aussi, cette séance de lutte avec un groupe de jeunes qui l’a défié. Il n’a guère de mal à gagner leur respect, lui qui a canalisé l’énergie débordante de sa jeunesse en pratique du judo, de la boxe Thaï, du karaté et des combats de Kyokushinkaia ! Bien d’autres pépites dorment dans les plis du travail social. L’initiative de l’auteur pourrait bien encourager d’autres à se révéler.